«Bébé, maîtresse, amie de cœur, James Bond Girl, ça fait du monde dans la même blonde», chante Robert Charlebois dans Les ondes.
Si le terme «blonde» est déjà utilisé en France au XVIIe siècle pour décrire une amoureuse, une amante ou une fiancée, il est désormais l’affaire exclusive des Québécois. Et ça tombe bien, parce qu’ils ont bien besoin d’un mot qui veut dire «femme avec laquelle je suis engagé» sans dire «épouse», en grands champions nord-américains de l’union libre qu’ils sont. Trente-sept pour cent des couples québécois vivent en union libre. C’est presque trois fois plus que dans le reste du pays.
Les conjoints de fait n’ont pas les mêmes droits que les couples mariés. L’union de fait n’est pas un statut juridique, aucune règle ne régit le partage des biens ou des obligations entre conjoints après une séparation, ce qui peut occasionner de mauvaises surprises, surtout dans les cas où l’un des conjoints n’apparaît pas sur l’acte d’achat et de propriété de la résidence habitée, qu’il gagne considérablement moins d’argent que l’autre ou qu’il est parent au foyer. Plus des deux tiers des enfants québécois naissent de parents vivant en union de fait, et le parent qui obtient la garde après une séparation – habituellement la mère – risque de voir son niveau de vie diminuer.
«Auprès de ma blonde, qu’il fait bon dormir», nous dit la populaire chanson traditionnelle, mais pour s’éviter un réveil brutal, ladite blonde ferait bien de passer signer un contrat de vie commune chez son notaire avant la sieste.
«Il y aurait beaucoup à dire sur les différents types de blondes... Chez un-e ado, on précise si la lle fréquentée est une "p’tite blonde" ou une "blonde steady". Puis si le couple ne se marie pas, on reste simplement une "blonde". Le terme reste quand même ou, mais à la base, "blonde" c’est un terme plus amoureux, plus réconfortant, moins "juridique" que "conjointe". C’est probablement ce qui explique que beaucoup de femmes n’osent pas signer les fameuses ententes de vie commune... comme si plutôt que d’être vu comme un engagement romantique comme peut l’être le mariage, ça venait salir la noblesse du sentiment amoureux. Comme si ça nous rendait soudainement plates et moins désirables.» - Raphaëlle Derome
Le mot est peut-être moche, mais son équivalent en latin n’est guère plus réjouissant : pour dire «vulve» on dit pudendum femininum, où pudendum signifie «parties honteuses». Ce qui explique peut-être pourquoi peu de femmes accepteraient de prendre la pose du modèle de L’origine du monde de Gustave Courbet.
La vulve est la partie visible des organes génitaux féminins qui n’était pas si visible que ça avant l’avènement de l’épilation intégrale. Depuis qu’on la voit bien (surtout dans la porno qui, elle, est partout), la vulve est source de multiples complexes, au même titre que toutes ces autres parties du corps auxquelles on trouve mille et une choses à reprocher. La longueur des lèvres, la couleur, la texture de la peau... En vérité, il n’y a pas de vulve «normale» esthétiquement parlant. Néanmoins, les complexes de la vulve mènent de plus en plus chez le chirurgien. La popularité de la labiaplastie augmente chaque année malgré le fait que les petites lèvres dépasseraient chez 80% des femmes.
Avant que le sexe féminin obtienne une place de choix sur le papier glacé des magazines érotiques, il est le plus souvent caché dans ses représentations dans l’art. Chez les Grecs, par exemple, on le recouvre d’un drapé ou d’une feuille de vigne alors qu’on expose l’engin de monsieur. À la Renaissance, il est nonchalamment dissimulé derrière la main ou les longs cheveux du modèle, quand il ne prend pas simplement l’aspect du sexe de Barbie, lisse, sans renflements. Vers 1540, on va un peu plus loin en retouchant les tableaux dont on juge qu’ils manquent de pudeur.
La honte historique du sexe féminin a certainement contribué à la méconnaissance qu’ont les femmes de leur vulve encore aujourd’hui. Une méconnaissance qui n’est pas sans conséquence, quand on sait que seulement le tiers des femmes avouent connaître l’orgasme régulièrement lors de leurs rapports sexuels.
