Reportages

Sur les traces des full-timers

Une anthropologue les a suivis à travers l’Amérique.

Célia Forget

Qui sont ces drôles de pigeons qui nichent à plein temps dans des véhicules (presque) aussi gros qu’une maison ? La jeune anthropologue française Célia Forget voulait le savoir : elle s’est penchée sur cette fascinante population, au point d’en épouser momentanément le mode de vie. À 24 ans, elle a placé une annonce – « Ethnologue veut vous étudier » – dans les clubs de RVers. Byron, un full-timer américain de 63 ans, lui a donné rendez-vous en Caroline du Nord.

«  On a lunché ensemble, Byron et moi. À la fin du repas, j’avais suffisamment confiance en lui, et lui en moi, pour qu’on prenne la route ensemble. Je me suis fait traiter de folle par mes profs », rigole Célia, aujourd’hui âgée de 34 ans.

Pendant deux mois, l’homme l’a initiée aux terrains de camping, aidée à repérer ses premiers « informateurs ». Puis elle s’est sentie d’attaque pour explorer seule les déserts et les parcs nationaux, squatter les truck stops et les stationnements de Walmart. Elle a loué son propre motorisé, un classe C de 25 pieds « plus grand que [sa] chambre universitaire de l’époque », et parcouru plus de 14 000 km à travers 21 États américains et 2 provinces canadiennes pour « comprendre de l’intérieur » ce que signifie être full-timer. La chercheuse en a interrogé 168 et a consigné chacune de ses observations en vue d’une thèse de doctorat, publiée sous forme de livre à l’automne dernier, Vivre sur la route  – Les nouveaux nomades nord-américains. Nous l’avons rencontrée chez elle à Québec.

Votre recherche est une première en Amérique du Nord. Qu’avez-vous découvert ? Une population très diversifiée. Les full-timers ne sont pas tous des snowbirds, contrairement à ce que l’on croit. Oui, plusieurs sont retraités (57 %). Mais il y a aussi des jeunes et des familles. La moyenne d’âge de mon échantillon est de 58 ans. Certains travaillent à temps plein (12 %) – chefs d’entreprise, représentants de commerce, pilotes de l’air, instituteurs, infirmiers, informaticiens –, à mi-temps ou de façon saisonnière (31 %). Toutes les couches de la société sont représentées.

Qu’y a-t-il de si grisant dans ce mode de vie ? Le fait de se dire qu’on peut partir n’importe quand, n’importe où. C’est le fantasme de beaucoup de gens. L’expression entendue le plus souvent : « Si t’aimes pas ton voisin, tu tournes la clé et tu démarres… » Le matin, tu as une vue sur la mer, le soir, sur la forêt. C’est être à l’écoute de ses envies, de ses désirs.

Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus… Ce n’est pas donné à tous. Vivre dans un espace restreint ne va pas de soi, surtout quand on est en couple. Mieux vaut se mettre d’accord au départ sur ce mode de vie. En général, ils ont déjà goûté à la mobilité – camping, voyages, déménagements – avant de faire le saut. Ils sont ouverts au changement.

Vous dites qu’un traumatisme est souvent à l’origine de ce choix de vie… C’est récurrent. Sur les 168 personnes interrogées, près des trois quarts avaient pris la route à la suite d’un traumatisme – maladie, épuisement professionnel, licenciement, perte d’un parent, d’un enfant… Des gens qui ressentent l’urgence de profiter de la vie ou de la changer.

À quoi ressemble la vie en VR ? C’est la même qu’à la maison, mais dans un lieu d’ancrage différent. Dans un camping, les gens lisent le journal, regardent la télé, se rendent à la quincaillerie… De temps en temps, ils vont à la plage et prennent part aux activités – tournoi de pétanque, cours de danse, bingo. Ils profitent beaucoup du plein air, fréquentent leurs voisins. Ils ne mènent pas une vie incroyable, il ne s’agit pas pour eux de vacances, mais de leur quotidien.

