Culture

12 livres qui ont marqué les femmes d’ici

Ils nous ont fait réfléchir, rire ou pleurer. Nous ont bouleversées, émues ou bousculées. Chacun à leur façon, ces ouvrages représentent une part importante, essentielle, du grand monument de la littérature québécoise. À lire ou à relire.

1. Soifs, 10 tomes, Marie-Claire Blais, Éditions du Boréal, 1995 à 2018

Ce cycle romanesque en 10 tomes – traduit et diffusé à travers le globe – est une œuvre magistrale qui relie l’intime aux grandes secousses du monde en marche. Il s’agit d’une cantate pour temps modernes qui se déroule dans une île ensoleillée (on pense à Key West, en Floride, où habite l’autrice québécoise) où naissent, vivent, disparaissent une centaine de personnages. Il y a Daniel, l’écrivain – un peu la voix de la romancière –, des femmes inoubliables, des enfants magnifiques, les laissés-pour-compte et les garçons de la nuit, dont le travesti Petites Cendres. On retrouvera celui-ci en vedette dans le plus récent roman de Marie-Claire Blais, Petites Cendres ou la capture, paru en 2020 (Éditions du Boréal).

2. Le roman de Julie Papineau, 2 tomes, Micheline Lachance, Québec Amérique, 1995 et 1998

En 1994, Micheline Lachance quittait la direction de Châtelaine pour se consacrer à Julie Papineau. En 1995 paraissait le premier tome de ce roman historique, bientôt suivi de L’exil, deuxième tome. La journaliste et romancière a voulu redonner une place dans l’Histoire à celle qui n’a pas été que « la femme de Louis-Joseph Papineau » et que « certains historiens ont maltraitée », affirme-t-elle. S’appuyant sur une documentation solide, notamment la correspondance de Julie avec son mari et ses enfants, ces livres vibrants ont la rébellion de 1837 comme toile de fond. Ils ont été, dès leur parution, des bestsellers qui continuent à passionner les nouvelles générations.

3. Les fées ont soif, Denise Boucher, Typo, 1978

Parole de femmes relevant la tête, le verbe haut, la pièce de Denise Boucher a créé l’événement lors de sa sortie. Et quiconque a assisté à la première au Théâtre du Nouveau Monde s’en souvient. Sur les planches, Louisette Dussault, Michèle Magny et Sophie Clément (qui mettra en scène la reprise présentée au Théâtre du Rideau Vert en 2018) incarnaient la statue de la Vierge, Marie et Madeleine. Le texte de l’autrice intitulé L’histoire des fées…, qu’on trouve dans le livre, relate les invraisemblables embûches auxquelles la pièce a dû faire face avant de finir par recevoir un accueil triomphal et connaître le succès.

4. Les Belles-Sœurs, Michel Tremblay, Leméac, 1968

Le 28 août 1968, au Théâtre du Rideau Vert, à Montréal, on assiste à la première d’une pièce qui allait révolutionner la dramaturgie québécoise. L’auteur et le metteur en scène, André Brassard, sont jeunes, prêts à affronter les critiques, dont certaines sont scandalisées par l’emploi du « joual ». Pour le dramaturge, pas question de faire «perler » ces Montréalaises issues du milieu ouvrier qui dépeignent leur vie constituée de petits bonheurs et de grande misère quotidienne. Traduite en plus de 35 langues, jouée dans le monde entier, cette œuvre est universelle. Tout au long de sa fructueuse carrière, Michel Tremblay célébrera les femmes d’ici, «… ces femmes que j’aime, qui peuplent ma vie et ma fiction». Celles-ci tiennent un rôle de premier plan dans ses célèbres «Chroniques du Plateau-Mont-Royal», qui comprennent six romans parmi lesquels figurent La grosse femme d’à côté est enceinte et Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges.

5. Ma vie comme rivière, 4 tomes, Simonne Monet Chartrand, Édition du remue-Ménage, 1981, 1982, 1988 et 1992

Mémoires d’une femme exceptionnelle qui a choisi son destin, fille et petite-fille de juges, qui a connu une enfance choyée et une jeunesse dorée auprès de parents aimants. Dès l’âge de 17 ans, elle milite à la Jeunesse étudiante catholique où elle rencontre Michel Chartrand, un jeune « missionnaire de l’impossible » qui deviendra un syndicaliste fort en gueule. Elle l’épouse malgré l’opposition de sa famille. Sa voie est tracée. Elle aura sept enfants sans se confiner au rôle de mère au foyer, mais sans pour autant mépriser celles qui font ce choix. Elle sera de tous les combats de justice sociale qu’elle relate avec ferveur dans ce «brin de patrimoine ». Un héritage inestimable.

6. La femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette, Marchand de feuilles, 2015

C’est pour consoler sa maman, la réalisatrice Manon Barbeau, qu’Anaïs Barbeau-Lavalette a voulu retrouver sa grand-mère inconnue, Suzanne Meloche. Gravitant dans la mouvance des peintres automatistes autour de Borduas, cette dernière avait épousé Marcel Barbeau – ils auront deux enfants, Manon et François. Vite, Suzanne abandonne mari et enfants, reprend son nom et sa liberté, sans plus donner de nouvelles… Lancée sur les traces de cette femme évanescente, sa petite-fille explique la quête qui la mène à sa grand-mère et, ce faisant, redonne une mère à la sienne. Profession d’amour et de fidélité d’Anaïs Barbeau-Lavalette, maman de trois enfants, qui ose affirmer : « Je suis libre ensemble, moi.»

7. Maryse, Francine Noël, VLB éditeur, 1984

À l’hiver 1984 paraît Maryse, premier roman d’une jeune prof de théâtre. Une révélation. Cette chronique des années 1970 est un phénomène, à la fois intense, bouleversant et drôle. L’œuvre met en scène une fille attachante avec ses doutes immenses, ses amours impossibles et ses amitiés indestructibles. Un personnage qu’on suivra avec le même bonheur dans Myriam première (VLB éditeur, 1987) et La conjuration des bâtards (Leméac, 1999). Début 2020, Francine Noël publie L’usage de mes jours (Leméac), une autobiographie qui relate son histoire, de son enfance à aujourd’hui, sur fond d’un Québec en mouvement. L’écrivaine de 75 ans l’a dédié aux jeunes femmes, afin que celles-ci n’oublient pas le chemin parcouru.

8. Putain, Nelly Arcan, Édition du seuil, 2001

Nelly Arcan a traversé le ciel littéraire comme une météorite incandescente pour disparaître à 36 ans, le 24 septembre 2009. Elle a laissé derrière elle une parole fracassante qu’on n’a pas fini d’interroger. Son premier roman, Putain, paraît en France en 2001, aux Éditions du Seuil, maison prestigieuse s’il en est. Il radiographie la féminité «qui s’épuise à force de ne pas se soutenir elle-même » en racontant sous une forme autobiographique le quotidien d’une escorte de luxe. Putain fait scandale par son ton sulfureux, cru, mais plaît aussi, en France comme ici – une nomination aux prix Médicis et Femina. Suivront Folle, puis À ciel ouvert, roman où l’amitié entre femmes est impossible, entravée par la « fascination de soi-même ». Deux mois après sa mort paraîtra Paradis clef en main, troublante missive posthume. Publié en 2011, Burqa de chair présente des textes de Nelly Arcan, certains inédits. Son legs : une œuvre féministe forte qui dénonce la dictature de la beauté et la complexité du rapport qu’entretiennent les femmes avec leur corps.

9. Le goût du bonheur. Gabrielle, Adélaïde, Florent, Marie Laberge, Éditions du Boréal, 2000 et 2001

Écrire une trilogie qui se déroule entre 1930 et 1960, voilà le défi que Marie Laberge se lance pour ses 50 ans. Le résultat touche vite plus d’un million de personnes dans la francophonie. Avec fougue, l’écrivaine raconte le destin de femmes passionnées, bien décidées à secouer le joug de la société patriarcale et de l’Église toute-puissante. Avec son lot de deuils, de déchirures, de larmes et de joies dûment payé. Une épopée remarquable qui donne le goût… du bonheur.

10. Les fous de Bassan, Anne Hébert, Édition du seuil, 1982

Griffin Creek, lieu fictif sur la côte gaspésienne où, le 31 août 1936, disparaissent deux cousines de 15 et 17 ans, Nora et Olivia. Dans ce village où tout le monde est plus ou moins parent, c’est la stupeur, l’incrédulité. Trop belles? Trop insolentes ? À tour de rôle, les villageois raconteront leur propre vérité. Le «pasteur sans troupeau » ; Stevens, le cousin «mauvais garçon», revenu d’exil au début de l’été, éveillant les brûlures du désir chez les jeunes filles; son frère Perceval, l’idiot, qui voit tout et ne dit rien. Et la tempête, juge implacable, qui rapportera sur la plage les débris de la mer… Ce roman fabuleux, aux troublants accents bibliques, a remporté le prix Femina en 1982.

11. L’obéissance, Suzanne Jacob, Édition du seuil, 1991

«Un livre majeur», pouvait-on lire dans Châtelaine en 1991. Et 29 années plus tard, cette œuvre est toujours d’une brûlante actualité. Un monologue ouvre le roman, celui de Julie, révoltée contre « le silence mou» de ceux qui savent et n’interviennent pas afin de protéger les enfants « en danger de mort ». Jusqu’où ira une petite fille pour se faire aimer de sa maman? Le dénouement est à glacer le sang. «La question n’est pas de découvrir si nous pouvons encore créer ou imaginer un futur, la question est de découvrir s’il y a une nouvelle nécessité… Une nécessité telle que si nous n’y répondons pas, nous disparaîtrons», écrit l’autrice dans Feu le soleil (Éditions du Boréal, 2019), son dernier recueil de nouvelles. En dépit de la gravité des sujets abordés dans son œuvre, on éprouve un sentiment de liberté en lisant la voix singulière de Suzanne Jacob.

12. Kuessipan, Naomi Fontaine, Mémoire d’encrier, 2011

Née à Uashat, communauté innue de la Côte-Nord, la jeune écrivaine de 33 ans a publié trois livres qui ont davantage contribué à ouvrir les esprits et les cœurs envers les siens que tous les colloques et reportages réunis. «J’ai inventé des vies. » C’est la première phrase de Kuessipan – signifiant « à toi » ou « à ton tour » en innu –, qui donne le ton à cette œuvre de fiction aux grands accents de vérité. La cinéaste Myriam Verreault a mis en scène les mots de Naomi Fontaine dans le film du même nom, qui a récolté trois prix aux Rendez-vous Québec Cinéma 2020. L’autrice a poursuivi avec Manikanetish (Mémoire d’encrier, 2017), inspiré par son retour dans son village natal pour enseigner pendant une année. Instants de vie avec ses élèves, durant et surtout après les cours… Des phrases simples, efficaces, une tonalité douce, parfois terrible, des accès de colère qu’on retrouve aussi dans Shuni (Mémoire d’encrier, 2019, Prix littéraire des collégiens 2020), qui est une lettre adressée à Julie, une amie d’enfance, qui doit revenir œuvrer à Uashat.

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