Je suis policier depuis 34 ans. À mes débuts, il était rare qu’un dossier de violence conjugale se rende jusqu’au tribunal. Maintenant, c’est beaucoup plus fréquent. Le progrès est bien moindre dans les cas d’infractions sexuelles. Il y a encore tellement de honte rattachée au fait d’avoir été agressé sexuellement qu’il faut énormément de courage pour déposer une plainte. Alors qu’il n’en faut pas du tout pour rapporter un cambriolage.
Il faut changer la perception que les victimes ont d’elles-mêmes, pour ne pas laisser cet événement devenir irrémédiablement traumatisant. Elles n’ont rien fait de mal, on leur a fait du mal. Selon moi, il ne faut pas changer la loi; je crois qu’il faut mieux l’appliquer.
La brigade des crimes sexuels à laquelle j’appartiens enquête sur les agressions sexuelles avec pénétration, les prédateurs sexuels, les agressions sexuelles en série et autres cas graves impliquant des victimes âgées de quatorze ans et plus. Nous recevons tous les signalements, nous enquêtons et procédons aux arrestations.
Un entraînement spécial est nécessaire pour intervenir auprès des victimes de tels crimes. Nos policiers suivent un cours de neuf jours où ils apprennent à traiter les éléments de preuve et à travailler avec les témoins et les victimes.
Des psychologues, médecins, travailleurs sociaux et infirmières spécialisées en agressions sexuelles donnent des conférences et sensibilisent les policiers aux besoins particuliers de ces personnes. Et à l’importance d’en tenir compte même s’ils sont accessoires à l’enquête.
Nous traitons la victime en gardant en tête qu’elle souffre peut-être d’un choc post-traumatique susceptible d’altérer son souvenir de l’événement. Si c’est le cas, nous devons être en mesure de le détecter pour, par exemple, reporter l’interrogatoire. La santé de la personne passe avant les besoins de l’enquête. Ce n’est pas comme si vous enquêtiez sur un cambriolage.
Parfois, le témoignage de la victime est suffisant pour porter des accusations. C’est pourquoi nous rencontrons les personnes à qui elle s’est confiée avant de contacter la police, une procédure qui ne s’applique qu’aux crimes sexuels. Leur témoignage constitue une corroboration, admissible en cour. Nous pouvons aussi obtenir de l’information à partir de textos ou du téléphone de la victime.
Il arrive que nous, nous voudrions pousser un dossier même quand les chances d’obtenir une condamnation sont faibles. Mais pourquoi faire revivre inutilement à la victime ce traumatisme par le biais du processus judiciaire? Dans ces cas-là, nous décidons parfois de publier des communiqués aux médias pour rapporter une agression, ce qui encourage d’autres victimes à dénoncer ce même agresseur. Les infractions peuvent ainsi être combinées en un seul dossier beaucoup plus solide.
Le nombre d’agressions non signalées me dérange beaucoup. Pour l’instant, les deux seules possibilités sont de déposer ou non une plainte. Les gens devraient avoir plus d’options. Nous pourrions permettre, par exemple, un signalement anonyme fait en ligne comme point de départ. Ou donner la possibilité aux victimes de parler directement à un enquêteur, de lui raconter les événements pour ensuite décider ou non de déposer une plainte.
Dans plusieurs des cas, les victimes étaient intoxiquées au moment de l’agression et n’avaient pas de témoin. Il peut arriver à n’importe qui de prendre de mauvaises décisions sous l’influence de drogues ou d’alcool. Il ne faut jamais blâmer la personne. »
Propos recueillis par Genna Buck du magazine Macleans.