Quelle affaire imprévue que cette opération Et maintenant à laquelle je me trouve mêlée de près! Nous, les journalistes, on commente beaucoup mais on ne se mouille guère – et cette distance a ses (très bonnes!) raisons.
Mais quand Françoise David, que je connais depuis des décennies (pour rappel, sa première entrevue à vie, c’est à moi qu’elle l’a donnée en 1988, et c’était pour Châtelaine!), nous a écrit, à moi et trois autres copines féministes, j’ai dit: «Pourquoi pas!»
Françoise, comme bien d’autres, avait été très choquée du terme «liberté d’importuner» qu’on retrouvait dans la lettre des 100 Françaises (qu’a signée Catherine Deneuve, la plus connue du groupe). Quelle curieuse réplique au mouvement #MoiAussi! Vous pensez pas qu’il y a quelque chose à faire?, demandait Françoise.
À lire aussi: Le bilan de Françoise David
Aurélie Lanctôt a répondu: «Pourquoi pas une déclaration commune, en recrutant d’autres signataires? Justement, je suis invitée à Tout le monde en parle pour débattre de cette « lettre des 100″ aux côtés de Léa Clermont-Dion. Je lui en parle!»
Léa a dit: «Oui, et on fait un site, et on profite de l’émission pour inviter tout le Québec à signer!» Restait juste à écrire un texte, et à trouver les premières signataires qui ouvriraient le site à son lancement le dimanche soir. Rien que ça, et en quelques heures seulement, à la veille de la fin de semaine. Ouf!
C’est là que j’ai décidé de laisser tomber mes réserves et d’embarquer pour vrai. Après tout, nous n’étions pas un groupe organisé, un mouvement de pression, un truc militant: juste des femmes de bonne volonté qui veulent que l’égalité soit partagée, que la prise de parole ne retombe pas, que le mouvement spontané qu’est #MoiAussi garde sa crédibilité. Alors, comme les cinq autres, Françoise, Aurélie, Léa, Francine Pelletier et Élisabeth Vallet, j’ai contacté des femmes de tous horizons, peaufiné la lettre et vu grossir le premier élan. Tant de femmes voulaient signer: les « oui! » enthousiastes ne cessaient de rentrer.
Puis dès l’ouverture du site, et nous ne l’avions pas vu venir, ce fut la déferlante! Site inaccessible, débordé, qui plante – petits bogues qui témoignaient du succès! Et derrière ça, une envie massive que le silence devant l’inacceptable soit rompu pour de bon. Envie que #MoiAussi marque vraiment un moment charnière, un tournant.
À lire aussi: Des Québécoises se prononcent sur l’après #MoiAussi
Et moi la cynique qui, depuis l’automne, a beaucoup dit et écrit : «Mouan, on verra si ça va durer, les batailles des femmes ont si souvent été oubliées dans le passé et les mononcles n’ont jamais cessé de sévir»; moi aussi j’ai constaté que j’avais envie que la flamme de l’espoir ne s’éteigne pas.
Même si des mois ont passé depuis que le mouvement #MoiAussi a été lancé dans la foulée de l’affaire Weinstein au début octobre, cet espoir ne s’est pas amenuisé et ça me touche.
Bien des femmes que nous avons approchées pour faire partie de la liste des 100 premières signataires (qui a finalement grimpé à 180!) nous donnaient leur OK en y ajoutant leurs commentaires personnels. Elles parlaient du souffle que #MoiAussi leur avait donné, de ce que ce mouvement avait remué en elles, des silences qu’il restait encore à briser, de leur envie de respect entre les hommes et les femmes, du fait que la séduction est agréable et que c’est ça qu’il faut préserver.
Elles disaient surtout qu’elles voulaient être solidaires: un désir, je crois, de faire partie de quelque chose qui les rejoint et qui en même temps les dépasse.
Il faut vraiment avoir conscience que la discrimination envers les femmes relève du système, et cette lourdeur-là a toujours été vécue de manière individuelle ou bien en s’en jasant en petits groupes de filles (fais attention à untel, ne te retrouve pas seule avec tel autre…). Et les rares qui osaient dénoncer ont été ridiculisées, ou n’ont pas été crues, ou ont été calmées («Endure, endure ma fille, tu ne mourras pas de ça.»), ou leur plainte n’a pas été retenue (les lacunes des services de police ont été démontrées par une vaste enquête du Globe and Mail l’an dernier), ou a été rejetée par le tribunal (pour préserver l’indispensable présomption d’innocence, le poids de la preuve est lourd).
Avec #MoiAussi, le système a été mis à nu de manière encore plus large que pour le mouvement #AgressionNonDénoncée de 2014. C’est pourquoi tant de femmes, tout comme des hommes victimes eux aussi d’inconduites sexuelles, y tiennent tant. Parce qu’il décortique tous les gestes inacceptables, tout ce qui nourrit des sentiments qui vont du profond malaise jusqu’à la peur.
À lire aussi: Les agressions sexuelles ne sont pas que le fait des puissants
C’est du moins la première leçon que je tire de cet Et maintenant lancé en toute spontanéité et si bien reçu: au Québec, beaucoup ont à cœur cette prise de parole et veulent que les institutions en tiennent compte, que les politiques gouvernementales l’encouragent, que les groupes qui œuvrent sur le terrain reçoivent l’aide financière nécessaire pour soutenir les victimes (et les agresseurs qui veulent changer), etc.
Et que dans nos vies, on soit toutes et tous plus attentifs à la qualité des rapports autour de nous. Et maintenant, on veut vraiment avancer ensemble.
Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres!
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.