Culture

Mise en forme, de Mikella Nicol : un récit sensible et dérangeant

Jusqu’à quel point les femmes doivent-elles tolérer la douleur ? C’est ce que demande Mikella Nicol dans cet essai et récit autobiographique qui explore le rapport des femmes à leur corps, tout en écorchant l’industrie de la mise en forme.

Une jeune femme se trouve désemparée après une rupture, « un événement barbare, mais d’une implacable banalité ». Elle s’enferme alors dans la chambre d’une connaissance qui lui a laissé son appartement, et commence à s’entraîner comme une forcenée. Seule cette activité lui permet de surnager dans ce « gouffre vertigineux » et de garder la maîtrise sur son corps, à défaut de pouvoir surmonter ses émotions.

Les influenceuses, qui jouent aux entraîneuses, deviennent ses alliées sur les chaînes YouTube. « Les vidéos que je consomme sont ponctuées d’interventions favorisant l’empathie envers mon corps, mes capacités », écrit-elle. Même si elle précise : « J’ai écouté l’instructrice me sommer d’aimer la brûlure. Me rappelant Marguerite Porete sur le bûcher, j’ai ri jaune. Est-ce que la brûlure était mon amie ? »

Plus tôt, la narratrice, ce « je » assumé, nous avait convié à L’Espace Go, théâtre féministe de Montréal. On assistait avec elle à la pièce Les Marguerite(s), qui présente Marguerite Porete, religieuse du 13e siècle, autrice d’un essai théologique jugé hérétique, et brûlée vive en 1310 à Paris, après un long procès. Mais quel lien avec l’industrie lucrative du fitness ?

Mikella Nicol nous le dit d’emblée dans l’introduction de son récit, émaillée de données étoffées. « Je me suis levée un matin avec l’intuition que la violence et la beauté en étaient venues à définir à parts égales ce que j’appelais la féminité. »

Les questions fusent. Pourquoi cette quête obsessive du corps filiforme, sculpté, parfait ? Pour qui ? La narratrice/autrice se demande même « quel rôle jouaient mes mortes, les femmes assassinées et disparues qui habitent mes romans ». Et les autres, si nombreuses, peuplant les rubriques des faits divers.

Entre le nouvel amant et les souvenirs de l’ex, elle « erre sans langage, comme si [elle était] toujours en suspens ». Il lui faudra du temps pour recadrer la dépendance aux entraînements et pour se détourner des influenceuses. Pour déconstruire aussi l’idéal de beauté subversif imposé aux femmes et reconnaître la féminité – notamment grâce à des lectures féministes éclairantes.

Mikella Nicol signe ici un récit sensible porté par un grand souffle. Un essai brillant qui s’appuie sur une recherche fouillée et qui radiographie les mille et une embûches piégeant les femmes. Elle a eu 30 ans en achevant ce livre, son troisième, qu’on reçoit comme un cadeau.

L’autrice

Mikella Nicol

Naissance à Sherbrooke en 1992. Fille de l’écrivain Patrick Nicol. Elle vit à Montréal, où elle a obtenu une maîtrise en études littéraires de l’UQAM. Elle travaille comme formatrice en français langue seconde en milieu de travail.

Son premier roman, Les filles bleues de l’été (Cheval d’août, 2014) – l’histoire de deux jeunes amies, portée par une plume soignée –, a retenu l’attention. Publié en France aux éditions Nouvel Attila en 2022, il a reçu en novembre dernier le Prix Voltaire, remis chaque année à une œuvre qui fait preuve de courage dans la défense de la liberté.

Sans conteste, Mise en forme confirme la jeune autrice comme une voix forte au sein du monde littéraire québécois.

Mise en forme de Mikella Nicol

Mise en forme de Mikella Nicol, Cheval d’août, 172 pages, en librairie le 28 mars.

À lire aussi : 3 livres à lire ce printemps

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.

DÉPOSÉ SOUS: