Photo: Autorité du tourisme de Sainte-Lucie
Droit comme une barre de fer, Junior tient d’une main la corde qui le relie à la proue de son hors-bord. Nous filons à vive allure dans la baie Rodney, au nord-ouest de l’île de Sainte-Lucie. À 21 h, en ce beau vendredi soir de mai, l’obscurité est quasi totale sur le paisible plan d’eau qui sépare mon hôtel de la bourgade de Gros Islet où m’attend – m’a-t-on promis – une fête de rue endiablée.
Junior a le pied marin. Debout durant tout le trajet d’une dizaine de minutes, il reste solide dans ses bottines, alors que, collée au dossier de mon siège, je crains que le moindre faux mouvement ne fasse tomber mes lunettes dans les profondeurs de la baie. À peine le bateau arrivé au quai, quelques notes de musique parviennent à mes oreilles ; le street party est tout proche. Rue Dauphin, je tombe sur plusieurs bars improvisés, puis je me glisse dans une foule compacte et fluide qui ondule joyeusement au rythme de grands succès dance des quatre dernières décennies.
Installée devant un gigantesque haut-parleur, j’observe le groupe de touristes et d’habitants du coin, tous âges confondus, qui s’amusent ferme à une intersection commerçante. « Presque tout le nord de l’île est ici les vendredis soirs », affirme mon hôte, Andrew. À voir le nombre de personnes qui se déhanchent, je suis tentée de le croire. Soudain, à ma droite, s’élance un garçonnet qui maîtrise des mouvements dignes d’un champion mondial du jeu vidéo Dance Dance Revolution. Quelques instants plus tôt, un couple d’aînés tournoyait devant moi, puis se fondait dans la masse.
Les chansons s’enchaînent, le rassemblement grossit, et je perds un peu la notion du temps. Ce n’est pas l’envie de rester qui me manque, mais « nous passons d’une fête à l’autre ce soir », me rappelle mon guide, qui s’est promis de me montrer aussi le célèbre fish fry hebdomadaire du restaurant Duke’s Place, à deux coins de rue de la discothèque en plein air. Nous nous y arrêtons quelques minutes pour humer le poisson grillé et prendre la mesure de la file d’attente, qui fait le tour de l’immeuble. Puis, nous partons pour le site historique de la presqu’île de Pigeon Island, où l’un des spectacles les plus courus du festival annuel Jazz & Arts est sur le point de débuter.
Bienvenue à Sainte-Lucie, le parfait petit paradis où décrocher pendant quelques jours. Embarquement immédiat !
C’est sur le site du parc national de Pigeon Island, où trônent les ruines de monuments civils et militaires, que se tient le week-end de clôture de Jazz & Arts.
À mon arrivée, le premier soir, une foule tirée à quatre épingles malgré la chaleur et l’humidité ambiante vibre au même rythme que la star du reggae sainte-lucienne Meshach. L’ambiance est à la fête, la bonne humeur, contagieuse.
Le lendemain, c’est la protégée de Beyoncé, Chloë Bailey, qui fait danser la foule avant de céder la scène aux grandes vedettes nigérianes d’afrobeat Joeboy (d’humeur mélancolique ce soir-là) et Davido (franchement plus divertissant).
La soirée la plus impressionnante sera toutefois la troisième et dernière : les rockers du duo australien Air Supply, dont les grands succès datent du tournant des années 1980 (All Out of Love et Making Love Out of Nothing at All, ça vous rappelle quelque chose ?), revivent avec une joie manifeste leurs heures de gloire devant une foule – littéralement – en délire. C’en est à se demander si l’auditoire aura encore de l’énergie à l’arrivée de la grande star de la soirée, Babyface (oui, ce fut le cas !).
Il est à peine 9 h lorsque je mets le pied sur le grand catamaran nolisé pour me mener, avec un groupe de journalistes, de la marina de Rodney Bay à celle de Soufrière. Première activité du jour, premier verre de rhum punch offert. Je décline, devinant que les occasions de me reprendre ne manqueront pas. Une musique assourdissante retentit, installant dans l’embarcation une ambiance de fête qui règnera pendant les deux heures que durera la traversée.
Je garde les yeux fixés sur l’eau de longs moments, déterminée à repérer le saut fugace d’un poisson volant. En voici un qui survole la surface avant de replonger, alors que se dévoile, à la pointe sud de l’île, le véritable clou du spectacle : les majestueux volcans emblématiques de Sainte-Lucie, Petit Piton et Gros Piton. Nous approchons du port de l’ancienne capitale, Soufrière, fondée par les Français en 1796 et dont le nom évoque les gisements de soufre qui l’entourent.
Un minibus nous mènera d’abord à la jolie chute d’eau nommée Toraille Waterfall, où il est possible de faire trempette sous une cascade d’eau glaciale, puis dans les bains thermaux de Sulphur Springs, situés au creux du cratère affaissé d’un volcan en dormance. Enduite d’une boue à la forte odeur de soufre que j’ai laissée sécher au soleil pendant quelques minutes, je m’installe dans le plus tempéré des quatre bassins d’eau chaude. Je ferme les yeux quelques instants, arrivant presque à ignorer le bavardage incessant des autres touristes qui m’entourent, pendant que se dissout cette croûte réputée adoucissante pour la peau.
