Société

Révolution ronde dans l’univers de la mode

L’histoire de Crystal Renn commence comme un conte de fées. Il était une fois une jolie fille de 14 ans qui fut repérée par le dépisteur d’une agence de mannequins de New York. Il lui promit une carrière de top-modèle… à condition qu’elle maigrisse !

« J’en rêvais », raconte-t-elle à Châtelaine. Prête à tout pour quitter son bled du Mississippi, Crystal Renn se met au régime et réussit à enfiler des vêtements de taille 2 – au final, elle perdra plus du tiers de son poids. Ainsi commence pour la belle une carrière de mannequin.

Mais, à 17 ans, elle n’en peut plus de se nourrir de céleri. Un lundi fatidique, son agence lui propose une séance de photos très payante… si elle peut perdre encore un kilo. « Je n’en avais plus la force, dit-elle. Je suis allée au restaurant manger un vrai repas. » C’était en 2003.

En quelques mois, Crystal a repris sa taille naturelle, 12 ans. Mais ses rondeurs n’ont pas mis fin à ses rêves, explique-t-elle dans son autobiographie Hungry (littéralement « Affamée », Simon & Schuster). Au contraire. Cette beauté aux cheveux de jais est maintenant l’une des mannequins enrobées les plus en demande dans le monde. De grands couturiers, comme Jean Paul Gaultier, font appel à elle. Dans ce marché en expansion, les femmes – de tailles 10 à 26 – ont des hanches, des seins, des rondeurs. Bref, rien à voir avec la planche à laver, qu’on appelle « straight » dans le milieu et qui désigne les femmes de tailles 0 à 4, voire 6 à la rigueur.

En juin 2009 a eu lieu à New York la première Full-Figured Fashion Week (semaine de la mode enrobée). L’année précédente, une jeune femme portant du 10 ans, Whitney Thompson, avait gagné le concours America’s Next Top Model. Anansa Sims, fille de Beverly Johnson, gloire des années 1980, a elle aussi opté pour une carrière taille forte parce qu’elle en avait assez des régimes perpétuels.

L’industrie états-unienne de la mode vit-elle une révolution ronde ? « La demande pour des mannequins en chair est en pleine croissance », dit Gary Dakin, relationniste de l’agence Ford Models, chef de file pour les mannequins taille forte. « Leur salaire est passé de 1 500 $ à 25 000 $ par jour et elles travaillent tout le temps, souvent dans la publicité, mais également pour des magazines de mode tels Elle, Vogue, Glamour et pour des créateurs comme Dolce & Gabbana et Isaac Mizrahi. »

Cet engouement récent s’expliquerait en partie par l’effet Obama – Michelle, dans ce cas-ci. C’est que la Première Dame, malgré ses 180 cm (5 pi 11 po) et ses hanches généreuses, donne maintenant le ton de la mode aux États-Unis. Elle paraît dans des créations des designers américains Isabel Toledo et Jason Wu, et porte des marques comme Gap et J. Crew, toujours avec sa touche personnelle. L’effet Obama semble pousser l’industrie de la mode américaine à enfin remettre en question la maigreur extrême comme standard de beauté.

Mais Michelle Obama n’est pas la seule « ronde » en vue aux États-Unis. Des chanteuses pulpeuses, telles Beyoncé Knowles et Jennifer Lopez, affichent leurs courbes sans complexe.

La télé américaine a également amorcé un virage rondeur. Dans la très populaire série Ugly Betty (Chère Betty, diffusée à Radio-Canada), le personnage central – adjointe dans un magazine de mode – est joué par une actrice franchement enrobée, America Ferrera. Et la téléréalité More to Love suit les aventures d’un jeune célibataire qui tente de trouver une épouse parmi 20 femmes aux formes généreuses.

Aux États-Unis, le magazine féminin Glamour s’autoproclame leader dans la promotion des mannequins ronds. Dans le numéro de septembre 2009, une photo de Lizzie Miller – en string, le ventre tombant – a suscité des centaines de messages de lectrices ravies de voir une femme qui leur ressemble. Le magazine a profité de cet engouement pour publier deux mois plus tard une photo des sept « tailles fortes » les mieux payées… nues.

Selon Cindi Leive, la rédactrice en chef, les lectrices apprécient de moins en moins que l’industrie de la mode leur renvoie des images de femmes décharnées qui ne leur ressemblent pas – l’Américaine moyenne porte du 14 ans.

Cet élan vers des mannequins en chair a toujours ses limites, fait toutefois remarquer Crystal Renn. « Elles posent pour des pubs magazine ou télé, mais on les invite rarement aux défilés, les designers préférant des filles très minces. » 

Mais Crystal, qui a aujourd’hui 23 ans, ne s’ennuie pas des défilés. « C’est seulement après être revenue à mon poids normal que je me suis sentie en possession de mes moyens. Je réussis maintenant parce que je projette une image de confiance en moi. Les gens le sentent. »

 

Rêver en rond

La petite photo du mannequin de taille forte Lizzie Miller n’apparaît qu’en page 194 du magazine Glamour. Et pourtant, quelques minutes à peine après la parution du numéro de septembre 2009, la rédactrice en chef Cindi Leive est submergée de courriels. Aucune réaction négative : on la félicite plutôt de montrer une femme « normale ».

Mais est-elle « normale », Lizzie Miller ? Et Michelle Obama, Beyoncé Knowles, Jennifer Lopez ? Les Américaines veulent-elles vraiment voir des femmes « normales » défiler sur les passerelles ?
Les Américaines se sentent exclues de la mode, selon Robin Givhan, redoutable rédactrice de mode au Washington Post. Les créateurs privilégient en effet des femmes ultraminces et, surtout, jeunes. « Parce que c’est leur marché principal », expliquait-elle en novembre dernier à la radio publique américaine dans un débat sur le thème « La mode doit-elle refléter le fantasme ou le réel ? »

Son rôle est de faire rêver les femmes en montrant de beaux vêtements sur des corps « spectaculaires », tranche Robin Givhan. Le grand changement viendrait plutôt d’une redéfinition des canons de la beauté, explique la journaliste, selon qui Beyoncé Knowles, Jennifer Lopez et Michelle Obama possèdent un corps spectaculaire. Autrement dit, les femmes ne veulent pas que la mode devienne « normale » : elles réclament des rondes qui font rêver !

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