Je suis assez surprise de voir à quel point un homme comme Steve Jobs a pu être adulé depuis deux jours. Cette photo prise à l’extérieur d’un magasin Apple à Montréal en témoigne. Nous ne sommes pas loin des autels réservés aux dieux.
En écoutant Hervé Fisher hier à la radio, je me suis rappelé que moi aussi j’avais ma petite anecdote sur Steve Jobs. Ben oui. Lorsque Fisher a mentionné qu’il était bouddhiste et végétarien, je me suis rappelé que nos routes se sont croisées au fond du plus beau cul-de-sac de la Californie.
Non, je ne lui ai pas parlé. J’ai fait mieux : j’ai caressé son palais par l’entremise d’une crème glacée au thé de mûres sauvages turbinée par mes blanches mains. J’étais sûre que vous ne me croiriez pas.
Nous sommes en 1986. Jobs s’est fait montrer la porte d’Apple l’année précédente. On en parle alors comme du « fondateur d’Apple ». Cette année-là, je décide d’aller visiter mon frère qui vit au Tassajara Zen Mountain Center ouTassajara Hot Springs, dans la chaîne de montagnes de Santa Lucia. Il y a passé trois ans à s’user les genoux sur des zafus.
L’hiver, le centre est réservé aux moines, disciples admis dans la communauté. L’été, Tassajara se transforme en spa-bouddhiste-végétarien, car des sources d’eau chaude jaillissent des montagnes. Oh, pas le spa que vous connaissez avec les robes de chambre en ratine et le faux silence, la musique gnan-gnan et les impositions de pierre yin-yang. Non, un endroit de calme, de méditation, plutôt aride, sans électricité, avec des bains japonais et une grande piscine d’eau fraiche. Du moins, c’était comme ça il y a 25 ans. Et le numéro de téléphone était « Tassajara number one », ça ne s’oublie pas.
La cuisine végétarienne à Tassajara a toujours été succulente: le pain frais chaque matin, les desserts maison, les légumes du jardin. Un miracle à 4 heures de route de la vallée de Carmel, à peine praticable dans des montagnes somptueuses.
Donc, j’ai passé dix jours à Tassajara -vendu un reportage à L’Actualité sur l’endroit- et cuisiné six heures par jour pour y être logée et nourrie gratuitement. Jobs y était au même moment, il était un habitué. Comme mon frère était affecté à la cuisine, j’épluchais les carottes avec lui. Un soir, il me dit : « On va faire un dessert spécial pour la gang d’Apple. Une crème glacée au thé de mûres sauvages».
Je crois que le frangin avait pris la recette dans Chez Panisse Desserts, sa bible. De toute façon, je vous rappelle que nous n’avons pas d’électricité et qu’une seule génératrice pour tout le monastère. Nous avions utilisé une sorbetière en bois à manivelle dans laquelle la glace et le gros sel servaient à refroidir le mélange de crème et d’œufs. Un succès.
Voilà pour l’anecdote entre Steve et moi. J’ai été à une poignée de main (ou une cuillère) du dieu d’Apple. Et je lui ai été fidèle toute ma vie.