Blogue de la rédac

Mon père veut mourir et je ne sais pas comment l’aider.

Mon père est très malade. Il n’a pas de cancer, ni de problème cardiaque, il se déplace aisément et n’a mal à nulle part. Sauf qu’il est en train de perdre sa raison et l’usage de son cerveau.

Mon père est très malade. Il n’a pas de cancer, ni de problème cardiaque, il se déplace aisément et n’a mal à nulle part. Sauf qu’il est en train de perdre sa raison, l’usage de son cerveau, son autonomie et sa dignité.  Peanut, c’est ainsi que tout le monde l’a toujours amicalement surnommé, est atteint de la maladie d’Alzheimer.  Ma mère n’étant plus de ce monde, il n’a pas la chance d’avoir une épouse pour prendre soin de lui. Fille unique, je suis seule responsable de son sort. Et je n’ai pas eu d’autre choix que de le « parker » dans une résidence pour personnes âgées en perte d’autonomie. Tous les jours, il m’appelle des dizaines de fois. Pour me dire qu’il se sent abandonné (même si je le visite régulièrement), qu’il est tanné de vivre, qu’il se sent comme un chien dans une prison. Ce sont là ses propres mots. Il me demande sans cesse « Est-ce que je vais mourir ici? Où est mon avenir? »  

À la résidence, il reçoit de bons soins : on le lave, on le nourrit, on lui donne ses médicaments à heures fixes. Tous les efforts sont déployés pour maintenir une organisation parfaitement structurée, gérée au quart de tour. À première vue, Peanut ne manque de rien. Il habite dans une belle résidence toute neuve. On dirait un hôtel chic. Il y a de beaux fauteuils en cuir, une salle de bain hyper moderne, une télé à écran plat, un grand balcon qui donne sur la cour arrière. Y’a pas à dire, c’est une belle place! Mais il n’en profite pas. Car il lui manque l’essentiel : la chaleur humaine, l’encadrement psychologique, l’empathie des intervenantes. Peanut a besoin qu’on le rassure, qu’on lui rappelle mille fois que la salle à dîner, c’est par là. Que oui votre fille est venue vous voir hier, vous avez oublié, mais ne vous en faites pas, elle reviendra, elle vient toujours. Venez, on va jouer une petite partie cartes, ça va vous changer les idées. Malheureusement, ce n’est pas ainsi qu’on interagit avec mon papa.

L’autre jour, il a pété les plombs. Il était tout paniqué au téléphone. « Il faut que tu appelle la police, je suis pris ici et personne ne s’occupe de moi. Faut que tu fasses quelque chose, viens leur parler. » Je l’ai rassuré, il s’est calmé. Puis une autre fois, il a recommencé. Il est devenu agressif, a frappé dans le mur et insulté le personnel. Il faut savoir que les préposées qui travaillent dans cet établissement chic et de bon goût sont pour la plupart froides et insensibles. Je vous jure, elles ne me saluent jamais. J’ai peut-être l’air d’une râleuse comme ça, mais croyez-moi, je suis une personne objective, souriante, ouverte d’esprit et pleine d’entregent. Mais discuter de mon père avec elles, ne serait-ce que 2 minutes, est une mission impossible, car ma foi, elles s’en contre-cr…. Bref, mon père était en crise. Les intervenantes, souvent impassibles et inexpressives, poker face dépourvues de compassion, n’ont pas compris que cet homme, à travers son agressivité, exprimait détresse et désarroi. Il avait besoin qu’on le rassure. Quelques paroles réconfortantes l’auraient apaisé. Mais comme elles ne parlent pas ce langage, elles ont perdu le contrôle. La situation a dégénéré et ils l’ont finalement envoyé à l’urgence! Avec personne pour l’accompagner! Quand je suis arrivée à l’hôpital, il se demandait ce qu’il foutait là. Heureusement que j’étais présente quand le médecin est passé, car mon père aurait été incapable de lui expliquer sa situation.

Je ne suis pas naïve, je sais bien que les préposées sont débordées. Que leur travail est exigeant. Qu’elles sont souvent mal payées, parfois peu éduquées. Et qu’on ne peut pas les blâmer, car après tout, elles font ce qu’on leur demande : laver et nourrir les patients et assurer leur sécurité. Je sais aussi qu’il ne faut pas généraliser, qu’il existe des préposées dévouées, des personnes de cœur qui s’investissent dans leur travail. Chose certaine, le personnel qui interagit avec des personnes souffrant de troubles cognitifs devrait être doté d’un minimum d’intelligence émotionnelle. Les intervenants devraient recevoir une formation pour se familiariser avec cette terrible maladie. Et il faut embaucher des gens qui ont à cœur d’apaiser les souffrances des personnes qu’on leur confie.

Mon père n’est pas riche. Mais il a amassé suffisamment d’économies pour se payer le luxe de choisir une résidence qui lui convient. Le hic, c’est qu’il n’y en a pas! En tout cas, je n’en ai pas trouvé, ni au public, ni au privé. L’an passé, il a séjourné dans un établissement qui lui coûtait 2800$ par mois! Mais ce n’est même pas une question d’argent. Nous avons eu droit aux mêmes airs de bœuf, à la même indifférence! Et encore le même constat dans une troisième résidence tout aussi chic et coûteuse. Un lieu sans âme, triste et funèbre comme le sont les hospices. En fait, il existe une résidence qui sait s’occuper des personnes atteintes d’Alzheimer et qui ne se limite pas à les garder propres, bien nourries et en sécurité. C’est à 140 km de chez moi, à Trois-Rivières. La maison Carpe-Diem. Un modèle qui devrait être suivi et imposé par notre système de santé. Vous vous souvenez de Blandine Prévost? Cette Française de 38 ans, atteinte d’Alzheimer, qu’on a vue à Tout le monde en parle en février dernier, était venue au Québec avec son mari pour rencontrer la fondatrice de Carpe Diem, Nicole Poirier. Elle voulait ouvrir une résidence semblable en France, basée sur les mêmes pratiques. Pour s’assurer de vivre ses derniers jours dans un lieu paisible et chaleureux, adapté à ses besoins. Elle ne voulait pas finir dans un endroit inhospitalier à attendre la fin, emprisonnée dans son monde intérieur comme dans un trou noir.

L’approche Carpe Diem, c’est : « Favoriser la création de relations de confiance entre la personne atteinte et les personnes qui l’accompagnent. Tous les comportements ont un sens et constituent un message qui nous est adressé, et que nous nous efforçons de comprendre. C’est à nous, comme intervenants, de trouver les voies d’accès à l’univers de l’autre, et non pas à la personne atteinte d’arriver à comprendre notre réalité. »

On peut espérer qu’un jour, ce modèle sera répandu et que les personnes atteintes d’Alzheimer (on estime que d’ici 2031, nous serons plus de 187 500 au Québec) seront mieux encadrées.  En attendant, mon père attend juste une chose : cesser de respirer. J’essaie de ne pas me sentir trop coupable. Mais parfois je n’y arrive pas.

 

 

 

 

 

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