Société

Les secrets d’une vie réussie

Les réponses de Nicolas Langelier et Jocelyn Maclure, co-fondateurs du magazine Nouveau Projet.

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C’est quoi, réussir sa vie? Gagner beaucoup d’argent? Réaliser pleinement son potentiel? Fabriquer du bonheur pour soi-même et pour les autres? Cette question, qui turlupinait déjà madame Homo sapiens dans sa caverne, Châtelaine l’a posée à plein de gens. À lire ce mois-ci dans le magazine. En guise de hors-d’œuvre, voici ce que nous ont dit deux observateurs de la vie contemporaine.
Nicolas Langelier est journaliste et auteur de Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles (Boréal) ; Jocelyn Maclure est professeur de philosophie à l’Université Laval. Ils ont cofondé le magazine Nouveau Projet, qu’ils dirigent ensemble.

 

Châtelaine : Une vie réussie ne signifie pas la même chose aujourd’hui qu’il y a 100 ans ou 5 000 ans…

Jocelyn Maclure : Le questionnement est le même, mais les réponses varient au fil du temps. Pour les philosophes de l’Antiquité – Platon, Aristote… – réussir sa vie consistait à développer au mieux sa raison, à être un citoyen vertueux, servir la collectivité, défendre la cité. Pour les penseurs chrétiens, il s’agissait de remplir ses obligations face à Dieu. Les rôles étaient définis et les attentes prédéterminées – selon qu’on était un homme ou une femme. Or, l’hypermodernité a fait éclater ces normes. On n’est plus contraint à occuper le même poste toute sa vie. On a davantage d’autonomie. De nos jours, il existe tout un éventail de parcours, de visions, de choix.Qu’est-ce qu’une bonne vie ? À chacun sa réponse. On doit s’interroger, puis agir. Ce qui nous ramène aux Grecs et à la quête d’une vie empreinte d’humanité.

Nicolas Langelier : Le problème, c’est qu’il y a trop de modèles auxquels on peut aspirer ! Chacun a la liberté de définir sa réussite. En ce qui me concerne, je crois que c’est dans le don qu’on peut trouver un bonheur véritable. J’aime penser que je sers à quelque chose, que j’apporte une contribution. Je ne veux pas que ma vie se limite aux seuls plaisirs de la vie hypermoderne.

J. M. : Si le bonheur n’est que plaisirs, on risque fort de s’en lasser. Depuis longtemps les philosophes nous mettent en garde contre cette conception hédoniste. Oui, les émotions fortes sont agréables, mais d’autres formes d’épanouissement s’avèrent nécessaires. On a besoin d’une certaine transcendance, c’est-à-dire dépasser ses propres intérêts, faire quelque chose de durable, de significatif – se lier aux autres, être créatif, laisser un héritage positif, exprimer ce qui est unique à soi. Travailler fort est exigeant, parfois décourageant, mais on éprouve une grande satisfaction quand on sent qu’on est allé au bout de soi.

 

Comment y parvenir ?

N. L. : Il faut s’arrêter pour réfléchir. Difficile quand on est constamment pris dans un tourbillon ! On perd les petits moments de contemplation qui permettent de vraiment ressentir ce qu’on est en train de vivre. On a souvent l’impression que, pour être heureux, il faut s’épanouir dans sa vie professionnelle, familiale, sexuelle, avoir plein d’amis, comme dans Sex and the City ! On finit par cumuler des objectifs qui, souvent, restent flous. On éprouve alors de vagues insatisfactions… On se dit : je ne m’accomplis pas assez, je ne profite pas assez du bonheur qui m’était promis, je suis en train de rater quelque chose… Un bon outil pour y remédier ? Les rituels, un espace pour se recueillir.

J. M. : Notre identité est très fragmentée. Nous voulons exprimer et développer différentes dimensions de nous-mêmes, qui entrent en conflit les unes avec les autres. Si je souhaite être un père présent, je dois mettre une croix sur certaines opportunités professionnelles. Il faut constamment arbitrer ces conflits au sein de notre propre identité. Voilà le grand défi !

 

Et dans votre vie à vous, messieurs, qu’est-ce que la réussite ?

J. M. : Pour moi, ce n’est pas d’être le plus performant, mais de concilier au mieux les différents engagements qui me définissent, tout en sachant qu’il y aura des pertes. C’est notre sort à nous, individus hypermodernes, de gérer ce sentiment d’insatisfaction, d’incomplétude. Même si je parviens à un équilibre entre ma vie familiale et ma vie professionnelle, il y aura toujours des dimensions de moi qui seront négligées.

N. L. : Pour ma part, c’est d’être prêt à atteindre le bonheur même si un pan de ma vie n’est pas parfait, de trouver en moi une satisfaction, une sérénité, une résilience. Mon bonheur réside dans l’accomplissement de quelque chose qui m’anime.

 

Y a-t-il une différence entre réussir sa vie et réussir dans la vie ?

N. L. : Réussir dans la vie renvoie à la notion de statut professionnel et matériel. Réussir sa vie, à la dimension personnelle. On mêle souvent les deux.

J. M. : Je ne crois pas qu’on puisse dire que l’un soit supérieur à l’autre. On accorde encore beaucoup d’importance à la réussite professionnelle, à un certain confort matériel. Par contre, avec le mini baby-boom, on assiste à un réinvestissement dans la famille.

 

Docteur, j’ai l’impression d’avoir raté ma vie. Que faire ?

N. L. : Primo, diminuer ses attentes, souvent trop élevées par rapport à sa capacité à les atteindre. Secundo, cultiver un sentiment de gratitude. C’est difficile, parce que d’un côté, il faut arriver à se contenter de ce qu’on a et, de l’autre, il faut s’accomplir. Je cherche encore l’équilibre !

J. M. : Si j’ai un sentiment d’échec, je fais le bilan. Je définis mes valeurs – ce qui m’importe, la façon dont je veux mener ma vie. Puis je les transforme en engagements. La notion même de réussite implique une finalité à atteindre selon des objectifs préalablement fixés. Ce moment d’introspection est essentiel. Sinon, on se laisse porter par les événements.

 

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