Confortablement installée sur le canapé du salon, au milieu des jouets et des animaux en peluche, Sandrine Nolin écarquille les yeux et roucoule pour répondre aux gazouillis de Daphnée. La poupoune de cinq mois est repue après avoir bu tout son soûl. « Je savoure ces moments de tranquillité », confie la jeune maman, tandis que sa grande de trois ans, Charlotte, fait une sieste à l’étage.
Originaire de Montréal, Sandrine, 29 ans, s’est établie à Québec il y a cinq ans après avoir déniché un boulot de physiothérapeute dans la région. Son conjoint, Marc, électricien, n’a pas eu de mal à trouver du travail. « On a tout de suite cherché un appartement avec trois chambres à coucher, dit-elle. On savait qu’on voulait fonder une famille. » Si un troisième poupon venait à se pointer le bout du nez – un scénario loin d’être exclu –, Daphnée partagerait la chambre de Charlotte.
Au Québec, depuis quelques années, les jeunes couples avec enfants, comme Marc et Sandrine, sont de plus en plus nombreux. Un intérêt nouveau pour la famille souffle sur la province. La carrière, c’est bien beau, mais avoir des enfants, c’est cool. Et c’est plus facile aussi, grâce aux mesures mises en place par le gouvernement pour alléger le fardeau des parents. En 2008, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a enregistré 87 600 naissances, soit 500 de plus que l’année précédente. Le taux de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants par femme en âge de procréer, atteint maintenant 1,7. « On n’avait pas vu de tels chiffres depuis 1976 ! » s’exclame Chantal Girard, démographe à l’ISQ.
Politiques coup de pouce
Depuis la fin des années 1990, Québec met les bouchées doubles pour inciter les jeunes familles à se multiplier. D’abord, en créant des places en garderie à 7 $ par jour (qui, initialement, étaient à 5 $).
S’ajoute à cela le paiement du programme Soutien aux enfants. En 2009, un couple avec un enfant de moins de 18 ans reçoit du gouvernement un montant variant entre 608 $ et 2 166 $, selon ses revenus. Pour un couple avec trois enfants, la somme versée se situe entre 1 730 $ et 4 332 $.
Le petit dernier de la politique familiale du Québec : un congé parental plus long, plus souple, dont peuvent également bénéficier les travailleurs autonomes. Dix-huit semaines de congé de maternité et cinq semaines de congé de paternité, auxquelles s’additionnent jusqu’à 52 semaines de congé parental, que les nouveaux parents peuvent se partager comme bon leur semble.
De son côté, Ottawa aide les parents à payer les frais de garde en leur accordant 100 $ par mois pour chaque enfant de moins de six ans.
C’est chez les femmes de plus de 30 ans que le nombre de naissances a davantage augmenté. Celles de 30 à 34 ans font 30 % plus d’enfants en moyenne qu’en l’an 2000. Et pour les femmes de 35 à 44 ans, le bond est de 60 % ! Les jeunes de 24 à 28 ans s’y mettent aussi. On constate une légère hausse des naissances dans ce groupe d’âge, qui, depuis 15 ans, avait de moins en moins de bébés.
Cela dit, il est trop tôt pour crier victoire. Les Québécoises font toujours moins d’enfants que les Américaines, les Françaises ou les Scandinaves. Elles n’arrivent pas à assurer le renouvellement de la population du Québec : il faudrait, pour cela, un indice de fécondité de plus de 2,1 enfants par femme. « Bien sûr, on est très loin du baby-boom de l’après-guerre, où l’on enregistrait 140 000 naissances par année, dit Chantal Girard. Mais on peut parler d’un baby-bump. »
Si les congés parentaux prolongés et les avantages financiers accordés aux familles ont favorisé ce baby-bump, Renée Brien-Dandurand, démographe au centre Urbanisation, culture et société de l’INRS, croit qu’il y a bien d’autres facteurs qui l’expliquent. « il est certain que l’implication des jeunes pères joue un rôle déterminant, affirme-t-elle. De plus en plus d’hommes profitent du congé parental et mettent la main à la pâte. » Être parent, de nos jours, c’est vraiment devenu un travail d’équipe.
Le conjoint d’Emmanuelle Pednaud-Jobin a réduit ses heures de travail d’enseignant dans une école secondaire de Gatineau pour s’occuper de leurs trois bouts de chou, Isabelle, six ans, Marie-Hélène, quatre ans, et Julien, trois ans. « Ça n’a rien à voir avec la génération de mes parents, dit cette traductrice juridique de 37 ans. Entre Marcel et moi, c’est 50-50. Ça me permet de travailler et d’avoir un peu de temps pour moi. » Si Marcel n’avait pas déjà 49 ans, Emmanuelle aurait même sérieusement songé à mettre au monde un quatrième enfant.