La vie n’est pas la même dans le désert… Là-bas, il n’y a aucune structure ni hiérarchie. Tout le monde fait face aux mêmes difficultés – absence d’électricité, d’eau, de connexion Internet… La journée commence avec le lever du soleil et se termine avec le crépuscule (et le feu de camp). Le jour, on fait de la randonnée, on découvre les alentours. Certains vont visiter la ville. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils arrivent à reproduire de petites infrastructures. Par exemple, à Imperial Dam, en Californie, ils ont construit un golf avec des roches ! Ils organisent des cours d’aérobie. Les gens socialisent plus facilement. Si on n’arrive pas à se débrouiller, on demande de l’aide au voisin.

Votre plus beau moment sur la route ? Le désert de Slab City. Je ne savais pas ce que je faisais là. Il y avait des gens venus de partout : des ex-criminels, des drogués, l’ancien bras droit d’un juge de L.A., un hippie… On était tous là à chanter autour du feu. On ne voyait rien aux alentours. C’était magique.

Peut-on parler d’un monde parallèle ? Difficile de déterminer si ce mode de vie est hors du temps ou s’il découle d’un autre temps – celui des hobos, pionniers de la conquête de l’Ouest, des beatniks ou des hippies. Il se développe grâce à la valorisation de la mobilité (tout le monde aujourd’hui voyage !) et aux avancées technologiques (Internet, cellulaire…), mais va en même temps à l’encontre de la structure sédentaire de la société.

Le gouvernement les reconnaît-il ? Dans les recensements, il n’y a pas de case « nomade ». Les full-timers sont obligés de donner l’adresse d’un proche pour rester dans le système. Sans cela, ils devraient cocher « sans-abri » ! Comme le gouvernement ne les prend pas en con­sidération, il est très difficile de les comptabiliser. Or, ils sont suffisamment nombreux pour qu’on entame une réflexion.

Finissent-ils tous par se poser un jour ? Oui. Beaucoup de Canadiens se gardent d’ailleurs un pied-à-terre. Ils n’envisagent pas le full-timing de la même manière que les Américains, qui n’ont pas à quitter leur pays l’hiver. Et puis, les gens finissent par vieillir et avoir besoin de soins de santé. Ils tiennent en moyenne sept ou huit ans. Au retour, ils doivent tout racheter. Mais, comme ils disent : c’est une nouvelle naissance.

La « VR attitude » de Célia Forget

1. Se montrer indépendante On aura à effectuer toutes sortes de démarches, seule la plupart du temps.

2. Faire preuve de débrouillardise, surtout dans le désert, où l’eau et l’électricité sont des denrées rares, et de prudence (on évite de se garer dans des endroits isolés).

3. Acquérir des notions de mécanique Ne pas avoir peur de se salir les mains avec de l’huile permet d’économiser beaucoup de dollars.

4. Avoir le sens de la repartie, soit maîtriser l’art de repousser les avances avec humour, et le goût de l’aventure. La curiosité est un bon antidote à la routine.

5. Mettre de la musique et chanter à tue-tête Sur la route, rien de tel que de pousser la note, même fausse, pour avaler les kilomètres avec entrain.

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Vivre sur la route – les nouveaux nomades nord-américains
par Célia Forget

Éditions Liber

 


Voyager seule

Tous les caravaniers vous le diront : les femmes qui s’aventurent seules en VR sont des oiseaux rares. « La plupart travaillent et élèvent leur famille. Elles ne font pas de longs voyages », souligne Agathe Lavoie, l’unique campeuse à avoir répondu à mon appel sur le forum de la Fédération québécoise de camping et de caravaning. La femme de 69 ans, qui cumule plus de 40 ans de virées en solitaire, n’a jamais quitté son nid plus de deux mois à la fois. Le full-timing ? Elle y a déjà songé. Elle se contenterait bien de son autocaravane de 24 pieds au lieu de sa grande maison de Cap-Rouge, à Québec. « Mais quand on est célibataire, le réseau social devient très important », dit-elle.

