Chaque année depuis un quart de siècle, le magazine People prend un homme sur la planète (comprendre : les États-Unis) et le sacre « the sexiest man alive ». Selon la légende, lors d’une réunion éditoriale, une rédactrice de People, découvrant que Mel Gibson ferait l’objet d’un prochain article, se serait écriée : « Oh ! my God, c’est l’homme le plus sexy au monde ! » Une tradition était née (et une rédactrice sans doute promue). Richard Gere, Brad Pitt et George Clooney ont reçu ce titre prestigieux à deux reprises. Denzel Washington a été l’unique Noir retenu par le jury, soit le staff du magazine. Et Sean Connery, à 59 ans (en 1989), a rappelé qu’un peu de gris pouvait rimer aussi avec sexy.
Évidemment, tout cela est contestable, voire ridicule. Gêné, Matt Damon, l’élu de 2007, a d’abord refusé l’accolade… puis s’est ravisé, sans doute sur les conseils de son agent.
Des questions se posent. Qu’est-ce qui rend un homme sexy ? Ses yeux, son corps, sa Porsche ? Les hommes beaux sont-ils nécessairement sexy ? Beaucoup considèrent fade la beauté spectaculaire de Brad Pitt – justement parce que trop parfaite. À l’opposé, laid et sexy, est-ce possible ? Quand elle était mariée à Lyle Lovett (chanteur country d’une laideur quasi légendaire), Julia Roberts a un jour révélé qu’elle était « transportée », qu’elle « ne se pouvait plus », simplement en le voyant entrer dans une pièce. De quoi donner du poids à l’adage bien connu : La beauté est dans l’œil de celui (ou celle) qui regarde. C’est cliché, peut-être, mais au moins c’est d’Oscar Wilde.
L’idée de beauté a longtemps été réservée aux femmes, avec les tortures que l’on sait (corsets étouffants à une certaine époque, épilation brésilienne aujourd’hui). Ce n’est bien sûr plus le cas. Les hommes aussi sont constamment la cible d’images léchées, sans l’ombre d’une bedaine ni le début d’un petit poil indiscipliné. Dans une étude américaine récente, 45 % des gars interrogés s’avouaient insatisfaits de leur apparence physique. Désolées, les boys, mais cela ne fait que commencer…
Quant aux concepts homme sexy et homme-objet, ils sont en fait très récents et datent des débuts du féminisme. Il y a bien eu le Gala du plus bel homme du Canada, ce fameux concours lancé à la fin des années 1960 par Lise Payette, ancienne collaboratrice de Châtelaine.
Nous n’avons pas voulu jouer à ce jeu-là. En préparant notre dossier « Les hommes qu’on aime », une première dans l’histoire de notre magazine, nous n’avons pas choisi la beauté comme premier critère, ni même le sex-appeal. D’ailleurs, au moment des discussions, des noms de toutes sortes ont fusé – et quelques « Oh ! mon Dieu, c’est l’homme le plus sexy au monde ! » Malgré la difficulté à nous entendre, nous sommes arrivées à un certain consensus, sans crépage de bec ni prise de chignon (et vice versa). Le choix final a donc été fait à partir de ce que ces hommes sont, de ce qu’ils font, plutôt que de quoi ils ont l’air (mais, bon, c’était pas un défaut d’être cute en plus).