Gatineau gourmande

Il y a deux ans, une voix joyeuse, au téléphone, m’offre la présidence d’honneur du formidable Salon du livre de l’Outaouais de 2011 ; c’était Anne-Marie Trudel, la directrice de l’événement. J’ignorais alors que je tomberais amoureuse de la région et de la ville de Gatineau, méconnues, mal-aimées. À deux heures et des poussières de Montréal, le Gatinois vit en français et se demande pourquoi les touristes s’arrêtent à Ottawa et n’empruntent pas le pont Alexandra pour traverser la belle rivière des Outaouais et découvrir Chelsea, ­Aylmer, ­Buckingham… Moi-même, si je n’avais pas été conviée à ce salon, y serais-je allée? Non.

Je mesure maintenant ce dont je me serais privée : le choix! Pour les amants de la nature, il y a le parc de la Gatineau, non loin de la ville du même nom, où mon amie Hélène grimpe les collines à vélo pour admirer le panorama du belvédère ­Champlain. Les moins sportives, dont je suis, se promèneront dans la vieille ville, se poseront au petit parc Jean-Dallaire, du nom de ce célèbre peintre natif de Hull (devenue Gatineau, depuis les fusions municipales), iront siroter un cocktail au café Aux 4 Jeudis après avoir grignoté chez Piz’za-za, juste à côté, une pizza à pâte fine. Le quartier (encore surnommé

le Vieux-Hull) n’a jamais été riche, mais on sent une fierté, rue Laval, à aligner des commerces coquets. L’été, on y tient un marché le jeudi. Ma complice en gourmandise, Anne, achète alors aux religieuses grecques de la fromagerie Le ­Troupeau bénit un fromage de chèvre et une moussaka qu’accompagnera un verre de retsina.

Bière ou thé? Les deux!
Mais avant le vin, pourquoi pas une bonne bière? Arrêt aux Brasseurs du Temps, où, à la terrasse qui longe la rivière, on se désaltère avec, par exemple, une ale aux pommes. On peut casser la croûte sur place, mais ce serait dommage de ne pas faire quelques pas, gagner la rue Saint-Jacques et pousser la porte du bistro du même nom. On nous y suggère à l’apéro un vin blanc de la région, le Borée du Domaine Mont-Vézeau : une odeur de barbe à papa pourrait laisser croire qu’il est trop sucré, mais non. Il a un agréable goût de cerise de terre qui m’enchante… juste avant le tartare de truite au miso et les calmars. C’est cependant le tataki de bœuf Angus accompagné de champignons et d’un tofu ferme mariné au gingembre, soya et vinaigre de riz qui me séduit totalement. Le tofu est parfois insignifiant, mais là, le plat est punché, piquant et acidulé, et la viande fond dans la bouche. Je déguste un verre de rouge de l’Oregon en écoutant Georges Brassens et Leonard Cohen dans un décor à l’éclairage tamisé ; j’ai l’impression d’être dans la maison d’une amie. Le charme opère. Mais, incorrigible, je pense déjà aux repas du lendemain…

Heureusement pour mon foie, je pourrai, entre deux restos, savourer au calme un remarquable thé

vert, le Gyokuro Asatsuyu, à la Maison de thé Cha Yi, rue Eddy, un merveilleux endroit où le seul problème réside dans le (très grand) choix. Un oolong ou un sencha? Ou une des incroyables tisanes concoctées par Daniel, le propriétaire, qui a été herboriste et a travaillé dans des vignobles français avant de se passionner pour le thé? Il nous offre de sublimes mélanges de plantes et de fleurs. Respirer le parfum de Digesthé ou de Tranquillithé nous transporte en plein champ, sous le soleil de midi.

Et si l’envie d’une douceur nous titille, nous trouvons chez Cha Yi les macarons de L’Instant Gourmand. Une pâtisserie qui porte mal son nom, car ses nuages parfumés – et pas trop sucrés, ce qui est rarissime! – sont si réussis que leur goût dure plus qu’un moment. Celle qui les concocte, Lalie, me raconte son parcours en travaillant aux fourneaux d’une main assurée ; d’origine malgache, elle a quitté Paris pour Gatineau et c’est là, dans l’allée d’un centre commercial, qu’elle propose ses macarons addictifs.

Des tables mémorables
Pour le jour suivant, c’est décidé, je dînerai au Tartuffe. La rue calme, la terrasse invitante et la réputation de ce restaurant ont piqué ma curiosité. La cuisine est à l’image des lieux : classique, sobre et juste. L’onctueuse soupe de légumes-racines, le gâteau de crabe et les crevettes en tempura, aériennes, sont aussi délectables que le cerf au poivre long, à la cuisson impeccable. On comprend que le succès de cet endroit n’ait pas pâli en près de 20 ans!

Une bonne marche fera office de digestif : direction le Musée canadien des civilisations, le plus visité au pays. Et, après avoir appris mille et une choses dans ses salles, il faut bien se sustenter! Le soir, on s’at­table au resto du Musée, le Bistro Boréal. Dans cette paisible salle de pierre et de marbre pastel, des aurores boréales sont projetées au plafond. C’est magique?! Au-dessus de nos têtes et dans notre assiette! Le chef, Georges Laurier, est un artiste?: le pâté de foie de volaille « au miel, porto et sa compote de canneberges » fond sur la langue en y laissant un souvenir de thym et

d’orange. Un bar au suave beurre blanc servi avec des câpres grillées (idée géniale à répéter!) et une crème brûlée au café m’ont laissée ivre de bonheur. Ajoutez à cela un service très attentionné (merci, Alain!), des suggestions d’accords mets et vins idéales, un menu pour enfants et des prix doux – entrées autour de 8$, plats autour de 17$. Que demander de plus?

Avoir l’énergie de se rendre à une douzaine de kilomètres de là, jusqu’au fumoir de la Boucanerie Chelsea. Ses pétoncles fumés sont renommés, tout comme le fromage ou le beurre fumé et le caviar d’esturgeon de l’Outaouais. Oui, oui, on n’en trouve pas exclusivement dans la mer Caspienne! Munissez-vous d’un sac réfrigérant, car vous voudrez tout acheter! Ensuite, comme moi, vous voudrez revenir à la découverte de la région de la Gatineau, qui mérite tant d’être aimée!