Chère Léa,
T’es pas fine… Tu m’as écrit hier pour me demander mon bilan de la situation des femmes.
Mais je ne suis pas une historienne, moi. Ni une théoricienne. Ni une historienne. Je n’ai que vécu. Et passé ma vie à voir le monde par les lorgnettes des milliers de gens que mon merveilleux métier m’a permis de rencontrer.
Mais je veux bien essayer. À condition que tu t’infliges le même devoir et que tu me fasses, toi aussi, ton bilan.
Comme tu sais, mon âge commence par un cinq, pas par un neuf. Mais entre deux tournois de sauts à la corde (j’étais très bonne), mes amies et moi, on avait décidé qu’on serait mères de famille plutôt que bonnes sœurs. Restait à décider si, avant de nous marier, on serait « garde-malades », « maîtresses d’école » ou « hôtesses de l’air ». Les possibilités s’arrêtaient là. Il ne nous serait même pas venu à l’idée de considérer la comptabilité, la médecine ou l’aviation.
On ne le savait pas encore, mais le féminisme était à nos portes. Et Lise Payette a raison de dire que c’est la seule révolution qui n’a pas coûté une goutte de sang. Cette révolution a permis à des centaines de millions d’individus de choisir leur vie. Grâce à elle, les femmes sont devenues des hommes (presque) comme les autres.
Je suis devenue journaliste, j’ai voyagé, j’ai eu des conjoints. J’ai pu les quitter et continuer ma vie parce que j’étais capable de gagner ma croûte moi-même. Tout ça était devenu accessible pour les filles ordinaires de ma génération. Alors que celles de la génération précédente, pour arriver au même résultat, avaient besoin d’une tête de pioche, d’une confiance en soi hors du commun, d’énormément de travail et d’un coup de chance.
C’est ça, le grand acquis. La moitié de l’humanité qui accède à l’indépendance. Qui, enfin, peut choisir sa vie. Une révolution aussi grande que l’abolition du servage ou de l’esclavage.
Obtenir la contraception, l’indépendance financière, l’égalité dans le mariage, prendre sa place dans les professions, au Parlement et dans les bureaux de direction, toutes ces batailles, ces enjeux sont des facettes d’une même démarche : se choisir.
Bien sûr, la liberté, c’est du boulot. Il faut se battre pour garder sa place, pour obtenir l’équité salariale, la conciliation travail-famille, le partage des tâches, une place aux tables de décision.
Et, très important, prêter l’oreille et donner un coup de main aux femmes d’ailleurs pour qui la route de l’indépendance est plus longue et semée de bien plus d’embûches.
Fatiguant des fois? Bien sûr. Mais certainement pas plus difficile que les combats qu’ont menés les femmes qui sont venues avant nous.
Le féminisme, c’est comme la science. Il avance grâce à nos prédécesseures. Nous sommes debout sur les épaules de géantes.
Une bonne position pour atteindre le sommet.
Louise