«Évidemment, la vulve, on ne l’oublie jamais, ça fait partie d’un univers de plaisir, mais ça fait aussi partie d’un univers de chirurgie, de haine, de préjugés. On doit faire face à des réalités où notre corps ne nous appartient pas entièrement, c’est-à- dire que notre corps fait l’objet d’un regard social, d’un contrôle social important, aussi. On a encore du travail à faire pour que nos corps soient libérés, qu’ils soient notre territoire à nous. Comment peut-on reprendre un peu possession de nos propres corps et de notre sexualité? Pourquoi pas par le plaisir?» - Alexa Conradi
Avec l’entrée en vigueur du Code civil du Bas-Canada le 1er août 1866, la femme est considérée comme une personne mineure, soumise à son mari en échange de sa protection. La femme est responsable des dettes de son mari, mais pas le contraire. Le mari est seul responsable des biens familiaux. Il faudra attendre jusqu’en 1930 pour qu’une modification au Code civil vienne octroyer à la femme la libre gestion de son salaire et des biens acquis grâce à celui-ci.
Cent ans plus tard, en 1964, des modifications majeures sont apportées au Code civil avec la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée. On met alors en place de nouvelles dispositions visant à établir l’égalité des époux dans la direction de la famille et on abolit le devoir d’obéissance de la femme à son mari. En 1969, le divorce est légalisé.
Ainsi se construit l’indépendance de la femme, à coups de lois et d’amendements divers.
Simone de Beauvoir déplorait le confinement des femmes de son époque à leurs fonctions biologiques. Elle parlait du «deuxième sexe», inférieur parce que dépendant financièrement de l’homme, parce que coincé dans la rigidité de rôles prédéterminés : la mère, la femme au foyer, la femme au service de son homme. Elle militera toute sa vie pour que les femmes se donnent le droit de choisir, de décider du chemin à emprunter.
Les familles comptant un parent au foyer représentent aujourd’hui moins du cinquième des familles canadiennes, alors qu’elles représentaient plus de la moitié en 1976. Le pourcentage de femmes actives sur le marché du travail dépasse 60 %. De plus en plus de femmes accèdent à l’autonomie financière. Mais tout n’est pas gagné. Les droits des conjointes de fait, par exemple, restent un champ de bataille à conquérir. Aujourd’hui, 63 % des enfants naissent de couples non mariés et le Québec est la seule province canadienne qui ne prévoit pas le versement d’une pension alimentaire aux conjoints de fait en cas de rupture. C’est donc dire que les femmes non mariées qui font le choix de rester à la maison pour s’occuper des enfants ne sont pas protégées, qu’elles n’ont tout simplement pas droit à leur part du patrimoine familial si leur couple éclate.
Les études récentes le disent: la femme est désavantagée après une rupture. Quarante-trois pour cent des femmes voient le revenu de leur ménage baisser substantiellement suite à une rupture, contre seulement 15% des hommes.
Oui, la femme peut choisir. Avoir des enfants ou ne pas en avoir. Quand en avoir et combien. Se marier ou vivre en union de fait. Rester à la maison ou travailler. L’indépendance de la femme passe par sa liberté de se construire une vie sur mesure, et non comme un meuble Ikea qui viendrait avec la marche à suivre. Mais cette liberté de choisir a un prix, et ce sont les femmes elles-mêmes qui en font généralement les frais.
«Les femmes se sont battues pour leur indépendance économique, leur indépendance de pensée, leur indépendance sexuelle, leur liberté. Ce qu’on voit aujourd’hui sur la place publique, c’est le prix qu’on paye pour cette indépendance économique. On nous dit qu’il faut aller sur le marché du travail et, en même temps, que les femmes qui le veulent devraient et doivent avoir des enfants et les élever, avoir une vie de famille... Quelqu’un comme Anne-Marie Slaughter, qui a publié dans The Atlantic "Women Still Can’t Have it All", un article qui a fait couler beaucoup d’encre, accusait en quelque sorte le mouvement féministe de nous avoir leurré, c’est-à-dire de nous avoir fait miroiter un rêve qui est inatteignable. En vis-à-vis, on retrouve Sheryl Sandberg, la COO de Facebook, qui a publié Lean In où elle dit qu’on peut tout avoir. Je pense qu’elle n’a pas tort. Si j’ai à choisir entre les deux, je vais plutôt aller du côté de Sandberg. "Lean in»" ça veut dire penchez-vous vers l’avant, écoutez les conversations, prenez votre place, levez la main, posez des questions, intéressez-vous, occupez le terrain.» - Martine Delvaux
Née en France de parents marocains d’origine espagnole et italienne, Pascale Navarro arrive au Québec à l’âge de six ans. Après un baccalauréat en études françaises à l’Université de Montréal et une maîtrise en langue et littérature françaises à l’Université McGill, elle devient journaliste au milieu des années 1990. Passionnée de littérature et de culture, elle est cheffe de pupitre de la section Livres à l’hebdomadaire Voir de 1994 à 2003, elle collabore à diverses publications comme la Gazette des femmes, Entre les lignes ou Elle Québec, et elle tient une chronique littéraire à la Première Chaîne de Radio-Canada pendant près de 10 ans.