Sur la route, le problème n’est pas de conduire (ça demande juste un peu de pratique) ni de camper (pas compliqué de brancher l’eau et l’électricité), c’est le manque d’échanges. « C’est long, rouler des heures en silence, sans pouvoir partager les beaux paysages », remarque la vétérane. La solitude se fait plus pesante le soir. On peut toujours se rabattre sur un livre, s’allumer un feu et se coucher tôt. Mais, au bout de trois jours de ce régime sec, on finit par s’ennuyer. « Pas que les gens ne soient pas accueillants, dit Agathe Lavoie. En général, sur un camping, tout le monde se parle. Mais on ne peut pas s’inviter sous l’auvent d’un couple à l’heure de l’apéro. »

Autre défi : le multitâche. « Quand on est deux, chacun a ses responsabilités. Pendant que madame stabilise les objets, monsieur débranche l’eau et range les choses dans les coffres. Nous, on doit tout faire », ajoute la dame, qui apprécie néanmoins la liberté que lui procure sa caravane. « Dès que je prends le volant, des ailes me poussent ! » C’est d’ailleurs pour garder cet envol qu’elle a mis sur pied Les Solistes, un club de voyageurs solos sur le forum de la FQCC inspiré des Loners on Wheels américains. Le regroupement compte jusqu’ici près d’une vingtaine de membres, 10 femmes et 8 hommes, la plupart encore sur le marché du travail. Le but : mettre les campeurs en contact selon leurs affinités et intérêts de destination. « On n’est pas obligés d’être toujours ensemble, mais au moins, on peut visiter son voisin sans crainte de l’importuner ! »

Le « best of » des full-timers

Quartzsite, Arizona
C’est la Mecque des RVers. L’hiver, la petite ville de 3 400 habitants est prise d’assaut par plus d’un million de caravaniers, attirés notamment par le fameux RV Show (sorte de foire du caravanage à ciel ouvert avec spectacles, vendeurs itinérants, marché aux puces, artisanat et exposants), qui s’étire sur huit jours en janvier. Gérée par le Bureau of Land Management (BLM), cette aire accueille les campeurs à peu de frais : 30 $ pour 15 jours ou 140 $ pour 7 mois.

Imperial Dam, à cheval sur la frontière entre l’Arizona et la Californie
Ce site (également géré par le BLM) doit son nom à l’Imperial Reservoir, qu’alimente le fleuve Colorado. Isolé de toute civilisation, il a un pied en Californie, mais dépend de la ville la plus proche, Yuma, en Arizona. Le paysage vaut le détour : montagnes, lacs, mules sauvages… Encore faut-il trouver l’endroit, dans une impasse derrière une base militaire.

Slab City, Californie
Il ne figure sur aucune carte et n’est reconnu par aucune autorité – beaucoup de RVers le considèrent comme un dépotoir ! Tout ce qu’il reste de cette ancienne base militaire abandonnée après la Deuxième Guerre mondiale, ce sont des dalles de béton (slabs) qui servent de terrasse aux résidents. À proximité : le canal Coachella, les montagnes Chocolate, la « mer salée » Salton Sea et la ville de Niland. Principale attraction : la Salvation Mountain, une montagne de terre, de sable et de ciment recouverte de peinture, érigée par Leonard Knight en hommage à Jésus.

Natchez Trace State Park, Tennessee
Une petite route panoramique qui suit le Mississippi, avec des terrains de camping gratuits (parcs provinciaux). Premier arrivé, premier servi.

Monument Valley, à la frontière entre l’Arizona et l’Utah
Le Goulding’s Campground dispose de terrains avec vue sur le site naturel de Monument Valley et ses buttes de roc photogéniques.

South Rim, parc national du Grand Canyon, Arizona
Creusé par le fleuve Colorado, le Grand Canyon en met plein la vue aux visiteurs, qui peuvent camper directement sur le site, au Mather Campground.

Le parc national Banff, Alberta
Camping au pied des Rocheuses, dans un paysage de forêts et de glaciers.

Big Pine Key, Floride
Le Sunshine Key RV Resort & Marina, un passeport pour la mer.

Le lac Powell, entre l’Arizona et l’Utah
Formé par le barrage de Glen Canyon sur le fleuve Colorado, le lac Powell propose une foule d’activités nautiques dans ses eaux claires. Pour s’y poser : Wahweap RV & Campground.

La vallée du Rio Grande, Nouveau-Mexique
Rio Grande Valley State Park, un environnement unique dans l’aride Albuquerque.

Merci à Sylvie Laurin et à Claude McCann pour leurs coups de cœur. Ils parcourent le Canada et les États-Unis depuis trois ans à bord de leur caravane. On peut les lire leur blogue.

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