Vague de suicides chez les infirmières (Le Journal de Montréal, août 2010). Infirmières : explosion des heures supplémentaires (La Presse, mars 2010)…
On n’entend et on ne lit que des mauvaises nouvelles sur les infirmières. « C’est vrai mais, quand tu es dans le milieu, tu vois qu’elles ne sont pas toutes à terre, qu’elles sont de bonne humeur et qu’elles aiment leur job. »
À 19 ans, Stéphanie Veilleux est l’une des plus jeunes étudiantes de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal (UdeM). Et, mauvaises nouvelles ou pas, elle est sûre de son choix.
« Je suis probablement naïve, dit-elle, mais je pense que les conditions vont s’améliorer parce que les infirmières se battent. » Ce qui l’inquiète le plus : tenir le coup pendant les trois années de bac – elle habite Saint-Eustache, à 1 h 30 d’autobus et de métro du campus.
Stéphanie fait partie des 5 500 futures infirmières assises sur les bancs d’école. Dans les cégeps et les universités qui offrent la formation, on refuse du monde.
« Travailler toute la journée devant un ordinateur ? Mon Dieu, non ! » dit-elle en grignotant son sandwich dans une salle du Pavillon Marguerite-d’Youville à l’UdeM. « Je veux être avec les gens, savoir que je peux améliorer les choses, même si ce n’est que leur tenir la main. Ça, c’est valorisant ! »
Stéphanie n’oubliera jamais son premier contact avec un patient, un homme de 74 ans à qui elle devait faire une piqûre d’insuline. « Il faut prendre le gras d’une main et tenir la seringue dans l’autre, explique-t-elle en mimant le geste sur son abdomen. Mes mains tremblent naturellement, et elles tremblaient encore plus parce que j’étais nerveuse. » Cette première expérience lui a permis de le confirmer : elle a ce qu’il faut pour devenir infirmière.
Avant, on aurait parlé de vocation. Le mot fait tiquer Vitalie Perreault, responsable de la formation clinique des étudiants de première année à la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM. « Une vocation, dit-elle, c’est entrer au couvent et donner sa vie à Dieu. Pour être infirmière, il faut avoir un intérêt, une motivation, aimer aider les autres. Ce n’est pas une vocation, c’est une profession. »
Gyslaine Desrosiers, présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), apporte certaines nuances. « Je pense qu’il y a un aspect vocationnel, mais ce n’est pas le seul domaine qui exige cela. Soigner les gens, c’est une cause. Il faut que celles et ceux qui exercent cette profession aient du cœur. » Choisir les sciences infirmières, c’est aussi un choix de carrière… judicieux.
Taux de placement : 100 %
Gyslaine Desrosiers est fière de l’affirmer : « Pas de chômage dans notre domaine ! » Une situation qui va durer : le Québec aura besoin de 2 500 à 3 000 nouvelles infirmières par année, et ce, jusqu’en 2020, estime l’OIIQ.
Il y a quelques mois, Mélanie Bourget, étudiante de troisième année, terminait sa dernière session le cœur léger. Elle voyait son arrivée sur le marché de l’emploi avec une grande sérénité. « J’ai envoyé un courriel là où je veux travailler, à l’Hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay, racontait-elle. J’ai reçu une réponse 30 minutes plus tard. » Et c’est là que, après avoir passé l’examen de l’OIIQ et obtenu sa certification, la jeune femme de 26 ans commence ces jours-ci sa carrière d’infirmière. « Je n’aime pas les hôpitaux. Sérieusement. Celui pour lequel j’ai opté est récent (inauguré en 1988) et ne sent pas “l’hôpital”. » Je sais qu’ici je vais pouvoir me développer. »
Choisir son cadre de travail, être assurée d’un boulot avant même l’obtention de son diplôme : peu de champs d’études en promettent autant. Il y a moins de 20 ans, la réalité de la profession était tout autre.
« Quand j’ai fini mes études en 1993, j’étais disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et je ne travaillais pas à temps plein », se souvient Vitalie Perreault.
À partir du milieu des années 1990, le système de santé québécois a amorcé une réforme complète visant à baisser les coûts, avec le fameux virage ambulatoire (pour réduire les hospitalisations au maximum) et la mise à la retraite « forcée » de 4 000 infirmières. Ensuite, le vieillissement de la population en général, et celui du personnel infirmier en particulier (une infirmière sur cinq a aujourd’hui plus de 55 ans), indique que Stéphanie, Florine et les autres n’ont pas de souci à se faire…
Salaire de départ : 44 000 $
Le sentiment général, dans la population, c’est que les infirmières ne gagnent pas assez. « C’est faux, dit Vitalie Perreault. Le salaire est très raisonnable. » Et ce, dès la sortie du cégep ou de l’université. « Déjà, pour un jeune, la possibilité de gagner 44 000 $ en finissant l’école à 22 ou 23 ans, c’est énorme », considère Julie St-Onge, infirmière et présidente du Comité jeunesse provincial de l’OIIQ.
Des conditions attirantes, et pas seulement pour les jeunes. « Entre 20 % et 25 % de nos diplômés sont des gens de plus de 30 ans, en plein changement de carrière », dit Gyslaine Desrosiers.
Ndeye-Sophie Thior est de ce nombre. Elle a 33 ans, quatre enfants et un mari étudiant en médecine à l’Université Laval. La famille a quitté le Sénégal en 2008. « Mon mari était contrôleur aérien et moi, informaticienne. Nous avions de bons salaires. Mais nous avons immigré ici pour que nos enfants aient de meilleures conditions d’études. »
Sophie, comme tout le monde l’appelle à l’université (« Personne n’est capable de dire Ndeye »), a commencé ses études en sciences infirmières à l’automne 2010.
