C’était comme regarder un documentaire à Canal D, mais à 6 000 kilomètres à vol d’oiseau de mon sofa, perchée dans la cabine de pilotage d’un bateau blanc naviguant au large de la ville de Los Órganos, dans le nord du Pérou. Sous mes yeux, des lions de mer avachis sur une plateforme pétrolière déglinguée, des albatros se disputant les plus belles prises, l’immense dos noir d’un rorqual à bosse surgissant des eaux, et puis, pour m’achever, une ligue de dauphins coursant avec notre yacht. J’aurais juré qu’ils riaient. De mon air ébaubi, peut-être ?
Il y a longtemps que je ne m’étais sentie aussi intensément vivante. Au point d’écraser des larmes derrière mes verres fumés tandis que, dans un anglais mêlé d’espagnol, le truculent capitaine Gonzalo me rassurait quant à la stabilité de son 40 pieds, le Daring. La côte nord est réputée pour ses vagues puissantes, auxquelles se mesurent les surfers. Celles de Chicama, qualifiées de plus longues au monde, sont même protégées par une loi depuis peu, histoire qu’aucune action humaine ne modifie leurs rouleaux spectaculaires. N’empêche que, en bateau, il faut s’accrocher. Je ne m’étais jamais représenté le Pérou comme une destination balnéaire. Manifestement, je ne suis pas la seule : les étrangers se font rares sur la costa de 2 600 kilomètres bordée par le Pacifique. En fait, quatre touristes sur cinq ne mettent les pieds au pays que pour gravir les marches du Machu Picchu, au seuil de la jungle amazonienne. Pourtant, les paysages n’y ont rien à envier à la beauté de l’ancienne cité inca, quoique dans un tout autre genre : ici, la luxuriance cède la place au désert, d’une aridité extrême. Il serait d’ailleurs inhabité, n’étaient les rivières déboulant des Andes – elles créent dans leur sillage des oasis autour desquelles se sont érigées les zones urbaines. Dont Lima, la capitale.
Je me suis d’abord concentrée sur la partie la plus nordique de la côte, limitrophe de l’Équateur. Une région où le soleil darde sans répit ses rayons, contrairement aux provinces du Sud, souvent embrumées durant l’hiver austral (de mai à octobre). On y accède aisément à partir de l’aéroport international Jorge-Chávez de Lima, d’où partent des bus et des avions desservant les principales villes du littoral.
J’ai atterri à Piura, première cité fondée par les conquérants espagnols, il y a 500 ans. Tout autour, plantées dans le désert, de petites bourgades colorées où des artisans vendent bijoux en argent, chapeaux de paille toquilla, poteries, jouets et babioles. Des dizaines de chiens errants se promènent, reluquant les coins d’ombre et les restes de poulet grillé, tandis que les moto-taxis se faufilent hardiment entre les passants. Sans attendre ma permission, un vendeur pose sur ma tête un masseur capillaire aux branches d’acier pour que j’en constate les bienfaits.
La visite n’est pas désagréable, surtout lorsqu’on la couronne d’un petit pisco sour, cet heureux mariage d’une eau-de-vie, le pisco, de jus de lime, de sucre et de blanc d’œuf battu dont le Péruvien aime abuser. Mais ce sont les villages de pêcheurs et les stations balnéaires jalonnant le Pacifique qui valent vraiment le voyage – Máncora, Punta Sal et Cabo Blanco, par exemple, où Ernest Hemingway aurait achevé l’écriture du Vieil homme et la mer.
On y vient pour user ses gougounes sur des plages blondes, contempler le roc rougeâtre parsemé de quelques arbustes résilients, se baigner avec des tortues vertes ou faire des excusions en mer, comme celle qui m’a fait pleurer d’émerveillement. On souhaiterait avoir des yeux tout autour de la tête pour ne rien manquer, tant la vie marine est abondante et diversifiée. Les eaux péruviennes sont parmi les plus poissonneuses du globe grâce au courant froid de Humboldt, qui remonte de l’Antarctique.
Mon coup de cœur absolu : le Sanctuaire national des mangroves de Tumbes, à l’extrême nord du pays. Un labyrinthe de canaux d’eau salée peu profonds et boueux bordés de palétuviers, ces étranges arbres tropicaux auxquels les longues racines aériennes plantées dans la vase donnent des airs d’araignées.
Je m’y suis promenée à bord d’une chaloupe bringuebalante, à l’affût des singes hurleurs et de la centaine d’espèces d’oiseaux qui y nidifient. Aldo, notre guide, souhaitait qu’on s’accorde des instants pour « reprendre contact avec soi-même », en silence sous le dôme formé par les branchages. Mais la perspective de croiser des crocodiles anéantissait pour moi toute possibilité de méditation. Finalement, mon plus grand choc a été d’apercevoir un homme surgir de la vase, telle une créature de film fantastique. Il cherchait des crabes cachés dans les mangroves pour les vendre aux restos de la côte, nous a-t-il expliqué.
D’autres émotions fortes m’attendaient, cette fois à Paracas, dans la partie sud du littoral. Située à quatre heures de route de Lima, la région vaut qu’on s’y arrête. Notamment pour saluer la bande d’otaries aux îles Ballestas, et pour arpenter les paysages lunaires de l’exceptionnelle Réserve naturelle de Paracas, dont les falaises rouges escarpées dominant le rivage rappellent celles de l’Île-du-Prince-Édouard, les flamants roses en plus.
Ce sont les dunes, à quelques kilomètres de la côte, qui m’ont le plus impressionnée. J’ai encore le vertige en revoyant notre jeep dévaler à toute vitesse d’immenses montagnes de sable aux pentes inclinées à 90 degrés (j’exagère à peine). Les plus téméraires peuvent s’y risquer en dune buggy ou en planche à sable.
