Formidable dans tous les sens du terme. Forte, puissante, étonnante, Annie inspire tout ce qui relève de la définition du mot formidable.
Annie me fait penser à la lune. Son influence se fait sentir au-delà des marées, et dans une nuit noire, il suffit de lever la tête pour être immédiatement réconforté par sa lumière.
Coach du groupe du 10 km au Club de Course Châtelaine, marathonienne accomplie, mère de deux enfants, Jules, 8 ans, et Lili, 11 ans, Annie est aussi spécialiste en révision linguistique, et son premier recueil de nouvelles — toutes regroupées autour de 10 terrains vagues — doit sortir chez Druide en janvier 2015.
Il y a même, me dit-elle, deux ou trois personnages qui courent… Tiens donc.
Entrevue avec une force sensible…
Annie, à 10 ans, elle fait déjà du sport?
Non, pas tant que ça, rien d’organisé ni de régulier. Mais j’étais active : du vélo l’été, du patin l’hiver, des journées à niaiser à la piscine ou à jouer dehors. J’étais parmi les rares filles qui jouaient au ballon-chasseur et au hockey cosom dans la cour d’école. J’ai participé à une course vers 9-10 ans, la Foulée hubertine, c’était 1 ou 2 km. J’étais partie trop vite, j’avais aucune idée de la distance à courir. Je me souviens d’avoir trouvé ça éprouvant, mais j’avais été fière de courir jusqu’au bout. Sur la vignette de « marathon foto » que ma mère a conservée, j’ai la même foulée qu’aujourd’hui, le même air quand je cours, et j’ai quand même l’air d’aimer ça…
Est-ce que tu te souviens des raisons qui t’ont menée vers la course et de comment ça s’est passé pour toi?
J’avais essayé la course à quelques reprises (à 15 ans, à 22 ans), mais je n’avais pas eu la piqûre plus que ça. Vers la mi-trentaine, je cherchais une activité physique que je pouvais pratiquer quand bon me semble en toute simplicité sans abonnement ni complication d’horaires, alors au printemps 2009, j’ai décidé de ressortir mes vieux Adidas que j’avais pas utilisés depuis 10 ans. J’ai couru une vingtaine de minutes, à bout de souffle. Il faisait beau ce matin-là, je me suis sentie bien dans l’effort. Je m’étais fixé comme objectif de courir une heure avant l’été. En progressant grâce à un programme trouvé sur Internet, j’ai vraiment aimé ça. Avec des enfants en bas âge, c’était aussi une occasion d’avoir un moment juste pour moi, pour me retrouver. Un désir de dépassement aussi, pour voir ce dont mon corps et ma tête étaient capables. Je passais tout l’été en famille à Barcelone, on était ensemble 24 h sur 24 h, alors je me suis mise à vraiment rechercher ces moments où je pouvais explorer la ville en me déplaçant rapidement et un peu au hasard, à retrouver une certaine qualité de solitude aussi. À la fin de l’été, je courais ma première course organisée : le demi-marathon de Montréal, et je me suis surprise à aimer l’aspect de saine compétition contre le chrono, contre moi-même, à vouloir dépasser la petite jeune en avant de moi ou le grand gars musclé. C’est là que me suis dit : je vais courir un marathon avant mes 40 ans, et ce sera New York. Finalement, j’en ai couru 5 en 5 ans et mon 6e sera New York… 4 jours avant mes 40 ans, le 2 novembre prochain. Je trouve que c’est un beau cadeau que je me fais : courir un marathon en compagnie de 56 000 autres fous, dans une ville incroyable, avec 2 millions de personnes qui nous encouragent.
As-tu besoin de te fixer des objectifs pour te motiver?
Oui. Je me fixe des objectifs raisonnables, juste assez ambitieux pour rester motivée et disciplinée. Par exemple, j’avais l’objectif de « courir un marathon et de le finir en souriant », puis j’ai visé sous 3 h 50, puis de me qualifier pour Boston. Sans objectifs, je cours beaucoup moins souvent et avec moins d’intensité.
Comment choisis-tu un plan d’entrainement?
Je le choisis pour qu’il colle à ma réalité de coureuse, qu’il parte de là où j’en suis et au temps et à l’énergie que j’ai à consacrer à la course, donc 4-5 sorties hebdomadaires, de 30 à 50 km par semaine. J’aime varier les rythmes et les entraînements : des longues sorties qui incluent du rythme marathon, des intervalles, des côtes, du tempo, etc. Je n’ai jamais été une fille disciplinée, qui fait des plans et qui s’organise pour s’y tenir, et pourtant, la course m’a appris que j’étais capable de cette constance-là.
Tu respectes le plan?
