Il faut vraiment qu’elles en aient marre pour que tant de femmes décident de signer ensemble une lettre dénonçant leur sous-représentation dans la programmation des multiples festivals qui ont cours chaque année au Québec. Une juste colère qui a uni les Ariane Moffatt, sœurs Boulay, Cœur de pirate, Lisa Leblanc, Safia Nolin, Mara Tremblay, Catherine Durand, Fanny Bloom, Marie-Pierre Arthur, Marie-Jo Thério et toute une belle longue liste.
Mais leur constat, c’est celui que j’évoquais pour le milieu du cinéma et qui vaut en fait pour tous les domaines: politique, journalistique, universitaire, des affaires, de la justice, etc. Ça tient à une mécanique: quand arrive le moment d’inviter, de mettre en valeur, de décerner un prix ou de choisir qui dirigera, ceux qui tiennent les rênes étant très majoritairement des hommes, les appelés le sont aussi et, au final, les élus également.
Quand on interroge ceux qui choisissent (et ce choix peut autant porter sur la composition d’une programmation que d’un conseil d’administration) à propos de cet oubli des femmes, ils ont deux types de réponses à donner – ce qu’ont très bien illustré les réactions des organisateurs de festivals à la lettre des musiciennes.
La première catégorie de réponse, c’est de dire que seul le talent compte, sans égard au sexe (les plus francs ajouteront, je l’ai entendu dans diverses circonstances, que ce n’est quand même pas leur faute si le talent féminin ne s’impose pas!). Tout entichés d’une égalité théorique, ces gens refusent de considérer que les femmes puissent faire face à des obstacles structurels – qui ne seraient de toute manière pas leurs affaires. Surtout, ils sont aveuglés par leurs réflexes de boys club: «Des femmes intéressantes? Non, vraiment, ma gang de chums et moi, on n’en voit pas tant que ça autour de nous.» Précision: on trouve des boys clubs dans toutes les générations.
La deuxième catégorie de réponse, c’est d’affirmer qu’on voudrait bien accueillir plus de femmes, mais que le bassin de candidates, que voulez-vous, n’y est pas.
Dommage, mais ça fait des années que cet argument ne tient plus la route: en musique (comme quasiment partout), on compte sur le terrain, à quelques points de pourcentage près, autant de femmes que d’hommes. Des femmes qui, fortes de leur nombre, sont d’ailleurs entrées dans leur métier, peu importe lequel, en étant persuadées que l’égalité était arrivée et que, pour elles, tout irait aussi rondement que pour leurs collègues masculins. La jolie attrape que celle-là!
Jusqu’au jour où, après un incident de trop, on s’oblige à vérifier. C’est ainsi que Femmes en musique a constaté qu’au Québec les femmes représentent 42% des membres du volet Chanson de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ). D’où le choc de découvrir, en faisant le relevé des programmes des festivals, que la proportion de musiciennes à l’affiche tombe parfois sous la barre des 10% (et même 0%, comme cet été aux Grandes Fêtes Telus de Rimouski!), ne dépasse pas 40% et se tient en général autour de 20-25%. Et on a bien dit « à l’affiche », pas en vedette!
Coup d’œil vers les récompenses alors? Nouveau choc: la dernière femme à avoir remporté le titre d’auteur-compositeur de l’année à l’ADISQ était Francine Raymond… en 1993! Une rareté quoi, comme au cinéma, où une seule Québécoise, Léa Pool, a à ce jour reçu le prix du meilleur film depuis la création du gala du cinéma québécois, en 1999… C’est tellement gros que de laisser entendre que le manque de talent ou de femmes sur le marché expliquerait la situation est carrément insultant.
Faut-il envisager des quotas? s’interrogent les musiciennes. Le débat est lancé, pas si simple à trancher. Mais une prise de conscience – à l’exemple de celle de Suzanne-Marie Landry, directrice de programmation pour le festival Sherblues & Folk, à Sherbrooke– permettrait déjà des pas énormes. Oui, affirme cette dernière, il est possible d’avoir autant de femmes que d’hommes dans une programmation. À condition de «sortir des sentiers battus et de ne pas simplement regarder les gros noms que les agences nous proposent», a-t-elle expliqué au quotidien La Tribune. Il faut dire qu’elle trouve «naturel» de penser parité.
La voilà la clé: penser plutôt que balayer l’affaire du revers de la main (ce qui aiderait aussi à combattre la condescendance, dont je parlerai dans mon prochain billet).
Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime et signe des livres.
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