Ce ne sont pas les sujets chauds qui manquent, en ce moment, pour alimenter les discussions autour du barbecue et de la marmite à maïs. Entre l’austérité, la campagne de Hillary, la Syrie, les cônes orange et le dernier fait divers, gageons qu’il y aura peu de place pour le tiers-monde. Non, je ne parle pas des pays en voie de développement, mais bien de notre tiers-monde à nous : la réalité des populations autochtones.
Vous êtes toujours là ? Parce que, pour être honnête, j’ai failli attendre encore deux paragraphes avant d’écrire le mot « autochtone », craignant la fuite instantanée vers notre dossier pique-nique, que vous vous êtes promis de découper. Ce ne serait pas étonnant, considérant l’indifférence – si ce n’est l’irritation – que suscitent les enjeux de ces communautés. Même le rapport dévastateur sur les effets des pensionnats, paru le mois dernier, n’a pas fait tant de vagues.
Cette brique de 382 pages avait pourtant le mérite d’appuyer sur les bons boutons de notre capacité de contrition : le passé, les enfants et le gouvernement. On a pu se rassurer en se disant que cette assimilation a cessé il y a une quarantaine d’années, s’émouvoir devant les photos d’archives des petits arrachés à leur famille et s’indigner parce que Stephen Harper refuse d’utiliser le terme « génocide culturel ». Tout ça dans la quiétude la plus parfaite ; l’erreur est une triste parenthèse aujourd’hui fermée.
L’ennui, c’est que, pour les Inuits et les Amérindiens, il s’agit plutôt d’une virgule dans la longue liste des statistiques déprimantes à leur sujet. Parce que l’héritage de ces internats se fait encore sentir. Les adultes qui en sont sortis, marqués par les abus et dépourvus de repères culturels, n’ont pas pu créer de liens avec leurs proches ni développer d’aptitudes parentales. « Encore aujourd’hui, le cycle de ce dysfonctionnement familial se perpétue, dit Michèle Audette, ex-présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada. Nos communautés sont 40 ans en arrière de la société québécoise concernant l’égalité des femmes et l’implication du père. »
Puis il y a tout le reste : la pauvreté, la violence, la toxicomanie, la surpopulation dans des maisons souvent insalubres, le manque d’accès aux soins de santé. Cette réalité se déroule sous nos yeux, sans causer beaucoup d’émoi. Dans les derniers mois, le vérificateur général du Canada a publié plusieurs rapports accablants sur ces questions. Même l’ONU s’est mise de la partie. L’été dernier, le rapporteur spécial James Anaya, qui a constaté lui-même les conditions de vie épouvantables dans certaines réserves, affirmait que les problèmes des droits de la personne vécus par les autochtones ont pris des « proportions de crise » au Canada. Que s’est-il passé depuis ? Peu de choses sur la scène fédérale. Et encore moins dans la population. Peut-être que la campagne électorale remettra le sujet à l’ordre du jour, mais pour combien de temps ?
On a bâti quelques ponts entre nos deux mondes au cours des dernières années, surtout à l’échelle provinciale. Mais ce sont des routes qu’il faut maintenant construire pour maintenir les échanges, changer la donne une bonne fois pour toutes. Et broyer au passage quelques préjugés.
Jeu pour l’épluchette de blé d’Inde
Lancez une de ces statistiques dans la conversation à la prochaine épluchette. Après tout, le maïs est l’un des premiers aliments que les Amérindiens ont partagés avec les Blancs.
- Une femme assassinée sur quatre est autochtone, alors que les Inuits et les Première Nations représentent 4 % de la population canadienne.
- Un Amérindien sur deux a gagné moins de 20 000 $ en 2010.
- Près d’un adulte sur trois a été victime d’abus sexuel ou de maltraitance durant l’enfance chez les Premières Nations.
- Le taux de suicide chez les jeunes hommes du Nunavut âgés de 15 à 24 ans est 40 fois plus élevé que la moyenne nationale.
- Plus de la moitié des ménages amérindiens vivent de l’insécurité alimentaire, de modérée à grave.
- Le taux de cancer du poumon chez les Inuits adultes et celui d’infections respiratoires graves chez les bébés sont parmi les plus élevés au monde.
- Le gouvernement canadien contrôle la majorité des aspects de la vie des Amérindiens enregistrés (terres, testaments, logement, système de réserves) en vertu de la Loi sur les Indiens, adoptée en 1876.
(Sources : Enquête régionale sur la santé des Premières Nations du Québec 2008-2010 ; GRC : Étude du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone du Canada)