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Société

Papas éprouvettes

À l’aide d’un flacon stérile (et d’un magazine porno), ils font don de leur personne. On ne connaît pas les donneurs de sperme. Mais on les aime quand même.
Par Pierre Cayouette | Photos : Getty
Papas éprouvettes


 

J’étais le seul homme dans la salle d’attente d’une clinique privée montréalaise. À mes côtés, quatre femmes enceintes feuilletaient distraitement des magazines. Toutes se sont tournées vers moi quand l’infirmière assise à la réception a levé les yeux au-dessus de ses besicles en me tendant un flacon de verre et un vieux mensuel pornographique. « M’sieur Caouette (elle a oublié le “y”...), c’est pour votre spermogramme! Vous allez dans la salle de bains, là, puis vous revenez me voir avec votre petite bouteille. » J’aurais souhaité qu’elle parle moins fort... Ladite salle de bains – dont je n’ai pas oublié les miroirs immenses et les néons éclatants – donnait justement sur la salle d’attente. Quand j’en suis sorti, la main bien serrée sur mon flacon, heureux d’avoir surmonté mes difficultés de concentration, j’ai encaissé sans broncher le sourire nerveux de toutes ces futures mères.

Il faut avoir vécu, ne serait-ce qu’une fois, ce type d’expérience pour admirer encore davantage ceux qui offrent leurs spermatozoïdes à des couples stériles inconnus. Ils constituent un petit escadron dont les soldats ont été triés sur le volet. Sur les 4 633 hommes qui ont passé un test de dépistage en vue de faire un don au cours des dernières années, à peine 60 ont répondu aux critères extrêmement exigeants en vigueur au pays. C’est ce que révèle une vaste étude publiée en mai 2010 par des chercheurs de la faculté des sciences de la santé de l’Université McMaster, à Hamilton.

L’étude dévoile aussi que le bassin des donneurs potentiels est restreint : les chercheurs l’estiment à 0,088 % de la population masculine admissible. On ne garde que la crème de la crème, des hommes dans la fleur de l’âge affichant un bilan de santé parfait. « L’immense majorité des volontaires ne franchissent pas la première étape. Soit parce que leur spermogramme n’est pas assez “fort”, soit parce que l’on détecte des maladies héréditaires ou des tares génétiques », explique le Dr François Bissonnette, fondateur et directeur médical de la Clinique Ovo, où l’on effectue bon an mal an quelque 700 fécondations in vitro et plus de 1 600 inséminations intra-utérines.

Le Québec compte trois banques de sperme. Deux d’entre elles logent dans les cliniques privées Ovo et Procréa. La troisième, celle du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), est pratiquement à sec.

« Nous manquons de donneurs. Or, les besoins ne cessent de croître », dit non sans inquiétude l’obstétricien-gynécologue Jacques Kadoch, principalement rattaché au CHUM. Comme le gouvernement du Québec rembourse désormais les trois premiers traitements d’infertilité, on s’attend à voir considérablement augmenter le nombre de demandes d’insémination par donneur ici. Toutefois, ce remboursement ne s’applique que dans les cas où le donneur est anonyme. Il est possible d’avoir recours à un donneur non anonyme, mais il faut alors payer la totalité des frais.

Le Dr François Bissonnette rappelle que 95 % des patients qui ont recours à la procréation assistée préfèrent ne pas connaître l’identité du donneur. L’anonymat, ajoute le spécialiste, rend aussi moins ardu le recrutement de donneurs.

Alors, qui sont les donneurs de sperme rattachés aux cliniques de fertilité? On a longtemps cru qu’il s’agissait surtout d’étudiants en médecine. « C’est une légende urbaine. C’était peut-être vrai au début, il y a 30 ans, mais ce n’est plus le cas », dit le Dr Bissonnette. « Ils viennent de tous les milieux. On les recrute par les réseaux sociaux comme Facebook, des forums sur Internet et des annonces dans les universités, par exemple », poursuit l’obstétricien-gynécologue, aussi chef du Service d’endocrinologie de la reproduction et infertilité à l’Hôpital Saint-Luc, à Montréal.

Les donneurs ont généralement entre 25 et 35 ans. Les hommes plus mûrs qui seraient tentés par l’aventure doivent y renoncer, du moins dans les cliniques privées comme Ovo ou Procréa. « On connaît depuis longtemps les risques liés à la grossesse tardive chez la femme, indique le Dr Bissonnette. On commence maintenant à en savoir aussi davantage sur les conséquences chez les pères plus âgés. Des études épidémiologiques ont démontré qu’il y avait une plus grande incidence de maladies mentales, comme la schizophrénie, chez les enfants nés de pères biologiques de plus de 50 ans. »

Puisque les dons sont anonymes, toutes les cliniques refusent catégoriquement de fournir des noms de donneurs aux médias. C’est grâce à des forums sur le Web que j’ai réussi – non sans difficulté – à en retrouver quelques-uns.

Comme Philippe (nom fictif), 32 ans, informaticien, père de famille, qui a donné son sperme durant deux ans. Il a cessé, faute de temps. Il explique avoir été sensibilisé à la question par le drame d’un couple d’amis. « J’avais vu les souffrances de mes amis. Je les ai vus se décourager, puis se relever. Et je voulais m’impliquer, pas nécessairement pour eux, mais pour d’autres. Pour moi, c’est un peu comme donner du sang. » Il avoue ne pas avoir été freiné par des préoccupations morales.

