Reportages

Poupoune académie

À Moscou, des célibataires prennent des leçons de séduction dans l’intention de harponner l’homme russe. Et de le dompter !

Ventre latDans la cour d’un bâtiment en béton blanc, vacillant sur ses talons aiguilles, une grande blonde en minijupe s’avance timidement vers un homme aux cheveux poivre et sel. Il fume une cigarette en faisant mine de ne pas l’avoir remarquée. Le sourire hésitant, elle tente d’attirer son attention. En vain. « Tu vas rester vieille fille si tu continues ainsi ! finit par lui lancer le prétendant. Ton attitude effraie les hommes ! »

Vladimir Rakovsky ne ressemble pas à Brad Pitt. Ce qui n’empêche pas ce psy­chologue au ventre rond reconverti en mentor de la séduction de multiplier sans complexe les jugements et les remarques. « Vous devez devenir des manipulatrices et prétendre être faibles tout en possédant la force d’une tigresse ! » répète-t-il à ses élèves.

Dans le centre éducatif du boule­vard Leninsky Prospect, à Moscou, une vingtaine de femmes de 18 à 50 ans boivent ses paroles. Qu’elles soient étudiantes, fonctionnaires ou en affaires, elles présentent une volonté commune : mettre le grappin sur un homme.

L’institution, qui suscite curiosité et controverse, a été surnommée Bitch Academy (« École des garces ») par les médias étrangers. Mais son fondateur rectifie le tir. « En réalité, ça devrait plutôt s’appeler “l’école du succès” ». Il préfère d’ailleurs employer le terme stiervas (manipula­trices, en russe) qu’il traduit lui-même par « vraies femmes ». « Notre école enseigne comment utiliser ses atouts avec audace et assurance », précise-t-il, l’air sérieux.

Vladimir Rakovsky ne ressemble pas à Brad Pitt. Ce qui n’a pas empêché ce psy au ventre rond de se reconvertir en mentor de la séduction.

Ventre lat

Garces, manipulatrices ou séductrices, qu’importe le nom… Les candidates sont nombreuses à s’inscrire au programme, un cours réparti sur six semaines ou un week-end intensif. Depuis sa création en 1998, l’établissement a essaimé dans une dizaine de villes en Russie et en Ukraine. Sur la couverture de la brochure publicitaire apparaît une « pitoune » à la taille de guêpe, moulée dans une robe en latex. On voit quel est le style de la maison. De la Strip Lastic (gymnastique lascive) à l’art du jeu en passant par les cours de maintien, la proposition (ou l’offre) est prometteuse.

Mises en situation, jeux de rôles, théâtre, exercices, toutes les techniques de « dressage » sont bonnes. Les étudiantes répètent des gestes et apprennent des répliques par cœur. Elles jouent tour à tour le rôle de petite fille, de confidente, de maîtresse, de maman. C’est la clé de la méthode Rakovsky, un mélange de psychologie comportementale, de leçons théoriques et de conseils pratiques. Parfois, un jeune homme sert de cobaye mais, la plupart du temps, Rakovsky est le seul lion dans l’arène. « Je t’aime », roucoule une rousse au visage de poupée en s’asseyant sur ses genoux. Le mentor sourit et bat des paupières. « Afin d’obtenir ce que vous voulez, imitez les enfants, dit-il. Manipulez les gens et faites-les changer d’avis ! »

« Ici, on distribue les vitamines nécessaires au renforcement de la personnalité », dit Eugénie Steshova, associée et… épouse du fondateur. Et ses clientes sont ravies… « Ce cours m’a donné confiance en moi. J’ai changé ma façon de bouger, de m’habiller et de me comporter avec les hommes », affirme Margaritta, secrétaire de 25 ans qui a suivi une session intensive il y a un an. Et cela a fonctionné. « J’ai conquis celui que je voulais. Mais, ajoute-t-elle en esquissant un sourire, je l’ai quitté depuis… »

Solution miracle qui marche à tous coups ? « Une fille rusée, capable de jauger l’homme à qui elle a affaire s’adaptera et parviendra à ses fins », explique Eugénie Steshova, l’associée de Rakovsky. Ex-mannequin et professeure de danse, cette Vénus de 23 ans est entrée à « Poupoune Académie » en 2005. Depuis, elle y donne des cours de maintien et y enseigne l’art du striptease. Elle a même épousé le fondateur ! Avec ses jambes effilées, son nez retroussé, sa minijupe léopard et son sac Prada, la belle illustre tout à fait ce que Vladimir Rakovsky entend par le mot stierva…

