L'édito

Fais un homme de toi (et une femme aussi)

Sheryl Sandberg nous brasse la cage.

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Sheryl Sandberg est le genre de femme qui pleure au travail. Régulièrement. Elle n’hésite pas à raconter qu’elle a déjà éclaté en sanglots devant son nouveau patron. Ce dernier lui a offert un câlin, qu’elle a accepté.
Sheryl Sandberg est la numéro deux de Facebook et l’homme au câlin est Mark Zuckerberg. Ze Mark Zuckerberg.

Perso, je ne peux pas m’imaginer en train de brailler sur le veston de mon boss. Et je passe pour l’accolade. Mais je dois admettre que cette anecdote m’a fait réfléchir. Comme des centaines de milliers de personnes, je viens de terminer la lecture de Lean In, le best-seller féministe de Sheryl Sandberg (voir en page 152). Cette stratège surdouée des nouveaux médias, qui a fait ses classes à Harvard et chez Google, mère de deux enfants, milliardaire en stock options et cinquième femme la plus influente du monde d’après le magazine Forbes, a lancé un gros pavé dans la mare du post-féminisme.

Oui, Sheryl Sandberg incite les femmes qui veulent réussir à ne pas laisser leurs émotions au vestiaire du bureau, à agir en tout temps comme des êtres authentiques, défauts, émotions et éclairs de génie inclus.

Mais elle va plus loin encore. Selon elle, si nous nous frappons encore et toujours la tête sur le plafond de verre, c’est notre faute. En gros : il va falloir mettre nos culottes, les filles. Réconcilier tout de suite travail et famille (ce qui veut dire déléguer et cesser d’être perfectionniste, au travail comme à la maison). Négocier âprement notre salaire. Ne pas se contenter de dresser un plan de carrière : s’y accrocher. Et, surtout, cesser de douter de nos capacités.

La dame fulmine en voyant des filles brillantes et ambitieuses démarrer à égalité avec les gars à l’école et à l’entrée sur le marché du travail, puis se faire dépasser par eux quand vient le temps de grimper les échelons les plus élevés du monde des affaires.

Aux États-Unis, le congé de maternité de trois mois et le manque criant de ressources en garde d’enfants ramènent plus de la moitié des travailleuses à la maison dès la première grossesse. Celles qui restent dans le peloton, mères ou pas, se retrouvent sans trop savoir pourquoi derrière les hommes au moment de passer le fil d’arrivée des emplois C-suite, ces titres qui débutent par Chief (tel Chief Operating Officer – le poste de Sheryl chez Facebook).

Le C-suite, c’est ce fameux plafond de verre qui irrite Sheryl Sandberg, Monique Jérôme-Forget, vous et moi. Parce qu’il existe aussi chez nous. Malgré les généreux congés de maternité et les garderies accessibles. Ce qui nous ramène au chapitre « mettre ses culottes ».

Des féministes ont fortement réagi à cet essai coup-de-poing de Sheryl Sandberg, qu’elles jugent accusateur. D’autres ont rappelé que la dame l’a plutôt facile avec sa fortune, ses nounous et son milieu de travail atypique où on peut essuyer ses larmes sur le sweat-shirt de son patron. Mais il y en a aussi pour penser qu’elle a raison « quelque part ». Je suis de celles-là.

La société impose certes des barrières, mais nous en érigeons beaucoup nous-mêmes. Je travaille depuis toujours dans un milieu de femmes. Parmi celles-ci, beaucoup de professionnelles, brillantes, inspirantes, ambitieuses et engagées, qui font preuve d’une redoutable efficacité. Mais. Elles ont aussi tendance à être trop perfectionnistes et à douter de leurs compétences. Elles négocient aussi bien que les hommes, mais pas quand elles sont l’objet de la négociation Plutôt que de demander une promotion, elles attendent qu’on reconnaisse leurs talents avec une offre, comme si on évoluait dans une méritocratie. Enfin, elles prennent moins de risques que leurs collègues masculins de peur d’être jugées ou d’échouer. Vous êtes un peu comme cela ? Moi, oui.

Mais il y a un truc que je ne fais pas, et c’est d’agir au travail comme si le fait d’être une mère était un problème. Ce qui m’énerve ? Quand une maman s’excuse, l’air penaud, de quitter une réunion en fin de journée pour courir à la garderie. Je sais que ça ferme à 18 h, je suis passée par là. Ou quand une autre m’écrit un navrant : « Mon enfant est malade, je dois l’amener à la clinique. Je suis vraiment désolée, ça n’arrivera plus, etc. » Comme si on pouvait contrôler les virus !

Il y a quelque temps, j’ai été littéralement estomaquée lorsque deux de mes plus brillantes employées m’ont annoncé leur grossesse l’air gêné, comme si elles avouaient une faute. Pis encore : elles avaient peur d’être oubliées durant leur congé de maternité !

Sheryl Sandberg aurait une bonne conversation avec ces jeunes femmes… Tiens, je crois que je vais leur offrir le bouquin.

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