Parallèlement à son travail de journaliste, elle signe des essais toujours percutants qui incitent à réfléchir sur la condition féminine et sur le regard que les femmes portent sur elles-mêmes.
Dans Interdit aux femmes, essai coécrit avec la journaliste Nathalie Collard en 1996, elle critique la censure antiporno et déboulonne l’argument selon lequel la pornographie serait un facteur à la source de la violence faite aux femmes. Un discours choquant, même à l’aube des années 2000.
Dans Pour en finir avec la modestie féminine, en 2002, elle s’attaque aux valeurs traditionnellement associées au genre féminin. Modestes, prudes, les femmes sont éduquées à être discrètes et effacées, ce qui les freine quand vient le temps de prendre la place qui devrait leur revenir dans la société. Les femmes ont peur de déranger, de mettre leur poing sur la table, de déplaire, alors que les hommes ne se préoccupent pas de ces questions. Or, il ne faut pas avoir peur du pouvoir pour prendre le pouvoir.
En 2010, elle publie Les femmes en politique changent-elles le monde?, où elle soutient qu’il n’existe pas de pouvoir typiquement féminin. Plaidoyer féministe pour une présence accrue des femmes en politique, le livre défend au passage l’idée de recourir à des quotas, une idée qui est loin de faire l’unanimité. Cinq ans plus tard, alors que l’Assemblée nationale compte moins de 30% de femmes élues, elle continue de creuser la question de la parité dans Femmes et pouvoir: les changements nécessaires, paru en 2015. Pour Pascale Navarro, le féminisme est à réinventer et les féministes doivent se trouver une cause commune. L’une de ces causes est justement la parité en politique.
Pascale Navarro est une journaliste rigoureuse qu’il faut lire pour son regard éclairé sur les enjeux du féminisme au XXIe siècle.
«Pour en finir avec la modestie féminine a été pour moi un livre de chevet pendant des années. Je pense que le plafond de verre auquel on est confrontées présentement n’est plus seulement de l’ordre de l’institutionnel. Il y a [quelque] de l’ordre de l’intériorisation. Ce qu’elle dit, Pascale Navarro, c’est qu’il ne faut pas confondre humilité et modestie. La modestie, c’est du conformisme et c’est le contraire de l’ambition ; ce qu’on nous demande, c’est de nous effacer. On peut occuper des fonctions d’autorité – moi-même j’ai été ministre, présidente de l’Assemblée nationale, et même cheffe de parti pendant uncertain temps –, mais ça reste plus intériorisé qu’on le croit. Je pense qu’il y a une ré exion à avoir sur ça, parce qu’on plafonne, on piétine présentement, et c’est beaucoup à cause de ça.» - Louise Harel
On connaît bien Rosa Parks, cette célèbre Afro-Américaine qui avait refusé de céder son siège à un Blanc dans un autobus de Montgomery, en Alabama. On connaît moins Viola Desmond, qui a posé un geste comparable chez nous, neuf ans plus tôt. Le 8 novembre 1946, dans un cinéma de New Glasgow en Nouvelle-Écosse, elle refuse de se déplacer pour s’asseoir dans la section réservée aux Noirs, au balcon.
Née en 1914 à Halifax, Viola Desmond est une propriétaire de salon de coiffure sans histoire. De passage à New Glasgow, elle entre dans un cinéma et s’installe au parterre, ne sachant pas que seuls les Blancs y sont admis. On lui demande de se déplacer, elle refuse et propose de payer la différence de prix pour une place au parterre, mais on fait venir la police et on la fait sortir de force. Viola Desmond passe la nuit en prison et est accusée de fraude fiscale. On lui colle une amende de 20 $, une fortune pour l’époque. Elle a 32 ans. Avec l’aide de la Nova Scotia Association for the Advancement of Coloured People, elle en appelle de la décision devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qui refusera de tenir compte de la question de discrimination raciale et confirmera la déclaration de culpabilité.
Au XIXe siècle, 30 000 à 40 000 esclaves en quête de liberté sont entrés au Canada grâce au chemin de fer clandestin, réseau secret d’abolition- nistes qui aidait les Afro-Américains à fuir le sud des États-Unis pour rejoindre les États libres du nord. Ils s’installent un peu partout au pays, dans les grandes villes, mais aussi dans des collectivités noires comme la colonie d’Elgin près de Chatam, en Ontario, ou à Birchtown, en Nouvelle- Écosse. La ségrégation raciale n’a jamais été officiellement inscrite dans la loi, mais elle a bel et bien existé. Avec la proclamation de la Common Schools Act de l’Ontario en 1851, par exemple, on trouvera des écoles séparées pour les Noirs, surtout à l’ouest de Toronto.
