Pont couvert en bois, petite route suivant de près des maisons d’époque, paysage bucolique, terres fécondes… N’était le bruit lointain des voitures sur l’autoroute 40, on se croirait dans le Bas-du-Fleuve ou au fin fond de la Beauce. En fait, nous sommes dans les environs du village de Sainte-Élisabeth, sur les Chemins de campagne, un itinéraire d’adresses gourmandes créé par Tourisme Lanaudière. Au nord de Montréal, cette région est située entre Les Laurentides, la Mauricie et la Montérégie.
Calebasses, citrouilles et cie
Premier arrêt : une ancienne ferme laitière que Pascale Coutu et son conjoint, Pierre Tremblay, ont reconvertie. Leur Courgerie abrite maintenant l’une des plus importantes productions de courges au Canada. « Nous avons d’abord planté des citrouilles parce qu’une analyse des sols a révélé que c’est ce qui convient ici. Mais le 11 septembre nous a fait adopter la courge à une échelle plus large », raconte Pascale. Les frontières étant fermées à la suite des événements que l’on connaît, l’exportatrice a dû stocker dans sa cour 40 000 citrouilles qu’elle ne pouvait livrer aux États-Unis.
« Les gens passaient chez nous voir cette marée orange, ils prenaient des photos… L’idée d’associer la ferme à l’agrotourisme est venue de là. » Aujourd’hui, chaque saison, 20 000 personnes se présentent à La Courgerie pour se familiariser avec la citrouille et les 250 autres variétés de courges qu’on y cultive. Des potirons géants de 20 kilos jusqu’aux pâtissons miniatures qui tiennent dans le creux de la main, la courge attire ici les visiteurs intéressés à en faire eux-mêmes la cueillette. Elle fait l’objet de conférences et d’ateliers et sert même de prétexte en automne à un concours d’épouvantails très couru.
La Courgerie compte aussi une boutique, où l’on trouve des recueils de recettes, des confitures et des marinades renfermant de délicieuses raretés qui n’ont rien à envier aux meilleurs antipasti méditerranéens.
Un fumeur… et son secret
Le raffinement est aussi au rendez-vous un peu plus loin dans les terres, à quelques kilomètres du village de Mandeville, au nord du lac Maskinongé. L’artisan fumeur Daniel Gagné a derrière lui une longue carrière de boucher-charcutier. Il produit aujourd’hui Le Mandevillois, un jambon fumé d’une délicatesse rare, en plus de saucisses artisanales, de magret d’oie fumé à se rouler par terre et de charcuteries remarquables.
Mais la vedette de son alléchante production est le brie fumé farci à la truite : un brie entier crémeux, fourré de fines tranches de truite fumée sur place, que l’on place ensuite au fumoir de bois d’érable. Un délice qui mérite sa place sur tous les plateaux de fromages des grands jours.
Comment Daniel Gagné arrive-t-il à insérer ses tranches de truite dans un brie entier sans le défaire ? Et comment le fromage peut-il ensuite passer de longues minutes au fumoir sans fondre ? « C’est comme le caramel dans la Caramilk… top secret ! » répond en souriant le fumeur artisan.
Un peu d’Acadie à Berthierville
À Berthierville, ce n’est pas au Musée Gilles-Villeneuve que se trouvent les files d’attente les fins de semaine : c’est à la boulangerie Délices d’antan, sur la route 345 Nord. Steve Harnois et son équipe y offrent des beignets aux patates bien chauds – non, le goût n’a rien à voir avec celui de la pomme de terre –, qu’ils servent trempés dans le sirop d’érable bouillant. Steve affirme que la recette vient de l’Acadie, pays de l’épouse de l’ancien proprio. Les beignets aux patates et leur proche parent, le pain aux patates, seraient en effet apparus dans les Maritimes pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’on ajoutait de la purée de pommes de terre aux pâtisseries pour étirer la farine, rationnée pendant cette période difficile.
