Culture

Parfaites : rencontre avec le réalisateur Jérémie Battaglia

Le documentaire Parfaites prend l’affiche cette semaine et nous avons voulu discuter avec son réalisateur, Jérémie Battaglia, de nage synchronisée et de culte de la perfection et de la beauté.

Votre documentaire suit l’équipe nationale canadienne de nage synchronisée lors des qualifications pour les Jeux olympiques de Rio, pourquoi avoir choisi ce sport en particulier?

C’est le hasard de la vie qui m’a mené vers ce sujet. Une amie proche a commencé à travailler à Synchro Canada et lors d’une soirée, elle m’a parlé de la réalité de ce sport: des troubles alimentaires des filles, de la violence et de l’intensité des entraînements, beaucoup plus intenses qu’au soccer, par exemple. Je l’ai arrêté en lui demandant si elle parlait bien des filles dans l’eau trop maquillées. Arrivé à la maison, je me suis dit: «ce n’est pas vrai que je vais me coucher sans comprendre» et j’ai regardé pendant deux heures des prestations sur internet…

Parfaites suit le quotidien des entraînements, mais aussi celui de deux membres de l’équipe, notamment la capitaine Marie-Lou Morin, une Montréalaise, et Claudia Holzner, de Calgary, comment s’est déroulé le tournage?

Au départ, je suis allé les observer. Puis en discutant avec la coach, Meng Chen, j’ai eu envie de faire un long métrage documentaire. Je suis comme devenu un membre de l’équipe à part entière. À tel point que les filles oubliaient ma présence, surtout que j’ai tourné souvent seul, notamment lors des voyages, ce qui m’a permis de me fondre dans l’équipe.

Vouliez-vous briser les préjugés autour de ce « sport de filles »? Montrer que ces nageuses sont fortes, que ce sont des athlètes incroyables?

Il y a de nombreux clichés associés à la nage synchronisée : que c’est facile, que la musique est mauvaise, que ce ne sont pas de « vraies » athlètes. On se concentre souvent seulement sur le beau, les acrobaties, jamais sur les difficultés et on ne va jamais au-delà des apparences, et ces athlètes en souffrent. Elles souffrent du peu de respect qu’elles ont dans le monde sportif, et je trouvais cela injuste par rapport à leur sacrifice, leur souffrance, leur travail acharné. Je voulais leur rendre hommage, amener les gens à découvrir ce sport comme moi je l’avais découvert.

Est-ce que c’est parce que c’est un sport féminin qu’il y a plus de pression sur les athlètes? Qu’est-ce qui se cache derrière cette perfection recherchée, ce culte de la beauté à tout prix?

La nage synchronisée est un cas assez unique qui allie puissance, force, grande difficulté et culte des apparences. Le patinage artistique s’en approche peut-être. Elles commencent assez jeunes, et dès leurs débuts, certains coachs leur parlent de poids, de sacrifices physiques et cela a des effets en profondeur sur elles. Si d’autres pays se concentrent davantage sur la minceur et la ressemblance quasi parfaites entre les membres d’une équipe, ce n’est pas le cas du Canada qui mise plus sur les compétences sportives des filles. Donc, beaucoup de choses se superposent, le côté sportif, mais aussi l’imagerie très féminine, et des images stéréotypées de la femme et la beauté. Pour moi, elles étaient parfaites comme elles étaient, parfaites dans leurs imperfections et c’est ce que j’ai voulu capter.

Photo: Jérémie Battaglia

Photo: Jérémie Battaglia

Le montage est assez rapide et s’accélère jusqu’au championnat de qualification (que l’on ne voit pas), sans compter qu’un réel soin a été apporté aux images et à la musique, pourquoi cette forme pour raconter la nage synchronisée?

J’aime les belles images, même si je pratique le documentaire. Pour moi, une image peut dire autant, sinon plus qu’une entrevue. J’ai soigné l’esthétique et le visuel, surtout que c’est un sport très physique, elles sont dans l’eau, il y a de nombreuses scènes sous l’eau, et je voulais rythmer l’histoire à la manière de la respiration, même si on sait qu’elles n’ont finalement pas été qualifiées pour Rio. On a envie d’y croire, qu’elles vont y arriver. C’est comme aller voir Titanic, on veut croire que le paquebot ne va pas couler, d’où l’importance de rythmer mon documentaire, de créer de la tension par le montage, la musique, accorder un grand souci au rythme, pour évacuer la performance ou les résultats des filles, mais de travailler sur le chemin parcouru.

Est-ce que si les filles avaient été sélectionnées à Rio, le documentaire aurait été différent?

Je voulais y aller au début, mais je me suis rendu compte que ça n’apportait rien. Bien sûr, on veut savoir si elles sont qualifiées, si elles ont réussi, mais le film fonctionne quand même. C’est le cheminement, l’invitation au voyage, le trajet avec une histoire, une fiction, qui m’importait, pas le résultat aux qualifications.

La Fabrique culturelle a rencontré le réalisateur Jérémie Battaglia, à voir! 

En salles à la Cinémathèque Québécoise à partir du 29 juillet et au Cinéma du Parc en version anglaise les 4, 5 et 6 août. La version courte pour la télévision de Radio-Canada (avec la narration de Sylvie Fréchette) sera diffusée le samedi 30 juillet à 21 h dans le cadre des émissions 1001 vies, enfin dans sa version courte en anglais le jeudi 4 août à 21 h à CBC dans le cadre de Firsthand.

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