Elle l’affirme sans ambages : devenir infirmière est probablement l’une des seules façons pour elle d’échapper au sort réservé à tant d’immigrés – petits boulots instables et mal payés. Quand le découragement la gagne, elle se dit que, une fois ses études terminées, elle aura un travail assuré et un salaire décent.
Les classes de première année accueillent même des médecins étrangers, surtout maghrébins, dont la formation n’est pas reconnue ici et qui espèrent travailler un jour dans le système de santé québécois… comme infirmiers.
Des possibilités infinies
À titre de présidente du Comité jeunesse provincial de l’OIIQ, Julie St-Onge prend souvent son bâton de pèlerin pour promouvoir la profession dans les Journées Carrières, les kiosques, les Salons de l’emploi et les écoles secondaires. « Je vois qu’il y a encore plusieurs mythes qui perdurent : pour les jeunes, une infirmière suit les directives du médecin et fait des prises de sang. Mais quand je leur explique la polyvalence, le développement quasi exponentiel de la profession, l’autonomie, le côté scientifique, des yeux s’illuminent. »
Vitalie Perreault renchérit : « Sky is the limit. J’ai travaillé aux soins intensifs, aux urgences, en soins coronariens, au maintien à domicile, en recherche, j’ai enseigné, et tout ça, avec mon diplôme d’infirmière. Ma meilleure amie est dermatologue depuis la fin de ses études. Et elle l’est toujours, dans le même bureau. Cette mobilité attire aujourd’hui les jeunes ouverts sur le monde et curieux. »
C’est rare qu’un domaine vous permette de choisir quelque chose qui soit vraiment en lien avec votre personnalité, ajoute Gyslaine Desrosiers. « Une infirmière d’urgence n’a pas du tout la même personnalité que celle qui travaille en chimiothérapie. »
Une infirmière qui a une formation universitaire, qui veut voyager et qui rêve d’aventure a l’embarras du choix, d’autant que l’on reconnaît sa compétence dans la plupart des pays. Du Grand Nord aux zones chaudes du globe (avec Infirmières sans frontières) en passant par la Suisse… et les États-Unis.
Car il n’y a pas que le Québec qui manque d’effectifs. La pénurie d’infirmières est mondiale. Nos voisins du Sud estiment qu’ils en auront besoin de 500 000 à 1 million au cours des prochaines années.
Florine, qui est née en France et a toujours de la famille là-bas, ira peut-être travailler dans son pays d’origine une fois son diplôme obtenu. En effet, la mobilité des infirmières est facilitée grâce à un accord signé en 2010 dans le cadre de l’Entente Québec-France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. « Pouvoir travailler partout, c’est l’une des raisons pour lesquelles je veux devenir infirmière. Je ne resterai sans doute pas au Québec… »
Vitalie Perreault, qui fréquente les jeunes tous les jours, est enthousiaste : « Ces gens-là vont changer le monde ! Ils sont motivés, ils ont de bonnes idées, ils sont solidaires. Ils découvrent le système de santé avec leurs yeux de 20 ans et se disent : “Ouais, ça fonctionne comme ça aujourd’hui mais probablement que personne n’a pensé à le faire autrement.” J’ai confiance en eux : ils sont moins conciliants, ou plus allumés, qu’on l’était. »
Salaire et horaire
En 2010, Le Journal de Montréal révélait que 60 infirmières québécoises gagnaient plus de 100 000 $ (avec un sommet de 230 000 $ pour un infirmier de Maisonneuve-Rosemont). À cause du manque d’effectifs, faire des heures supplémentaires est normal, voire obligatoire dans plusieurs hôpitaux,
avec les primes qui s’ajoutent. Une pratique qui n’est pas sans conséquences : en effet, le risque d’erreur augmente après 12 heures de travail continu. À ce sujet, une vaste étude menée par Statistique Canada en 2005 sur « la qualité des soins, les conditions de travail et la santé physique et mentale des infirmières » montrait que c’était au Québec que le pourcentage d’erreurs commises par les infirmières était le plus élevé au pays. « Quelque 27 % des infirmières québécoises ont déclaré que des erreurs dans les médicaments ou le dosage s’étaient produites occasionnellement ou fréquemment au cours de la dernière année », est-il écrit.
DEC ou bac ?
Le Québec est la seule province – et l’un des rares endroits du monde – où on peut devenir infirmière de deux façons, soit avec un DEC (diplôme d’études collégiales) en soins infirmiers ou avec un bac (diplôme
universitaire de premier cycle) en sciences infirmières. Le tiers des infirmières ont un bac. La formule DEC-bac est de plus en plus populaire à l’Université de Montréal : un DEC en soins infirmiers permet de faire un bac en sciences infirmières en deux ans au lieu de trois.
Une profession en chiffres:
72 000 Nombre d’ infirmières et infirmiers au Québec (environ 10 % d’hommes, et c’est en progression).
58 ans Âge moyen au moment de la retraite.
15 500 Nombre d’ infirmières âgées de 55 ans et plus admissibles à la retraite.
31% des infirmières québécoises disaient avoir subi de la violence physique, tandis que…
37,5% parlaient de violence psychologique.
(Enquête de Statistique Canada sur les conditions de travail du personnel infirmier, 2005)