Acadiens ou pas, les fameux beignets font accourir les foules autant que le pain aux patates et les pâtés acadiens, sortes d’hybrides du pâté à la viande et de la tourtière du Lac-Saint-Jean. On trouve aussi aux Délices d’antan un choix imposant de produits régionaux : miel Morand de Saint-Charles-de-Mandeville, pâté de bison de Rawdon et même… de vraies retailles d’hostie des Moniales dominicaines de Berthier.
Le patron des gourmands
Lorsqu’on arrive à Saint-Alexis, on se croirait dans un tableau de peintre charlevoisien. Situé tout près de L’Assomption, le village se compose de maisons d’une autre époque qui, curieusement, sont perpendiculaires à la rue principale. Richard Behm, de la Ferme Bionicale, explique que les premiers habitants avaient érigé leurs maisons ainsi pour se protéger des vents froids et violents qui balaient la plaine lanaudoise en hiver. « Quand on place une maison comme ça, le vent ne frappe que du côté le moins large, et la neige qui s’y accumule protège du froid. Ça évite aussi de trop pelleter ! »
Producteur de légumes bios, Richard Behm est un véritable personnage à Saint-Alexis. Né aux États-Unis, cet agronome encore un peu hippie a roulé sa bosse en Espagne puis en Afrique avant de venir s’installer au Québec. Dans ses champs poussent des légumes inusités : betteraves jaunes, artichauts, carottes blanches, mauves ou jaunes, tomates jaunes ou vertes, tomates cerises, roquette… plus 30 variétés de laitues avec lesquelles il prépare un mesclun qui s’envole en moins de temps qu’il n’en faut pour l’ensacher. Cette verdure d’une finesse rare, cueillie feuille par feuille par des mains gantées, surpasse en saveur toutes les laitues qu’on a pu goûter au cours de sa vie.
Richard Behm est aussi l’unique producteur de melons Cavaillon bios au Québec. Les amateurs s’arrachent ce beau spécimen rond et juteux ; certains réservent le leur avant même sa cueillette.
Mais la culture de prédilection de Richard Behm demeure l’ail bio : des centaines de bulbes bien dodus, récoltés à la main, sèchent pendant trois semaines dans la grange, où sa fille et une employée les tressent en y joignant des fleurs séchées pour les vendre au marché. La ferme produit aussi de la fleur d’ail dans l’huile, vendue en pots nature, avec basilic ou fines herbes. Du tout bio, bien sûr.
Des oies en liberté
« Richard est effectivement tout un numéro », commente Sylvie Renaud, sa presque voisine, qui élève des oies sur le chemin Grande-Ligne, toujours à Saint-Alexis. Les oies gris-bleu de L’Oie Naudière sont des « grises des landes ».
Dodues et le cou élancé, elles ne cachent pas leur enthousiasme lorsque Sylvie les laisse courir quelques mètres autour de la grange où elles sont confinées le reste du temps, en raison des risques de grippe aviaire. « En temps normal, je les laisse aller dans les champs. Elles y sont plus heureuses. Elles mangent du foin et du maïs à même les épis, ce qui donne à la viande la saveur que nous recherchons. Un goût qui se rapproche de celui des oies de production artisanale en France », précise-t-elle.
Sylvie Renaud et son conjoint, Alain Dansereau, ont justement appris l’art du gavage là-bas, à Montesquieu, dans la Gironde : « Nous souhaitons importer ici le savoir-faire, le goût et les recettes traditionnelles françaises à base d’oie. La tradition revêt pour nous une grande importance et c’est ce qui nous a guidés dans notre offre de produits. »
Outre la viande et le foie gras d’oie frais, L’Oie Naudière propose des produits transformés tels que confits et terrines. Certains, comme la mousse de foie gras, sont vendus en conserve dans les boutiques hors taxe, les boucheries et épiceries fines partout au Québec. L’Oie Naudière offre aussi, entre autres, des cuisses, gésiers et manchons confits, produits très connus en France, mais encore peu chez nous.
