Société

#YouCantShutMeUp, #TuNePeuxMeFaireTaire

Dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, la journaliste torontoise Rachel Giese, qui a déjà travaillé avec le célèbre animateur, explique comment les médias sociaux peuvent aider les femmes à prendre la parole. Voici un extrait de son récit publié sur le site de Chatelaine (anglais).

    feminisme-viral

    Au cours des derniers jours, une troublante série d’allégations d’agressions sexuelles ont été portées contre l’ex-animateur de radio de CBC Jian Ghomeshi. Ces déclarations n’ont pas été divulguées, comme autrefois, dans les journaux ou le bulletin de nouvelles du soir, et la façon de traiter la question n’a pas été déterminée par un comité de rédaction ou un diffuseur. L’histoire s’est construite collectivement, pierre par pierre, avec la contribution de milliers d’internautes amis et abonnés, la plupart n’ayant aucun lien de connaissance entre eux, à partir d’informations à l’état brut. Quelqu’un a d’abord rapporté une information à un média traditionnel, puis un autre a publié des tweets sur Storify, un autre a partagé une publication sur Facebook, et ainsi de suite, d’un lien à un autre. Dans les fils de commentaires, les détails de l’affaire ont été analysés : qui savait quoi et quand l’ont-ils su ? En l’espace d’un après-midi – d’une heure même –, toutes sortes d’opinions ont été émises et des théories ont fait l’objet de débats, avant d’être rejetées.

    La révélation : pendant une milliseconde, j’ai eu une longueur d’avance sur la nouvelle. J’étais collaboratrice pigiste à l’émission de radio de Gomeshi, Q, et j’avais été informée qu’il allait prendre un congé sans solde peu avant que CBC en fasse l’annonce publiquement, vendredi dernier. Mais depuis, j’ai appris les détails de l’affaire en même temps que tout le monde. Et comme tout le monde, dimanche soir dernier, je suis allée lire sur Facebook le long témoignage incohérent de Gomeshi : « Mon histoire. Toute la vérité… »

    C’est là que tout a explosé. Alors que les médias traditionnels tentaient de maintenir le cap en livrant l’information rapidement, sur les médias sociaux, les gens commençaient à spéculer à propos des rumeurs de longue date concernant le comportement violent et inapproprié de Ghomeshi, se demandant pourquoi elles n’avaient jusque-là jamais été révélées au grand jour. Parmi eux, Lucy DeCoutere, qui, trois jours plus tard, devenait la première femme à dénoncer un abus. (Tard vendredi soir, on apprenait que DeCoutere et une autre femme avaient fait des déclarations à la police, et que l’affaire est maintenant sous enquête).

    Instinctivement, les gens se sont tournés vers les mèmes Internet – l’équivalent numérique de se présenter chez quelqu’un avec un chaudron de soupe au poulet – en signe de soutien et de solidarité : les #IBelieveThem et #IBelieveYou ont commencé à circuler. Le journal Toronto Star a mis en ligne l’histoire de DeCoutere à 21 h 35 mercredi soir ; à 22 h, #IBelieveLucy avait recueilli plus de 2 000 mentions et généré plus de 2,5 millions d’impressions potentielles.

    Au cours des derniers mois, il y a eu un déluge de mots-clics contre la violence faite aux femmes, comme #YesAllWomen (lancé après une tuerie en Californie perpétrée par un homme de 22 ans affilié au mouvement Men’s Rights), #WhyIStayed (en réaction à la violence conjugale) et #CarryThatWeight (par solidarité avec une étudiante de l’université Columbia qui trimballe un matelas pour protester contre la présence de son présumé agresseur sexuel sur le campus). Ici au Canada, le mouvement pour faire justice aux autochtones qui sont portées disparues ou ont été assassinées a entraîné plusieurs fils de discussion, comme #MMIW et #ItEndsHere. Et jeudi soir dernier, la rédactrice au Toronto Star Antonia Zerbisias a lancé #BeenRapedNeverReported, pour aider à comprendre pourquoi les femmes victimes de viol ne dénoncent pas leurs agresseurs.

    Ces campagnes sont le prolongement naturel du puissant courant féministe qui s’affirme en ligne. Selon la féministe engagée et avocate Steph Guthrie, qui a fondé le groupe Women in Toronto Politics, on voit de plus en plus de fils de discussion sur les médias sociaux faire leur chemin jusqu’aux médias traditionnels et aux mouvements politiques.

    Que ce soit sur un blogue, sur YouTube, Instagram, Facebook ou Twitter, les femmes dénoncent la culture du viol, donnent leur opinion sur les droits liés à la procréation, partagent de l’information sur les agresseurs de rue et les prédateurs en ligne, organisent des campagnes de sociofinancement pour des films féministes indépendants, échangent des vidéos relatant leur changement de sexe ou passent au peigne fin les images pro-sexe du dernier vidéoclip de Nicki Minaj. Dans l’ère pré-Internet, les discussions sur les agressions sexuelles étaient souvent marquées par la honte et un dégoût de soi-même, ou les révélations n’avaient lieu que longtemps après l’acte. Aujourd’hui, dans un forum de discussion où chacune a droit de parole, sans limites, et qui contribue à éveiller les consciences, les femmes victimes de violence, de viol ou à qui on a interdit de parler ont les outils pour mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu. Dans un média qui ne fait pas de différence entre les gens qui ont du pouvoir et ceux qui en ont peu, les agresseurs peuvent être décriés, confrontés ou découragés. Les discussions se déroulent en temps réel, et les groupes de soutien se forment instantanément et exponentiellement : Ça m’est arrivé à moi aussi. À moi aussi. À moi aussi…

    Cliquez ici pour lire la version intégrale en anglais.

    NDLR : Au Québec, la Fédération des femmes du Québec a lancé le mot-clic #AgressionNonDénoncée, qui se veut « un espace pour permettre de briser le silence et de déconstruire la culture du viol, tout comme #BeenRapedNeverReported. »

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