« C’est vrai que j’ai toujours eu de la chance avec les hommes, admet Eugénie de sa voix douce. Mais la beauté, ce n’est pas tout. »

En fait, selon elle, une fille intelligente a beaucoup de latitude : elle sait flairer, jouer, s’abstenir ou foncer au bon moment. « Ici, on travaille les forces et les faiblesses de chacune. On distribue les vitamines nécessaires au renforcement de leur personnalité », conclut-elle.

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Et Rakovsky d’ajouter : « Celle qui s’inscrit au cours a été programmée par sa famille, la société, son passé. Notre but est de la déprogrammer afin qu’elle puisse prendre son destin en main. »

Assoiffées d’indépendance mais issues d’une société foncièrement patriarcale, les Russes ont perdu leurs points de repère en matière de jeux amoureux. L’éclatement de l’URSS et le capitalisme sauvage ont complètement bouleversé les rapports entre les deux sexes dans la Russie postcommuniste. De 1990 à 2008, le nombre annuel de divorces a plus que doublé.

« Il y a beaucoup d’hommes autour de moi, mais je n’arrive pas à attirer ceux qui me plaisent », explique Yana, 30 ans, en dégageant une mèche noire de son visage. Après plusieurs relations avortées, cette consultante en immobilier a donc décidé de débourser les 6 000 roubles (210 $) que coûte le cours.

« Aujourd’hui, la Russe travaille, s’affirme, achète un appartement. L’homme en a peur. Il faut donc le poursuivre… » précise Vladimir Rakovsky.

Autonome, jolie et cultivée, Yana est l’archétype de la « nouvelle Russe » à qui s’adresse cette Poupoune Académie. « Aujourd’hui, la Russe travaille, s’affirme, achète un appartement. L’homme en a peur. Il est lâche. Il faut donc le pour­suivre… » précise Rakovsky.

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Les femmes qui veulent trouver le prince charmant – c’est-à-dire un bon parti, pourvu d’un portefeuille bien garni – doivent s’accrocher, car la concurrence est féroce. Plus nombreuses que les hommes (dont l’espérance de vie est de 59 ans seulement, à cause de l’alcoolisme), elles ont besoin de nouvelles tactiques pour se démarquer du lot. Aveuglés par le pouvoir de l’argent, ceux qui se sont enrichis grâce aux revenus du pétrole enchaînent les conquêtes afin de dénicher la perle rare. Et ils ont le choix.

À Moscou, la rue ressemble à une passerelle de défilés de mode. Les bars et les boîtes de nuit de luxe poussent tels des pissenlits dans cette ville désormais cotée comme la plus chère au monde.

Vladimir Rakovsky s’est mis au diapason de cette réalité. Dans son programme, une session est consacrée à « l’art d’attirer les princes ». On y apprend entre autres la manière de se tenir à table ou de se déhancher dans une soirée de façon à attirer le regard d’un ministre ou d’un chef d’entreprise. « Nous avons eu de bons résultats », déclare le professeur. C’est-à-dire ? « Certaines élèves ont épousé des oligarques. » Mais il ne dit pas combien.

Techniques de harponnage
« L’école des garces » a fait bien des émules. En tapant « écoles de séduction en Russie » sur un moteur de recherche, on voit défiler une liste de nom . Le site de Yulia Varra, par exemple, propose « Comment se marier en trois mois » et « Fellation pour expertes ». La formation de cette enseignante moscovite de 40 ans, axée sur les rapports sexuels, a gagné en popularité. Certains programmes offrent même des cours personnalisés par correspondance, au coût de 2 500 $ US pour six semaines. Quant aux mordues de l’Asie, elles peuvent s’inscrire à « l’école des geishas », spécialisée dans les cours de massage et de danses érotiques d’Extrême-Orient. Mieux ? L’école de gymnastique des muscles vaginaux (School for vaginally-used-muscles building), qui enseigne à utiliser ses organes sexuels avec dextérité. Satisfaction garantie ou argent remis.

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