On peut aussi acheter son oie fraîche à la ferme, mais il faut réserver son oiseau dès l’automne pour le servir à Noël. C’est que les oies de Lanaudière ont la cote chez les connaisseurs…
Fromages à succès
À L’Assomption, une fois traversée la ceinture de bungalows tout neufs entourant la ville, on découvre certaines adresses témoignant du passé rural. Parmi celles-là, l’ancienne « beurrerie de madame Bourque », sur laquelle Matthieu Frégault, un natif du coin, a mis la main en 2004. Un retour à la terre attendu pour cet ancien comptable, qui s’est alors lancé dans une formation de fromager. Puis il a créé La Voie lactée, où il fabrique quatre fromages à (très grand) succès. Selon son créateur, Le Grand Manitou serait le seul en Amérique du Nord à marier laits de chèvre, de vache et de brebis. Vendu entier en petite meule de 300 g, le beau fromage doré semi-ferme, affiné 30 jours, a un agréable goût de noisette et de crème.
La Voie lactée propose également Le Funambule, un pur chèvre crémeux, L’Apprenti Sorcier, fabriqué avec du lait de brebis de l’Outaouais, et Le Petit Portage, un fromage au lait de vache à croûte lavée.
L’île mystérieuse
Lors d’une tournée gourmande dans la région de Lanaudière, s’il est une adresse qui laisse bouche bée, c’est bien le vignoble de l’île Ronde, ouvert aux visiteurs du 1er juin au 15 octobre. Pour y aller, il faut réserver : on viendra alors vous chercher en bateau à la marina de Saint-Sulpice, à quelques minutes de Repentigny.
Surprise totale sur place : pas moins de 50 000 pieds de vigne en belles rangées gazonnées se déploient sous nos yeux avec, à l’arrière-plan, un élégant manoir en pierre tout neuf, dont le style oscille entre le château méditerranéen et la demeure de star hollywoodienne.
C’est ici que vit le bien nommé Jocelyn Lafortune, qui a mis de côté une carrière prospère dans le monde de la finance pour se consacrer à sa passion pour le vin. « Je savais que l’île avait été achetée au début des années 1960 par des spéculateurs italo-américains qui avaient entendu parler du projet du maire Drapeau d’ériger l’Exposition universelle sur une île », dit-t-il. Mais l’île Ronde est demeurée plus de 25 ans à l’abandon et Jocelyn Lafortune l’a rachetée en 1986. Il a ensuite mis neuf ans à la défricher, puis y a planté de la vigne.
Aujourd’hui, le domaine produit six vins, dont deux rosés, deux blancs, un rouge – Le Saint-Sulpice, étonnant – et un vin fortifié rappelant le porto. Les vins mûrissent sur place dans des fûts de chêne et le manoir sert en partie à accueillir des visiteurs, dans le cadre de soupers gastronomiques, de dégustations, de concerts ou de visites guidées.
Assis devant un rosé bien frais sur la terrasse du manoir, on voit se profiler au loin, par beau temps, le mât du Stade olympique. Et en tournant la tête, on peut admirer les hérons qui caracolent au-dessus de l’eau ou les raisins qui mûrissent au soleil au son des criquets… Qui dit mieux ?
Recettes mettant en vedette les produits de la région
• Tartiflette au Grand Manitou
Un plat qui vous permettra de découvrir le fromage Grand Manitou de la fromagerie La Voie lactée.
• Magret d’oie au poivre vert
Une recette raffinée mais simple à réaliser, offerte par Sylvie Renaud de L’Oie Naudière.
Les Chemins de campagne regroupent une quarantaine d’entreprises qui offrent des produits régionaux ; 27 d’entre elles ont collaboré à la préparation de fiches-recettes offertes dans un boîtier cartonné au coût de 10 $. Les fiches-recettes seules sont aussi distribuées gratuitement dans les entreprises participantes. Pour plus d’information et pour commander le boîtier : 1 800 363-2788.