J’essaie, le plus possible. Quand je manque une sortie ou que j’arrive pas à tenir le rythme suggéré, je me prends pas la tête avec ça. Et quand je sens que j’ai besoin de repos, je saute une journée ou j’allège la sortie. C’est un plaisir pour moi, courir, et ça m’est précieux alors je fais attention de ne pas rendre ça trop contraignant ou rigide. Comme dans bien des choses, c’est une question de dosage et de se fier à son instinct aussi.
Courir à la campagne ou courir en ville pour tes entrainements?
J’aime les deux. Je cours plus souvent en ville, je varie mes parcours, j’ai un rapport à la ville différent depuis que je cours : à force de parcourir, saison après saison, la montagne, les parcs, la piste des Carrières, certains viaducs, souvent les mêmes rues, ces espaces publics ont fini par être intimement liés à la course, à des souvenirs de moments de course ou d’amis avec qui j’ai couru. J’aime aussi beaucoup courir à St-Armand, près de mon chalet. La course à la campagne est plus contemplative, plus paisible. J’en profite pour écouter des podcasts d’émissions littéraires. C’est un de mes grands plaisirs de coureuse : me faire faire la lecture ou écouter des entretiens avec des gens inspirants tout en courant. Des fois, je regarde la lumière dans les champs, le lac, le ciel, les arbres et je me dis que je trouve ça beau et que ça me rend vraiment heureuse de courir. Un genre de béatitude difficile à expliquer.
Seule ou avec d’autres?
Les deux, vraiment. J’ai cette chance : presque tous mes bons amis se sont mis à la course. J’étais tellement enthousiaste quand j’ai commencé à courir, j’ai pas eu du mal à les convaincre. La course m’a aussi fait rencontrer des gens qui sont devenus des amis. Je refuse rarement une invitation à courir avec d’autres. Mais j’ai aussi besoin de me retrouver seule. Ça me fait du bien, c’est vivifiant et satisfaisant. Je dissipe des soucis, je trouve des idées d’écriture, je prends de la distance, les choses se placent dans ma tête. J’accède à une forme d’apaisement, de sérénité et d’énergie pour la suite. Je cours plus souvent seule.
Tu as des rituels avant une course officielle?
Non, pas vraiment, à part m’assurer d’avoir pris un bon déjeuner : gruau à l’érable ou bagel au miel, banane, café, verre de jus. Ah oui, c’est vrai, je relis des petits bouts de mon livre de course préféré The Competitive Runner’s handbook de Bob Glover, pour la stratégie et la motivation.
Tu t’es qualifiée pour Boston au marathon d’Ottawa, comment ça s’est passé à Ottawa?
C’était une bonne journée et je l’ai su dès le départ : j’étais en forme, la météo était parfaite et j’étais incroyablement motivée et sereine. J’ai couru à un rythme pas mal constant, j’étais concentrée et confiante, et j’ai fini 5 minutes plus rapidement que ce que je visais. J’étais complètement vidée à la fin, j’avais même pas l’énergie pour me réjouir d’avoir enfin atteint mon objectif de qualification.
Et à Boston?
Là, j’avais une moins bonne journée, et ça aussi, je l’ai su dès le départ. J’ai ajusté le rythme à la baisse, mais avec les encouragements incroyables de la foule, j’ai quand même tout donné jusqu’à la fin. À un moment donné, il y avait des acclamations très fortes juste devant moi. C’était Dick Hoyt, 73 ans, qui poussait son fils quadriplégique. C’était beau à voir, l’accueil que les gens leur réservaient, j’ai eu un grand frisson. Je me suis rappelé que c’était un privilège que de pouvoir courir et j’ai couru le reste de la course dans une grande gratitude, complètement vivifiée et honorée de faire partie de cette grande célébration qu’est le marathon de Boston.
Est-ce que ça t’arrive d’être déçue du résultat d’une de tes courses? Si oui, comment tu gères ça?
Non, je me souviens pas d’avoir été déçue. J’ai eu des courses plus misérables, plus accablantes, forcément c’est inévitable, mais j’arrive toujours à en tirer quelque chose (ou à trouver une excuse pour justifier un moins bon résultat, parfois tout simplement : c’était pas une bonne journée). Je veux dire, on n’est pas des athlètes olympiques, il faut relativiser, on a toujours l’occasion de se reprendre une prochaine fois. Je pense bien avoir franchi l’arrivée de chacune des courses auxquelles j’ai participé en souriant… même si des fois c’était un sourire de « merci, c’est enfin fini! ». En général, je gère les courses misérables de la même manière que les entraînements misérables, pendant je fais taire le self talk malsain avec un : Ta yeule pis cours! Et après, je chiale un peu, avec humour, puis j’analyse ce qui a mal été et je me dis : tu feras mieux la prochaine fois.
Et la victoire, quand tu as atteint tes objectifs, qu’est-ce que ça provoque chez toi?
Une grande satisfaction. Un apaisement. Et un désir de me pousser et d’oser encore davantage.