Viola Desmond est une figure incontournable du mouvement des droits civils au Canada, une pionnière qui s’est battue pour ses principes. Son expérience a conduit à l’abolition des pratiques ségrégationnistes en Nouvelle-Écosse en 1954. Pourtant, son nom est absent des livres d’histoire et on peine à lui rendre un hommage à la hauteur de son combat.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse lui fait officiellement ses excuses en 2010, soit 45 ans après son décès, et le tout premier pardon de l’histoire du Canada lui est accordé de façon posthume. En 2010, la Chaire de recherche en justice sociale Viola Desmond est établie à l’Université du Cap-Breton et, en 2012, Postes Canada lance un timbre-poste à son image.
Le patriarcat désigne le système social de domination des femmes par les hommes, un système qui entretient une division basée sur le sexe. Le terme est parfois contesté, parce que jugé trop vaste. Les féministes anglo-saxonnes, elles, parlent de «système de genre», insistant clairement sur la construction sociale des sexes et la place qui revient à chacun. Dans un système patriarcal, l’homme incarne la figure du chef de famille et de l’autorité, à laquelle la femme se soumet. Et qui dit distribution inégale du pouvoir dit forcément inégalités sociales.
Ce rapport de domination des hommes sur les femmes se manifeste dans la sphère publique, dans le monde du travail, où les salaires des femmes sont souvent inférieurs à ceux des hommes, même au sein d’une même profession. Dans la dévalorisation des activités dites «féminines». Dans la réduction des services de garde d’enfants, dont l’incidence sur la participation des femmes au marché du travail est documentée. Dans les efforts limités de l’État pour contrer la violence faite aux femmes. Dans l’objectivation sexuelle de la femme, à travers la pornographie, mais aussi dans les images standardisées du corps féminin véhiculées par les médias et la publicité.
Dans la sphère privée, soit dans la vie familiale et domestique, les marques du patriarcat sont plus subtiles. Oui, les femmes peuvent divorcer ou se séparer d’un conjoint de fait, mais elles sont plus pénalisées financièrement par la suite. Les pères participent de plus en plus aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, mais sans les attentes et la pression que subissent typiquement les mères. Une forme d’oppression que les féministes combattent en critiquant les rôles genrés, entre autres.
À la croisée de la sphère publique et privée, la domination masculine sur les femmes se manifeste aussi au sein des ménages au plan économique. Sachant que le revenu des femmes n’est que de 59% en moyenne de celui des hommes, un pouvoir inégalitaire au sein du couple peut potentiellement s’imposer dans plusieurs cas. L’argent apporte une liberté et une autonomie certaines; lorsque la femme gagne moins que l’homme dans le couple, elle a donc accès à une liberté et une autonomie moindre. Si ces écarts ont substantiellement diminués ces dernières décennies, ils se perpétuent tout de même, particulièrement pour les femmes retraitées, et maintiennent une forme de domination masculine sur les femmes.
Lorsque famille et monde des affaires s’entremêlent, on retrouve trop souvent un traitement différencié envers les femmes et les hommes au sein des entreprises familiales. C’est particulièrement le cas lorsqu’il est question du transfert de propriété des parents aux enfants. L’écrasante majorité des propriétaires de ces entreprises sur le point de prendre leur retraite sont des hommes. Bien que le phénomène soit mal documenté, plusieurs cas montrent que ces hommes sont réticents à passer le flambeau à leurs filles. Non pas nécessairement par sexisme pur, mais parce que les préjugés envers les femmes perdurent: si elles désirent avoir des enfants, elles ne seront pas assez disponibles pour gérer l’entreprise.
«Paraît-il qu’on vit dans un monde patriarcal. C’est ce qu’on nous dit. Dans l’intimité, dans le domestique, est-ce que c’est si patriarcal que ça ? Qui mène dans les foyers? Les femmes ont quand même un pouvoir, et je trouve que ce pouvoir-là est dénigré. Je connais plusieurs femmes de ma génération qui ont fait le choix assumé d’être mère au foyer pour les premières années de vie de leurs enfants, et elles se font juger. Je trouve ça vraiment dommage, parce que c’est un métier en soi, c’est une carrière. Dans notre système patriarcal, est- ce qu’on ne pourrait pas davantage reconnaître ce rôle-là, de la mère ou du père au foyer?» - Mélissa Verreault
Abécédaire du féminisme, par Marie-Louise Arsenault et Noémie Désilets-Courteau, illustrations par Sarah Marcotte-Boislard, Éditions Somme toute, 236 pages, 27, 95$
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