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« Je ne pense même pas à ce qui suivra, je ne me pose pas trop de questions. L’idée de repérer les enfants qui naîtront de mes dons, ou de chercher à les voir, ne m’effleure même pas l’esprit. »

Un autre donneur, Luc, 45 ans (exclu des cliniques Ovo et Procréa parce qu’il n’appartient pas au groupe d’âge recherché  – « Un homme ne devient pas stérile à 40 ans! » peste-t-il), offre ses services sur le Web. « Sans sexe et gratuitement », précise-t-il, pour se dissocier des « profiteurs et des pervers », qui pullulent sur ces tribunes. Sans complexes, il se dit flatté que des gens aient envie de donner la vie à quelqu’un qui lui ressemble.

Une étude de psychologues français citée l’automne dernier par le magazine L’Express a établi une typologie des donneurs de sperme. Il y a les « convertis », comme Philippe, ami d’un couple qui ne pouvait avoir d’enfant (73,1 %), les « spontanés » (22,7 %), comme Luc, qui le font par initiative personnelle et les « sollicités » (4,2 %), à qui on l’a proposé lors d’une visite à la clinique pour une autre raison.

Une chose est sûre : les donneurs ne sont pas motivés par l’appât du gain. La Loi sur la procréation assistée, adoptée par le Parlement fédéral en 2004, interdit en effet la rémunération en échange d’ovules ou de spermatozoïdes. En décembre dernier, la Cour suprême a confirmé la validité de cet aspect de la loi.

Au Québec, et ailleurs au Canada, on offre tout au plus un « dédommagement » correspondant aux frais occasionnés par les déplacements, jusqu’à concurrence de 100 $. « C’est bien peu, compte tenu de tout ce que l’on demande à ces jeunes hommes », déplore le Dr Bissonnette.

Le don implique en effet plusieurs contraintes. Il faut notamment se soumettre à une foule de tests médicaux et avoir été abstinent trois jours avant de livrer la marchandise.

La conséquence? Plus de 80 % du sperme qu’on utilise dans les cliniques québécoises et canadiennes proviennent de donneurs américains, qui, eux, sont rémunérés. La banque la plus importante du pays, celle du Toronto Institute for Reproductive Medicine (ReproMed), ne comptait que 35 donneurs canadiens en janvier 2010.

Une armée d’élite restreinte que celle des donneurs en clinique, disait-on. L’étude des chercheurs de Hamilton a établi que les banques de sperme canadiennes comptent tout au plus 200 hommes disposés et autorisés à faire un don. De ce nombre, moins de 40 sont canadiens. Les autres sont américains ou européens. Santé Canada n’interdit pas l’importation de sperme, d’où ce commerce.

Une fois le don fait, les échantillons sont obligatoirement congelés pendant six mois avant d’être utilisés, le temps de vérifier s’ils sont porteurs de maladies infectieuses transmissibles. Les critères de Santé Canada sont très contraignants. Plus qu’aux États-Unis, par exemple, où la Food and Drug Administration (FDA), contrairement au Canada, n’exige pas le dépistage de la chlamydia pour chaque éjaculat.

Pour réduire le risque de consanguinité dans la population, un don de sperme contribue à la naissance d’un maximum de 10 enfants, au Québec comme partout au Canada.

Le geste demeure anonyme et le nom des donneurs n’est pas transmis aux parents ou aux enfants conçus grâce au don.

Les donneurs ne peuvent pas non plus voir leur progéniture. En France, cependant, un projet de loi déposé l’automne dernier propose qu’on puisse dévoiler le nom du père biologique à l’enfant à sa majorité. Aux États-Unis, une femme devenue mère à la suite d’une insémination, Wendy Kramer, a créé il y a 10 ans un site Internet (donorsiblingregistry.com) visant à mettre en contact les donneurs de sperme ou les donneuses d’ovules et les enfants qui en sont nés. Le site connaît une croissance exponentielle, surtout depuis que les médias ont révélé en 2009 qu’il avait permis à un Américain de la Virginie, véritable « Starbuck » (célèbre taureau canadien, géniteur de centaines de milliers de veaux) de localiser 120 de ses enfants...

Même si le nom des donneurs ne peut être divulgué, l’anonymat perd de son étanchéité. Aux États-Unis et au Danemark, certaines cliniques permettent aux parents de consulter des banques de photos de donneurs et des renseignements détaillés sur leur compte.

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Dans la banque de donneurs de l’institut ReproMed de Toronto, accessible sur le Web, on trouve des fiches signalétiques extrêmement précises. Le couple « receveur » a le choix, par exemple, entre le sperme d’un Ontarien d’origine mexicaine (1,80 m, 75 kg) qui a appris le piano pendant 10 ans et dont la mère est morte d’un infarctus à 68 ans, ou encore d’un Québécois aux yeux bleus (1,83 m, 72 kg), ancien joueur de hockey junior, qui possède une maîtrise en génie biomédical. Il ne manque que le nom et l’adresse.

Si une fiche signalétique indique que le donneur est journaliste, je vous préviens tout de suite : ce n’est pas moi...


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