L’estomac creux, je remonte dans le minibus avec mes comparses. Andrew a choisi de nous faire découvrir le tout nouveau restaurant des Torontois Diana et Sorin Moldovan, Soley Kouche, niché à flanc de colline, à quelques pas des villas du chic hôtel Têt Rouge de Choiseul. Ici, tout est fait maison par l’équipe de la jeune cheffe anglaise Kyrah Henry, qui a travaillé dans des cuisines londoniennes réputées avant d’apporter ses couteaux dans les montagnes tranquilles de Sainte-Lucie. « Mon père est né ici; j’y ai passé tellement d’étés que je me sens chez moi », explique-t-elle lorsque je lui demande ce qui a bien pu la convaincre de quitter une capitale grouillante d’activités pour la campagne sainte-lucienne.
En ce début d’après-midi torride, une agréable brise souffle sur la terrasse où j’accepte volontiers, cette fois, le rhum punch qui m’est offert. Comme dans la plupart des restaurants visités à Sainte- Lucie, un musicien égaie l’atmosphère de ses classiques pop en version instrumentale. Notre groupe interrompt ses conversations entremêlées le temps d’engloutir un potage de chou-fleur épicé à la texture soyeuse et aux parfums nuancés, qui fait du bien malgré la chaleur. Suivront un risotto aux champignons sauvages, des cuisses de poulet rôties et un mahi-mahi tout léger servi dans un bouillon épicé à la noix de coco où baignent de moelleux gnocchis maison. Lorsque le personnel de salle pose sur la table d’alléchantes parts de gâteau au chocolat surmontées d’une boule de glace à la vanille, je me laisse tenter, puisque j’ai les yeux plus grands que la panse, et que je m’en voudrais de ne pas y avoir goûté. Une cuillerée, deux, trois. De regrets, il n’y aura pas.
#LetHerInspireYou, dit le poétique mot-clic retenu par l’Autorité de tourisme de Sainte-Lucie pour faire connaître son île. Mais en quoi ce havre de paix aux plages de sable blanc, où l’on se baigne dans une eau divinement chaude, se distingue-t-il des îles voisines des Petites Antilles, comme la Guadeloupe et la Martinique ?
« Sainte-Lucie est la Johnny Depp des îles : son charme est inexplicable, il faut en faire l’expérience pour le comprendre », lance dans un éclat de rire Lindon « Linny » Lovell, le directeur général du chic complexe hôtelier qui m’accueille, Windjammer Landing Resort & Residences. Nous sommes attablés au restaurant italien Papa Don’s, sans conteste le meilleur endroit pour déjeuner sur le site. « Il y a tant d’activités à faire en plein air », ajoute-t-il pendant que je me laisse distraire par la divine saveur du nuage d’œufs brouillés au crabe épicé qui vient de réveiller mes papilles.
J’ai reçu maintes variantes du même commentaire tout au long de mon voyage. « La beauté de notre île est extraordinaire, et nos gens sont chaleureux. C’est dans notre nature », affirme par exemple Ernest Hilaire, vice-premier ministre et ministre du Tourisme, de l’Investissement, des Industries créatives, de la Culture et de l’Information. Il dit vrai : toutes les personnes croisées ont fait montre d’une grande bienveillance.
La patience des insulaires risque toutefois d’être mise à l’épreuve au cours des prochaines années, puisque le gouvernement investit massivement pour attirer les étrangers. L’économie du pays, fortement dépendante de l’industrie du tourisme, qui emploie quelque 15 000 personnes (dont 55 % de femmes), a été ébranlée par la pandémie de COVID-19. Une reprise s’est toutefois amorcée, constatent la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans des rapports datés de 2023 et de 2024. Et l’Autorité du tourisme de Sainte-Lucie prévoit que la capacité hôtelière passera de 5 500 à 7 500 chambres d’ici à la fin de 2025. Or, les infrastructures sont vieillissantes, concède Ernest Hilaire. « Nous avons un site [Pigeon Island] magnifique, mais une seule route s’y rend, et elle ne suffit plus à la tâche », reconnaît-il, avant de préciser que la situation pourrait être longue à régler.
Lorsque je lui demande si, en tant que touriste, je risque de faire plus de mal que de bien à son pays, le ministre répond du tac au tac : « Nous devons protéger notre petite île, c’est pourquoi nous offrons des incitatifs aux propriétaires d’hôtels pour les pousser à réduire leur empreinte carbone. L’utilisation d’énergie renouvelable et le traitement responsable des eaux usées comptent parmi les critères considérés pour l’attribution du certificat de tourisme durable, qui donne accès à ces incitatifs. » Car l’île ne peut – ni ne veut – se passer des visiteurs, qu’elle accueille à bras ouverts.
Notre journaliste était l’invitée de l’Autorité du tourisme de Sainte-Lucie et de Windjammer Landing Resort & Residences, qui n’ont eu aucun droit de regard sur ce reportage.
Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine