Famille tout compris

Mon père c’est le plus fort

Une vidéo montrant un père interdisant à sa fille d’avoir un copain a fait sortir de ses gonds Marianne Prairie. Pourquoi faut-il que le paternel montre qu’il est le plus fort?

Famille_tout_compris

Ça y est. J’en ai ma claque des blagues de pères protecteurs qui interdisent à leur fille de fréquenter des garçons. Je ne les trouve plus drôles, ces mises en scène où un papa repousse virilement les prétendants de son trésor, que ce soit avec une liste interminable de règles à respecter ou la mention qu’il possède une arme à feu.

J’ai atteint un point de non-retour avec cette vidéo qui a rapidement fait le tour du web la semaine dernière. On y voit un père qui s’obstine avec sa fille. C’est en anglais, je vous en ai traduit un extrait :

– Je veux un copain et j’en aurai un.
– Papa lui cassera les jambes.
– Non!
– Oui, je le ferai. Et devine ce que je ferai après ça. J’irai voir le papa de ton copain et papa le gardera en otage dans une armoire.
– Papa, écoute. Je veux un copain et j’en aurai un!
– Si tu as un copain, je te mets au couvent. Tu seras une nonne et tu travailleras pour Jésus.

Le problème, ce n’est pas CETTE vidéo en particulier. Je pense que c’est évident que le père exagère (violemment) et se paie la tête de sa fillette, particulièrement « émancipée » pour son jeune âge. Le problème c’est que cette vidéo n’est qu’une des nombreuses manifestations d’un discours très largement répandu et célébré : pour être un bon père, un homme doit faire preuve de force et de virilité pour interdire à son enfant de sexe féminin d’avoir des relations amoureuses ou sexuelles. D’où ce DAD OF THE YEAR du titre de la vidéo. « Chapeau pour cette intervention musclée, papa! » dit tout l’internet. La vidéo a été visionnée des dizaines de millions de fois.

À LIRE: Est-ce qu’avoir un utérus est discriminant au travail?

(Parenthèse : Par contre, pour être un bon père d’enfant de sexe masculin, on sera compréhensif quant à la libido dévorante du jeune homme pubère et on le justifiera en mettant ça sur le dos des hormones.)

Voici d’autres exemples de blagues qui connaissent le même genre de popularité:

Sources: un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept.

Ces memes et ces blagues ne s’inspirent pas seulement de l’amour qu’un parent éprouve pour son enfant et de son souhait tout naturel de lui éviter des ennuis. Ils pigent abondamment dans des stéréotypes de genre solidement ancrés dans notre culture et nos mœurs. Et c’est précisément là où ça me fait grincer des dents. Au début, ça passait, mais on dirait que j’en ai trop vu. Je ne suis plus capable d’en faire abstraction, même si c’est pour le LOL.

À LIRE: Comment redonner du pouvoir aux mères?

Les filles, qu’elles soient des bébés en cache-couche ou des adolescentes, sont dépeintes comme des poupées fragiles et vulnérables qui ne s’appartiennent pas vraiment. Leur pureté, leur beauté et leur innocence sont jalousement protégées par leur père, car c’est ce qui leur donne de la valeur à tous les deux. La fille parce qu’elle est « intacte » et le père parce qu’il est fort.

D’ailleurs, cette façon de maintenir les filles dans l’enfance tout en soulignant à grand trait leur potentiel de séduction me donne envie de hurler. On dirait que ces pères se félicitent doublement : d’avoir mis au monde un objet de désir et précisément un objet sur lequel ils croient avoir le contrôle.

Je suis aussi tannée de ces « Respecte ma fille sinon je te casse en deux. » Pourquoi pas « Respecte ma fille », point? C’est suffisant. Pourquoi a-t-on besoin d’une menace, formulée (plus ou moins sérieusement) par un autre membre de la gent masculine, pour que le message passe? Un garçon devrait être capable de respecter les femmes par principe, parce qu’elles sont égales à lui. Pas parce qu’une punition plane et qu’il subira des sévices corporels s’il ne le fait pas.

Remarquons aussi que ces photos mettent toujours en scène des pères qui font peur à de jeunes hommes. Imaginons un instant que la princesse à papa ne s’intéresse pas aux garçons, mais plutôt aux filles. Woups. C’est drôle, je n’ai jamais vu de meme de père surprotecteur incluant une « menaçante » lesbienne! Gageons que cette éventualité ne fait même pas partie des scénarios envisagés… C’est de l’humour hétéronormatif à son meilleur.

À LIRE: Trois initiatives pour intégrer nos enfants à nos activités

Ceci dit, je peux comprendre le malaise, l’inquiétude, voire la peur qui peut s’emparer d’un parent lorsqu’il pense à son enfant ayant des relations amoureuses ou sexuelles. Cette nouvelle étape peut revêtir des allures de cauchemar, surtout à l’ère où de nouveaux réseaux sociaux voient le jour chaque mois et où l’éducation sexuelle de plusieurs adolescents se fait avec la pornographie en ligne. Je crois que l’humour peut servir de soupape pour certains d’entre eux et c’est tant mieux.

Mais justement, dans ce contexte, peut-être qu’on pourrait trouver d’autres idées de blagues à faire pour se rassurer et dédramatiser, hein? Quelque chose de plus moderne et égalitaire que de séquestrer nos filles et terroriser les garçons, non? Le t-shirt de Feminist Father est un bon exemple.

238426

Règles pour sortir avec ma fille :
1. Je ne fais pas les règles.
2. Tu ne fais pas les règles.
3. Elle fait les règles.
4. Son corps, ses règles.

Si je ne ris plus, c’est que j’ai réalisé à quel point ces blagues de pères surprotecteurs étaient populaires et ça m’inquiète. Je me soucie de l’effet que cette accumulation d’images, de produits et de messages puisse avoir sur nos perceptions de ce qu’est un bon père d’enfant de sexe féminin. Je me demande à quel point ce casting de prédateur en puissance influence notre regard sur les adolescents et notre tolérance à leurs comportements. Mais ce qui me trouble, c’est ce rôle passif dans lequel les filles sont cantonnées. Quand tout le monde rit alors que t’es complètement dépossédée de ton autonomie et de ta sexualité, ça me parait difficile de la revendiquer.

– – –

Pour écrire à Marianne Prairie: chatelaine@marianneprairie.com

Pour réagir sur Twitter: @marianneprairie

Marianne Prarie est l’auteure de La première fois que… Conseils sages et moins sages pour nouveaux parents (Caractère)

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.