Vie pratique

Mieux partager la charge mentale entre conjoints

Passer chercher du lait, inscrire le petit au camp de jour, payer le compte d’électricité… La liste des choses à faire à la maison est longue. Et elle hante nos pensées. Comment répartir plus équitablement la charge mentale entre les partenaires ?

Au-delà du ménage et de la cuisine, la bonne marche de la maisonnée dépend de l’exécution de nombreuses tâches souvent invisibles. Prévoir, surveiller, jongler, planifier, toutes ces actions en amont exigent du temps. Et, en général, ce sont les femmes qui s’en chargent.

Bien sûr, les hommes participent un peu plus aux travaux domestiques qu’avant. En 1986, ils y consacraient en moyenne deux heures par jour. En 2015, leur moyenne a monté à 2h38 min par jour contre 3h46 min pour les femmes, selon Statistique Canada. Le hic, c’est que ces données ne tiennent pas compte de la charge mentale que représente l’organisation de ces tâches.

Le concept sociologique de charge mentale est né dans les années 1980 et a par la suite inspiré des autrices féministes. Mais c’est sans doute la blogueuse et bédéiste française Emma qui l’a le mieux vulgarisé, en 2017, avec sa bande dessinée devenue virale Fallait demander (Massot Éditions).

Pour que ce poids soit mieux partagé, faire des listes ne suffit pas. «L’initiative ne se délègue pas. L’homme n’est pas le stagiaire du couple, attendant des directives pour passer à l’action. Les deux partenaires sont adultes. Ils doivent fonctionner comme une vraie équipe», soutient Amélie Châteauneuf, autrice de l’essai Si nous sommes égaux, je suis la fée des dents (Éditions Poètes de brousse). Et le couple doit commencer par s’entendre sur ce qu’il considère comme une répartition équitable.

Aborder la question dans un esprit ouvert

Pour que la conversation ne vire pas à l’engueulade, il vaut mieux choisir son moment, selon la psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers. «Surtout, on évite d’en discuter quand on est à bout. Si on a déjà les émotions à fleur de peau, on peut être certain que la tension va monter et que ça se terminera en chicane», dit-elle.

D’abord et avant tout, on mise sur les bénéfices d’une meilleure répartition de la charge mentale pour le conjoint et les enfants. « Quand l’un des deux partenaires est constamment préoccupé par tout ce qu’il y a à faire, par ce qu’il ne faut surtout pas oublier, il n’a plus l’espace mental nécessaire pour rire ou profiter d’un bon moment en famille », explique Amélie Châteauneuf.

Cela a aussi un impact sur les valeurs que nous transmettons à nos enfants, selon Patrice Ruffo-Pinard, psychologue spécialisé en thérapie de couple. «C’est par l’exemple que les préjugés se perpétuent. S’ils voient que leurs deux parents effectuent tous les types de tâches dans la maison, les garçons comme les filles apprennent que ces responsabilités n’ont pas de genre, et ils agiront en conséquence à l’âge adulte », fait-il valoir. Et échanger les rôles de temps en temps ne peut que nous inspirer de la reconnaissance pour les efforts de l’autre. « C’est excellent pour l’empathie ! »

Le plus important est de se rappeler l’objectif: être heureux ensemble. « Il ne s’agit pas d’une guerre des sexes ni d’en faire plus que le voisin ou le beau-frère, souligne Amélie Châteauneuf. Quand on est en couple, on est dans la même équipe, on s’aime. En principe, on devrait tous deux souhaiter le bien-être de l’autre et le bon fonctionnement de la maisonnée. »

famille charge mentale

Photo: Getty Images/Makot

Établir les tâches et les responsabilités communes

Déterminer ensemble quelles tâches sont essentielles, c’est la première étape pour un meilleur partage. On cuisine tous les repas ou on se permet quelques sorties au restaurant chaque semaine? On utilise des couches lavables ou jetables pour bébé? On inscrit le plus jeune au hockey? Ces questions doivent être posées, car chacun pourrait y répondre différemment. Amélie Châteauneuf propose dans son livre une liste très exhaustive de toutes les responsabilités d’un couple.