Il n’y a pas que les hommes qui changent. Les milieux de travail également. On peut plus facilement qu’hier trouver du boulot à temps partiel. Le télétravail aide aussi les parents à adapter leurs horaires à celui de la garderie ou des matchs de soccer du petit dernier. En général, les patrons sont plus compréhensifs. « On voit moins de jeunes miser sur leur carrière au péril de leur vie personnelle, dit Renée Brien-Dandurand. La famille redevient une priorité. »
Emmanuelle la traductrice se souvient d’avoir dû, faute de gardienne, emmener sa petite au bureau. Avec l’assentiment de sa patronne ! « L’époque où les femmes de carrière regardaient les mères de haut est terminée, dit-elle. Aujourd’hui, ce sont les couples sans enfants qui sentent le besoin de se justifier. »
Oui, être parent, c’est tendance. On ne compte plus les vedettes de Hollywood qui exhibent fièrement leur ventre de femme enceinte. Au Québec, on a été ravi d’apprendre que Véronique Cloutier attendait son troisième enfant. « Les téléromans québécois font également la part belle aux familles », indique Benoît Laplante, démographe au centre Urbanisation, culture et société de l’INRS. La série Les Parent, à Radio-Canada, fait un tabac. Sur Internet, Les chroniques d’une mère indigne connaissent aussi beaucoup de succès. « Ça peut inspirer de jeunes mères et de jeunes pères », avance-t-il.
Le baby-bump du Québec continuera-t-il sur sa lancée ou disparaîtra-t-il aussi vite qu’il est venu ? « Plusieurs de mes amies veulent au moins deux, sinon trois enfants, assure Sandrine Nolin. Rien à voir avec les baby-boomers. Je suis fille unique. Quelques-unes de mes copines aussi. On trouve qu’une famille nombreuse, c’est nettement plus
Petit tour du monde des naissances
Québec
Pas encore mûr pour le podium…
Au palmarès de la fécondité en 2006 (année la plus récente pour laquelle des données officielles sont disponibles), le Québec n’arrivait qu’au quatrième rang des provinces canadiennes (indice de 1,7), derrière la Saskatchewan (1,92), le Manitoba (1,87) et l’Alberta (1,82). Explication?: les populations autochtones des trois meneuses font beaucoup d’enfants.
Etats-Unis
Le poids des minorités
Aux États-Unis, l’indice de fécondité était de 2,1 en 2008. Pourtant, nos voisins du Sud ne profitent ni de congés parentaux payés ni de garderies subventionnées. La présence de groupes ethniques pour qui la famille est une valeur cruciale – par exemple, les Latino-Américains – pèse lourd dans la balance.
Europe du Nord
Des États modèles
Les pays scandinaves se tirent plutôt bien d’affaire avec des indices de fécondité oscillant entre 1,81 (Danemark) et 1,85 (Norvège). Les biberons ont aussi la cote au Royaume-Uni (1,83), en Irlande (1,95) et en Islande (2,07).
France
Vive la famille nombreuse !
La France fait des jaloux. Avec deux enfants en moyenne par femme en âge de procréer, le pays atteint presque le seuil de renouvellement de sa population. Pour venir en aide aux jeunes parents, le gouvernement a mis en place plusieurs programmes (allocations familiales, allégements fiscaux, congés parentaux, accès aux garderies).
Europe de l’Ouest
Pas les moyens d’avoir des enfants
En Allemagne, en Autriche et en Suisse, l’indice de fécondité traîne sous la barre de 1,4. Trop cher, les enfants, disent les jeunes couples. En 2005, la ministre allemande responsable de la famille, Ursula von der Leyen, mère de sept enfants, a consenti des crédits d’impôt et a octroyé de nouvelles places dans les garderies subventionnées. Mais, à ce jour, ces mesures donnent peu de résultats.
Europe du Sud
Le machisme, c’est contraceptif !
En Italie, en Espagne et en Grèce, on compte environ 1,3 enfant par femme. Les relations de couple traditionnelles – l’homme pourvoyeur et la femme qui prend soin de la marmaille – seraient un obstacle au désir de poupons. Avec un seul salaire et sans appui de l’État, les familles peinent à joindre les deux bouts.
Europe de l’Est
La chute de l’empire
La pauvreté et la dégradation des conditions de vie y ont réduit le nombre de naissances, surtout depuis la chute de l’empire soviétique. L’indice de fécondité piétine à 1,25 en Ukraine, à 1,23 en République tchèque et à 1,22 en Lituanie.
Japon
Hors de prix, les marmots !
Avec une moyenne de 1,22 enfant par femme, le Japon est dans le peloton de queue. On montre du doigt le coût de la vie exorbitant. Surtout que les couples avec enfant ne doivent souvent compter que sur un seul salaire : on s’attend à ce que la femme quitte son emploi pour s’occuper du ou des petits.