Société

Droit à l’avortement

Anne-France Goldwater, Sophie Durocher, Guy A. Lepage et Patrick Senécal se prononcent sur la question.

The Canadian Press Images/Denis Beaumont

The Canadian Press Images/Denis Beaumont

Anne-France Goldwater, avocate

Pour moi, la question de l’avortement a été résolue avec l’arrêt Morgentaler. Le plus haut tribunal du pays a décidé que les femmes ne seraient plus traitées comme des objets. Et à partir de cet instant, les femmes ont cessé d’être simplement des procréatrices au service de l’État. Il n’y a aucune raison valable pour une réouverture du débat sur l’avortement. Et je pense que cette question refait surface dans l’actualité parce qu’il y a une remontée des groupes religieux aux États-Unis, au Canada, mais aussi au Québec. Et, malheureusement, ces groupes ont une vision très obscurantiste de l’avortement. Mais ce n’est pas la religion qui doit décider de ce que font les femmes de leur corps ou qui doit baliser l’avortement. Le Code civil et la loi sont là pour ça. L’État est là pour baliser les comportements humains et non le contraire. Dans plusieurs religions, les individus doivent se subordonner à un être supérieur. Et cela s’immisce parfois dans les affaires de l’État. Il va falloir réexaminer ce principe de liberté de religion. Et là, je parle de toutes les religions.

On ne peut forcer une femme à garder un bébé parce qu’elle aura des regrets et peut-être certaines difficultés à s’attacher à cet enfant. Ce geste doit rester le choix de la mère. Je ne suis pas contre l’idée de donner des options à celle-ci : adoption, etc. On peut la conseiller. Mais jamais on ne devrait la forcer à garder ou non un bébé.

Ma mère est retournée aux études tard dans la vingtaine. C’était une première de classe. J’étais déjà née en 1960, quand elle a passé son examen du barreau. Après, elle a commencé son stage avec Philippe Casgrain. Ma mère a eu une aventure avec lui et elle est tombée enceinte. Au Québec, elle a dû obtenir un avortement illégal. Quand ma mère est décédée, on m’a dit qu’elle était morte des séquelles de l’avortement. Mais ce n’était pas vrai. Elle a fait une dépression et elle s’est suicidée le 25 septembre 1963, le jour du 40e anniversaire de mon père. Je suis convaincue que son suicide est lié à son avortement, à son désir de quitter son mari. Ce qui est triste, c’est que c’était une étoile, une femme brillante. Je sais dans mon sang que la décision de l’avortement est difficile. Et les conséquences, parfois, peuvent être dramatiques. Comme pour ma mère. Alors, de penser que l’État pourrait dicter à une femme quoi faire de son corps me révulse. Je pourrais me battre à mort pour cette cause. Vous allez me trouver dans la rue avec les barricades si jamais ce droit est réellement remis en question. Des femmes sont mortes à cause d’avortements illégaux. Et plusieurs se sont battues pour que ce droit ne soit jamais remis en question. L’avortement doit demeurer le choix de la femme. L’État n’a rien à dire là-dessus, les hommes non plus.

 


PatrickSenecal2011_petitewebPatrick Senécal
, écrivain
C’est clair que je suis pour l’avortement. Mais comme c’est un sujet grave, c’est un sujet qui mérite d’être revisité. Pas pour le remettre en question, mais pour le baliser. Socialement, parler de ce type de chose est sain. Comme société, il faut poser nos limites et se poser les bonnes questions, comme : jusqu’à quand peut-on avoir recours à un avortement? À partir de quand un fœtus peut-il être considéré comme un être humain? Et je trouverais intéressant que des scientifiques nous donnent leur avis sur ces questions-là. Souvent, je trouve que les pro-choix sont un peu insouciants. Il faut quand même se dire les vraies affaires : ce geste implique l’arrêt d’une vie. Ce n’est pas un geste banal. Je connais des filles qui se sont fait avorter, mais qui, avec le recul, se disent qu’elles ont fait ce geste à la légère. Elles auraient aimé avoir plus d’aide et de soutien dans la prise de leur décision. Parce qu’elles ont remarqué après que ce geste a laissé des traces. Je veux être clair ici : elles ne regrettent pas de s’être fait avorter. Elles regrettent juste de l’avoir fait avec un peu de légèreté, disons.

