Culture

Michel Tremblay et l’expérience du vide, en ces temps de COVID-19

De retour de Floride, Michel Tremblay a passé deux semaines en confinement avant de sortir humer l’air du Plateau. Et la réalité lui est tombée dessus…

Je suis un chat. Je le dis et je le répète à qui veut l’entendre depuis des années. Je me suis un jour inventé une journée parfaite que j’essaie de reproduire le plus souvent possible. La quarantaine imposée que je viens de traverser n’a donc pas été si difficile, j’ai laissé le chat en moi prendre la relève. Égoïstement, je l’avoue.

J’ai mangé à des heures très régulières, j’ai souvent fait mes ablutions comme me le suggérait la télévision, et le reste du temps…

La matinée était consacrée aux informations (télé, périodiques sur mon Ipad) et aux jeux (merci Candy Crush et Angry Birds Friends); l’après-midi je me réservais de longues heures de lectures, comme à Key West (merci Haruki Murakami, Pierre Samson, Victoria Mas, etc.); et le soir… ben oui, des téléséries (merci C’est comme ça que je t’aime, Unorthodox, Candice Renoir que j’aime d’amour, etc.). Je n’ai donc pas vu le temps passer.

Ou plutôt si, je l’ai vu passer mais, je l’avoue, je l’ai savouré comme un nouveau monde fait de farniente. Ce qui se passait à l’extérieur, dans le reste du monde, m’angoissait. C’était cependant vu à travers le prisme de la télé qui lui conférait une teinte d’irréalité, qui m’empêchait de comprendre pleinement – ou de l’enregistrer – cette inimaginable catastrophe. En plus, en tant que personne âgée, on n’arrêtait pas de me dire de ne rien faire et de rester coi.

Ce matin, donc, ma quarantaine imposée de snowbird terminée, j’ai décidé, en vieille personne qui a quand même le droit de prendre des marches, de sortir de mon cocon et d’aller faire un tour.

Voir des rues vides à la télévision et les expérimenter sont deux choses très différentes. J’ai monté Henri-Julien de Rachel à Marie-Anne, j’ai tourné à droite jusqu’à Saint-Denis, puis je suis redescendu vers le sud. Malgré le grand soleil, je n’ai rencontré presque personne et ceux que je croisais me regardaient d’une drôle de façon. Un vieux en liberté, au secours!

Bien sûr, tout était fermé, placardé, c’était réel, tangible, angoissant. Le si beau café La dépendance avec ses merveilleux scones rouvrira-t-il jamais? En passant devant le Rachelle-Berry j’ai salué intérieurement ses employés qui, semble-t-il, sont de véritables héros. Sur Rachel je me suis arrêté devant l’église Saint-Jean-Baptiste et j’ai pensé aux innombrables concerts qui y ont été donnés en me demandant si son exceptionnelle acoustique allait bientôt refaire des heureux. J’étais seul, entouré de pierre, dans une rue vide.

Devant chez moi, j’ai regardé mon balcon, au cinquième étage, mon seul refuge à l’extérieur de l’appartement, là où, dit-on, je dois rester pour sauver le monde. Et je nous ai trouvés courageux de passer à travers tout ça, je nous ai admirés et j’ai conspué les épais, les prétentieux, les égocentriques qui ne suivent pas les directives si importantes, peut-être notre seule chance de salut. En moins de dix minutes la terrible réalité m’était tombée dessus, les taches rouges sur le monde devenaient réalité et tout ce que je pouvais faire c’était de retourner revivre ma journée de la marmotte parce que je vais bientôt avoir 78 ans.

Je suis remonté chez moi, me sentant inutile, malvenu, impuissant, sans être convaincu de pouvoir laisser le chat prendre la relève.

Portrait de Michel Tremblay

Photo: Laurent Theillet

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