Respecter la façon de faire de chacun est crucial. « Il n’y a pas qu’une bonne manière de plier des serviettes! Tant que la tâche est faite à temps et qu’elle répond au besoin de la famille, on l’accepte », insiste-t-elle.

Diviser la charge

• La liste
On dresse une liste des choses à faire et on les répartit. Celles qui demandent le plus de temps, comme la planification et la préparation des repas, peuvent être effectuées en rotation. «Une fois qu’une tâche n’est plus dans notre cour, nous laissons l’autre se débrouiller, sans revérifier s’il a bien pensé à tout. Sans quoi la charge mentale reste sur nos épaules», ajoute Amélie Châteauneuf. Elle suggère également que les deux parents assument les fonctions d’organisateur et d’exécutant. On peut tout de même ajuster la charge dans le cas où l’un des deux aurait des responsabilités accrues au travail.

• Les dossiers
On peut aussi répartir les choses à faire par grands thèmes – lavage, vacances, impôts… Cela permet de se libérer totalement de la charge mentale des tâches hors de ses attributions. «Ou bien on sépare chaque dossier en deux. L’un peut s’occuper de l’achat des articles d’hygiène personnelle et l’autre, des produits d’entretien ménager, par exemple », explique l’autrice.

• Le front commun ou le relais
Si on préfère un modus operandi plus spontané, on peut choisir de continuer à vaquer à ses tâches domestiques tant que son partenaire n’a pas terminé les siennes. Cette façon de faire, qu’Amélie Châteauneuf nomme «Personne n’est assis jusqu’à ce que tous le soient », se met en place assez facilement. Dans la même veine, se relayer permet un partage intuitif. On se repose pendant que l’autre travaille. L’un prépare le souper et fait la vaisselle, l’autre se charge des devoirs et enchaîne avec le bain… Chacun peut ainsi souffler un peu.

• Le coaching
Chaque partenaire devrait être capable de tout faire dans la maison, estime Patrice Ruffo-Pinard. Réparer un robinet qui fuit, coudre, tondre la pelouse, aller à la rencontre parents-enseignants à l’école. «Quand on apprend, en quelque sorte, à devenir l’autre, on développe de la compassion et on diminue son ressentiment. Le couple est alors plus harmonieux », souligne-t-il. Il faudra de l’entraînement, bien sûr, et du temps. L’important est de bien former son partenaire et de l’encourager. «Le renforcement positif, ce n’est pas que pour les enfants », dit le psychologue.

Acquérir de bonnes habitudes

Les changements ne se font pas en claquant des doigts, même quand on a établi un plan. «Il faut au cerveau humain 21 jours pour adopter une nouvelle habitude. On doit modérer ses attentes et ne pas se surprendre de devoir faire quelques rappels», note la psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers.

Le simple fait de formuler autrement ses demandes peut aider, selon elle. «Quand nous avons décidé, mon conjoint et moi, de redéfinir notre partage des tâches, j’ai arrêté de dire que j’avais besoin d’aide. Dorénavant, je dis plutôt que notre maison a besoin d’amour, ou que nos draps auraient besoin d’être lavés. De cette façon, la tâche n’est plus une responsabilité personnelle que je délègue. Elle devient un devoir commun et tout le monde se sent interpellé », raconte-t-elle.

Si des ajustements sont nécessaires, Patrice Ruffo-Pinard suggère deux lignes de conduite. Primo, ne jamais entamer ce sujet après 21h, alors qu’on est tous fatigués, ni avant 9h, en pleine agitation matinale. Secundo, toujours commencer par un commentaire positif. «Chacun doit apprendre à nommer ce qui s’est bien passé et à éliminer les commentaires dénigrants. »

C’est une période d’apprentissage, surtout si on se retrouve avec des tâches qu’on n’a jamais accomplies. « Il faut voir ce moment comme une transition en milieu de travail, indique Amélie Châteauneuf. Ça exige des efforts. On doit laisser son partenaire se débrouiller pour qu’il devienne autonome. »

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.