Moi, quand j’entends des histoires de femmes qui en sont à leur troisième ou à leur quatrième IVG, je trouve ça irresponsable. Qu’est-ce qui amène une femme à se faire avorter quatre fois? Il faudrait lui donner de l’aide et intervenir pour qu’elle puisse comprendre pourquoi elle en arrive là.

Il faut savoir où on en est rendu avec l’avortement, comment on fait les choses et pourquoi on le fait. Il faut que cette pratique soit encadrée. Mais en même temps, en tant que gars, je ne me sens pas le droit de dire à une fille quoi faire avec son corps. Ultimement, c’est sa décision. Mais je pense que je peux dire qu’en tant que société, on est en droit de se questionner sur cet acte. Associer l’avortement au féminisme, c’est une pente savonneuse. C’est un raccourci. Oui, au bout du compte, c’est la femme qui est aux prises avec sa condition, mais socialement, on a le droit de se questionner.

 

 


Guy A. Lepage
, animateur
J’ai deux enfants. Théo, 21 ans, et Béatrice, 2 ans et demi. Mes deux enfants ont été désirés et ils sont en parfaite santé. Je les adore, et ils me rendent heureux.

Mais élever un enfant exige de la disponibilité, de la santé, de l’amour, de l’abnégation et des sous. C’est la responsabilité la plus importante de notre vie. Il faut être prêt, et de préférence, être deux.

Tout ça pour dire que je suis pour l’avortement.

 

Sophie Durocher, journaliste, chroniqueuse et animatrice

J’ai écrit à un moment sur mon blogue que la ministre Rona Ambrose avait le droit de voter en son âme et conscience par rapport à cette motion qui voulait qu’on se penche sur la question de l’avortement afin de le baliser davantage. Partout, on a dit qu’elle n’avait pas le droit de se prononcer en faveur de cette motion puisqu’elle est la ministre de la Condition féminine. Mais ce n’est pas parce qu’elle l’est qu’elle n’a pas le droit de penser à cette question.

Le problème avec l’avortement, c’est qu’on est passé d’un extrême à l’autre. C’est devenu tabou de dire ce qu’on pense du sujet. On se fait même traiter de non féministe si l’on ose aborder la question. Oui, l’avortement est une grande victoire du féminisme, mais cette victoire ne doit pas faire oublier qu’on doit se poser des questions sur cette pratique, l’encadrer, la baliser. Je veux dire par là qu’on peut très bien être féministe et avoir certaines réticences par rapport à la façon dont on pratique l’avortement au Canada. Le fait de se poser des questions sur l’avortement et sur les balises l’entourant ne signifie pas qu’on est contre et qu’on veut le recriminaliser. Mais selon moi, il faut qu’il y ait un vrai débat sur la question. Il faut déterminer ce qu’on veut comme société à ce niveau-là.

Je veux être très claire ici : je ne dis pas qu’on devrait interdire l’avortement dans certains cas, je dis qu’on devrait discuter de certaines pratiques pour mieux les baliser. Je comprends très bien qu’il y ait une peur de retour en arrière. Mais est-ce qu’on pourrait juste en parler? Prenons l’exemple de la France. En France, l’avortement jusqu’à 12 semaines est gratuit, mais au-delà, il est encadré. Pourquoi il n’y aurait pas des balises comme ça au Canada[SB1] ? Je voudrais juste que l’on se pose ce genre de questions, que l’on regarde ce qui se fait ailleurs. Oui, les femmes ont des droits, et le droit à l’avortement ne devrait jamais être remis en question. Mais avec ces droits viennent des responsabilités.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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