Marilyse Hamelin / Photo : Justine Latour
Un de mes films préférés date de 1987. C'est l'histoire d’une bande de jeunes hommes désœuvrés et désaxés... qui sont en fait des vampires.
À l'époque, je l'avais vu en français. Le titre de la version traduite est Génération perdue, et, en version originale, c'est The Lost Boys.
De toute façon, je trouve que l'un ou l'autre convient tout autant pour coiffer une chronique s'attardant à ce qui se passe avec les garçons.
Moi aussi, j'ai regardé la série Adolescence. Je ne l'ai trouvée ni excellente ni mauvaise.
En éteignant la télé, j'ai pensé que ce serait une bonne idée de la montrer dans les écoles et, quelques jours plus tard, cela s'est avéré, en Angleterre du moins. Comme quoi je n’étais peut-être pas la seule à y voir un exercice légèrement didactique.
Je n'ai pas été ébranlée outre mesure, donc, et je me suis mal expliqué l’engouement collectif. Puis je pense que j'ai compris : l’émission a eu l’effet d’un électrochoc, d’une prise de conscience brutale pour la majorité tandis que, moi, je navigue dans les eaux troubles de l'anti féminisme depuis des années. Pas étonnant qu’il n'y ait eu aucun effet de surprise de mon côté...
Je l’écrivais l’an dernier en finale de mon plus récent livre, « des professeurs déplorent que leurs étudiants (emploi du masculin volontaire) soient de plus en plus à droite sur le spectre politique et particulièrement antiféministes, un sentiment que confirment les données de l’Étude électorale canadienne à l’effet que l’écart idéologique entre les genres se creuse parmi les Québécois dans la vingtaine. Le phénomène est mondial et s’observe aussi aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Corée du Sud, a affirmé le Financial Times dans un article publié fin janvier 2024 et basé sur l’analyse des données de la firme Gallup. Ainsi la génération Z ne serait pas une, mais deux générations : d’un côté, les jeunes femmes, et de l’autre, les jeunes hommes. »
Toutes sortes d’explications ont depuis émergé : le ressac anti-#MoiAussi, les algorithmes…
Des chercheurs du London University College ont d’ailleurs mené une expérience au sujet des algorithmes en créant des profils sur TikTok, qu’ils ont abonnés à des sujets susceptibles de plaire aux jeunes garçons comme le sport, l’automobile, la musculation.
En moins de cinq jours, la moitié du contenu de leur flux algorithmique était pollué de vidéos d’influenceurs misogynes, par exemple celles d’Andrew Tate, qui reflétaient les idées masculinistes voulant que les femmes soient responsables de tous les maux de la planète.
Le masculinisme est une idéologie dangereuse dont les conséquences se font sentir dans le réel. Difficile d’ouvrir les journaux sans qu’on y présente de nouveaux cas de violence conjugale, de coercition, de tentative de meurtre et carrément de féminicide. Et puis les groupes de défense des droits LGBTQ+ constatent un ressac homophobe et particulièrement transphobe. Les propos discriminatoires, notamment dans les écoles, s’expriment de manière de plus en plus décomplexée.
Bref, tout est à refaire, encore. Cent fois sur le métier...
Les années 2010 ont été l’occasion de nombreux changements radicaux. Si les femmes de la génération de ma grand-mère ont lutté pour l’accès au droit de vote au Québec et celles de la génération de ma mère contre la violence conjugale et pour l’accès à l’avortement et à l’équité salariale, le combat des féministes de ma génération aura beaucoup été un travail de sensibilisation, parfois sous la forme de hauts cris de ras-le-bol, pour que cessent d’être normalisées, banalisées et minimisées les agressions sexuelles. Nous avons nommé et circonscrit les contours flous de la culture du viol.
Et, en retour, nous baignons désormais au cœur du backlash post #MeToo.
Mais si, au fond, cette vague qui nous heurte aujourd’hui de plein fouet n’était tout ce temps que de l’eau dormante, tapie sous la surface ?
Déjà, en 1997, le chercheur et auteur Francis Dupuis-Déri écrivait dans les pages d’opinion du quotidien Le Devoir que « l'homme a peur des féministes, car il sait que la situation actuelle l'avantage et il sent qu’à chaque gain qu'arrachent les femmes, c'est une certaine qualité de vie qui s'effrite. »
L’idéologie antiféministe n’est pas nouvelle, donc, mais les moyens de la propager sont devenus aussi efficaces qu’un super virus. Et cette épidémie de misogynie menace d’emporter chacune de nos avancées collectives.
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Écrivaine, éditrice, chroniqueuse et animatrice, entre autres, Marilyse Hamelin a fait paraître en 2023 Une détresse contrôlée (Hamac) et, en 2024, Solitudes, une décennie de réflexions féministes (Somme toute). Elle écrit aussi l’infolettre Quelques mots sur…, qui traite du processus créatif et, plus largement, du milieu littéraire québécois.
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