Parlons betteraves, bananes, et patates douces. En préparation d’une longue course, tu as la nutrition heureuse. Tu constates une différence dans ton énergie?
Je fais attention à ce que je mange les jours précédant un marathon, sinon le reste du temps, rien de spécial.
Tu es certainement la coureuse que je connais qui réussit le mieux à équilibrer la nécessité de « pousser » et celle de prendre ça relax. Des conseils à prodiguer aux extrémistes?
Je suis pas vraiment le genre à donner des conseils. Au fond, c’est à chacun de trouver son équilibre dans l’effort, mais c’est clair que ça prend un équilibre entre les entraînements qui font progresser et le repos qui permet au corps de récupérer. Si on veut éviter de se blesser ou de se décourager avant d’atteindre ses objectifs, je crois qu’il est sage d’y aller progressivement et de s’en tenir à un plan adapté, à sa forme mais aussi à son rythme de vie. Moi, j’aime bien alterner les entraînements exigeants, grandement satisfaisants et qui me mettent en confiance, avec des sorties de course très relax, où je me laisse aller à la rêverie, en savourant la joie de juste courir. J’ai quand même un bon fond de paresse, je pourrais pas pousser tout le temps.
Et à ceux qui prennent ça un peu trop relax?
Si ça leur convient, je leur dis rien du tout. Si elles ont envie de progresser ou de se dépasser, je dis : essaie les intervalles pour voir, essaie d’ajouter une sortie par semaine, inscris-toi à une course et suis un plan.
Parlant de gestion, tu concilies ça comment, toi, le travail, les enfants, et la course?
J’ai la chance d’avoir pas mal de souplesse dans ma façon d’organiser mon travail et mes journées. Quand les enfants étaient plus petits, je courais parfois pendant leur leçon de natation ou en tournant autour du parc ou de la patinoire. Maintenant, ça fait partie de ma vie, ça s’est intégré dans l’horaire tout naturellement… et les enfants se gardent tout seuls.
Je sais que tu as fondé un club de course à l’école de tes enfants, comment ça se passe?
On était 100 coureurs, parents et enfants, à courir au Défi du printemps. Ça fait 3 ans que notre école remporte la bourse du plus grand nombre de participants. Pour ce qui est du Club de course, avec les vacances estivales, les horaires chargés des familles, c’est un peu difficile à implanter. On va relancer ça au printemps prochain. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de voir des parents s’inscrire au 2 km, « juste pour accompagner leur enfant » et qui finalement y prennent goût et continuent de courir après.
Au marathon de Montréal, tu étais là avec tes enfants pour encourager des coureurs amis, qu’est-ce que ça représente pour toi, d’être de l’autre côté des barrières?
C’est très émouvant de regarder les gens courir. On reconnaît la douleur, la joie, la fierté, le découragement. Je trouve ça beau à voir, cette concentration très particulière de l’effort soutenu. J’ai jamais pleuré à la fin de mes marathons… juste pour ceux des autres, même parfois à regarder des gens que je ne connais pas.
Quelles sont, selon toi, les qualités essentielles chez un coureur?
La ténacité, la confiance en soi et l’humilité. Ça peut mener loin.
As-tu un rêve de course?
J’avais Boston, j’avais New York… je vais devoir m’en trouver un autre. J’aimerais courir un demi-marathon ou un marathon avec mes enfants quand ils seront adultes. Je leur ai dit que c’est ce que j’allais demander pour mon 6oe ou 70e anniversaire, hé hé.
Annie, pour mon premier marathon, tu m’avais dis « banane, banane, banane », j’ai suivi religieusement ton conseil et à ce jour, ça reste mon plus beau marathon. À la fin d’un second entrainement marathon, tu m’as parlé de « la fatigue du plan », ce qui est la définition la plus juste de ce moment précis où, si tu as suivi ton plan d’entrainement, tu es fatigué tout le temps. Tu es la reine des phrases-chocs! Qu’est-ce que tu dis à une fille qui se présente à toi et qui te dit « je n’ai jamais couru de ma vie et je veux que tu m’aides à devenir une coureuse »?
Commence doucement, en alternant la course et la marche, ne précipite rien. Avec un peu de patience, si tu aimes ça, si tu es motivée, tu pourras bientôt courir la distance que tu souhaites courir : 5 km, puis 10 km… un marathon. Mais au-delà de la distance, le plus beau, c’est de faire de la place dans sa vie pour une activité toute simple qui apporte beaucoup à plein d’égards. Pour certains, c’est le jardinage, la natation, le vélo; pour moi, c’est clairement la course. Courir fait de moi une personne plus détendue, avec les idées plus claires, un regard plus indulgent sur plein de choses. Bien sûr, je cours aussi pour me sentir en forme, avec un corps qui me plaît : solide, agile, tonifié. Aussi, ça me permet de vivre de beaux moments de complicité et de dépassement avec ceux que j’aime.
Merci Annie!