Après nous avoir démontré ses habiletés, notre chauffeur, un habitué du Dakar Challenge, s’est arrêté au sommet d’une dune à la tombée du jour, le temps que nous observions l’énorme boule orange couler dans l’océan. Et puis, magie : en bas de la dune suivante, un tapis d’Orient couvert de coussins nous attendait pour un pique-nique arrosé de champagne sous la Voie lactée.
Ce n’est plus un secret pour personne : la cuisine andine est à se rouler par terre, même dans les plus modestes bouibouis. Sa singularité est le fruit d’une cohabitation de longue date entre Quechuas, Espagnols, Italiens, Africains, Japonais et Chinois. Ça donne des plats traditionnels aussi diversifiés que le lomo saltado (sauté de bœuf et de légumes), les tamales (pains de maïs fourrés servis avec du piment fort), le tiradito nikkei (sashimi), la causa (parmentier fait de purée de pommes de terre, d’avocats et de poulet ou de crevettes), ou le seco de cabrito (estouffade de chevreau).
Il n’y a qu’à voir les étalages des marchés pour saisir à quel point les Péruviens jouissent d’une terre et d’une mer fertiles. Au seul rayon des pommes de terre, on en dénombre 4 300 variétés ! Les fruits de l’Amazonie côtoient des espèces rares de tubercules, des poissons bizarres et une multitude de céréales cultivées depuis le temps des Incas. De l’aveu même des gens du pays, les plaisirs de la table tournent ici à l’obsession : quand on n’est pas en train de manger, on parle de bouffe. C’est aussi l’objet d’une immense fierté nationale – à défaut d’avoir une bonne équipe de soccer, ironisent certains. Grâce à l’ascendant du chef Gastón Acurio, figure vénérée à travers le pays, des dizaines de milliers de jeunes Péruviens étudient maintenant la cuisine, et des gastrolâtres du monde entier font la file devant les bonnes adresses de Lima. Parmi elles, le Central et le Astrid y Gastón, où j’ai eu l’honneur de déguster un hallucinant repas de 30 services. Au moment de mon passage, Diego Muñoz était aux commandes de cette institution qui, sous son impulsion, a pris du galon sur la liste des meilleures tables du monde (il est parti depuis). Le chef était heureux de m’informer que c’est à l’hôtel Sheraton d’Ottawa qu’il a fait l’un de ses premiers stages, avant de continuer ses classes au célèbre elBulli, en Espagne. Vous ne me croirez pas : il m’a dit s’ennuyer de la poutine ! Avec plus de 4 000 variétés de patates à sa disposition, il aurait de quoi nous faire ombrage. Justement, il réfléchit à un nouveau concept de resto…
Le Pérou est une fabuleuse terre d’aventures, mais la rose a des épines. Les routes, par exemple, y sont souvent en très mauvais état (pire qu’au Québec, oui). Et la conduite automobile y est terrible. Terrible. J’ai passé une partie des trajets les mains rassemblées en prière, en particulier lorsque des mastodontes à la remorque surchargée décidaient de doubler, sans égard aux voitures circulant en sens inverse. Plutôt que de louer soi-même une voiture, il est recommandé de prendre le bus – la société Cruz del Sur a bonne réputation. Ou d’embaucher un chauffeur privé à partir d’un aéroport.
Propriété de la chaîne Aranwa. À 20 minutes de Máncora et 5 minutes de Los Órganos, où j’ai fait mon tour de yacht en mer. Je me suis endormie en écoutant le ressac des vagues, dans une tente bédouine munie d’une douche tout confort, montée sur la plage. On peut aussi y louer de petits bungalows. Parmi mes plus belles expériences hôtelières. Les prix varient entre 130 $ US et 280 $ US par nuit, selon la saison et le luxe des installations.
Que j’ai aimé cette chaleureuse auberge familiale où des chevaux couraient en liberté sur la plage ! Tenue par un couple sympathique. La nourriture y est délicieuse. Pour 1 600 $ US par semaine, ou 250 $ US par jour pour un minimum de trois jours, on peut y louer une petite maison comprenant trois chambres et trois salles de bains. Le prix comprend les services d’un cuisinier et l’entretien ménager.
Un imposant vignoble au pied de la cordillère des Andes, à Ica, dans le sud du pays. Les chambres y sont tout à fait exceptionnelles, ainsi que les terrasses aménagées un peu partout sur la propriété. On y déguste d’excellents vins. Entre 200 $ CA et 300 $ CA la nuit.
Dans la baie de Paracas. Des logis sans prétention au bord de la mer, sur le site d’un élevage de pétoncles. Le propriétaire, un épicurien au sens de l’humour irrésistible, offre une variété d’excursions. On s’y empiffre d’excellents fruits de mer frais pêchés et cuisinés sur place. Une famille de quatre peut y trouver son bonheur pour 120 $ US la nuit, petit-déjeuner inclus.
Quelques hôtels de la côte rivalisent d’élégance, et la gastronomie y est à l’honneur. À Máncora, je recommande le DCO, le Arennas Mancora et les suites bohèmes chics du KiCHIC, qui figurent d’ailleurs dans la liste des plus beaux établissements du New York Times et de Forbes. Plus au sud, à Paracas, le Luxury Collection Resort mérite bien son nom.
La période la plus abordable pour voyager sur la côte du Pérou est de décembre à mars, ce qui correspond à l’été dans l’hémisphère Sud.
Les frais de ce voyage ont été payés par PromPerú.
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