À bien y penser

Les femmes pleurent-elles trop?

La question a soulevé un débat familial chez notre blogueuse Josée Boileau. Et s’est réglée sans la moindre larme…

Conversation de fin de souper familial. On jase de télé, notamment de l’émission Les chefs, suivie avec attention ce printemps. Déjà hâte à la prochaine saison, disons-nous. « Mais faudrait que les filles arrêtent de pleurer! », ajoute l’une des miennes. Le débat que ç’a enclenché!

Ayant moi-même souvent versé des larmes en public, même comme patronne, j’estimais l’affaire entendue : toutes les émotions humaines ont droit de cité, tant qu’elles ne sombrent pas dans l’excès. Les femmes peuvent se fâcher tout comme les hommes peuvent pleurer sans gêne devant les gens – les exemples à cet égard se sont d’ailleurs multipliés ces dernières années, même chez des hommes qui avaient l’air inébranlable.

Photo: iStock.com/Chepko

Mais comme historiquement les larmes étaient le seul recours émotif permis aux femmes et qu’elles s’autorisent encore peu la colère, il est pour ainsi dire normal que finalement, on les voit si facilement pleurer.

C’est ce que j’ai expliqué quand ma fille de 18 ans s’est lancée dans sa critique des larmes des candidates des Chefs. Mal m’en prit, car son aînée, 29 ans, a rétorqué : « Elles pleurent pas facilement, elles pleurent tout le temps! Pleurent parce qu’on les félicite, pleurent parce qu’on les critique; pleurent parce qu’un ami part, pleurent parce qu’il reste; pleurent parce qu’elles vont au duel, pleurent parce qu’elles le gagnent… Et c’est comme ça chaque saison, depuis le début de l’émission! »

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Ben justement, a dit ma sœur, présente au souper, est-ce qu’il n’y aurait pas une raison qui dépasse les filles en cause? Les femmes sont encore minoritaires en restauration, c’est dur d’y faire sa place, donc de s’affirmer avec force. À quoi j’ai ajouté que les commentaires des trois juges masculins n’étaient jamais de la même teneur envers les candidates que les candidats et que cette condescendance mine la confiance en soi.

Ma descendance a rétorqué que précisément, l’émission s’appelle Les chefs, ce qui signifie qu’il faut savoir faire front devant une équipe et ne pas s’effondrer devant un client mécontent – ce qu’au fond sont les juges – et qu’au-delà du défi culinaire, c’est aussi cette attitude qui doit être considérée. En plus, les candidates s’inscrivent volontairement et elles savent très bien à quoi s’attendre de l’émission.

Alors j’ai dit que…, ma sœur a renchéri que…,  les deux filles ont répondu que…  – et ç’a duré, duré, duré, le tout devant les gars de la famille qui ne tenaient surtout pas à s’en mêler!

Au final, j’ai lancé, un peu découragée devant les réactions de ma progéniture : « À vous entendre, y’a juste un moule pour réussir : le comportement masculin traditionnel, coupé de ses émotions. Je trouve pas ça très féministe! »

« Au contraire, a rétorqué l’aînée, tu devrais être fière de nous! Tu nous as élevées en nous disant d’être fortes et c’est juste ça qu’on demande : que les candidates se fassent confiance. »

« Et c’est pas vrai que c’est masculin, a poursuivi la cadette. C’est exactement ce qu’a fait Colette Roy Laroche. Elle aurait pu s’écraser devant la tragédie de Lac-Mégantic mais elle a fait face, sans pleurer mais en restant sensible, et c’est pour ça qu’on l’a admirée. »

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C’est là que je suis restée sans répartie. Ma fille venait de gagner un point!

Nous avons, je l’ai déjà écrit dans ce blogue, une maison à Lac-Mégantic, d’où vient la famille de ma mère. Nous avons donc vécu la destruction humaine et matérielle qu’y a causé un train chargé de pétrole en juillet 2013. Pour la mairesse, il fallait une incroyable force de caractère pour affronter, sans préparation, une situation aussi bouleversante : consoler sa population, prendre sans attendre des décisions multiples et controversées, garder le cap dans un drame sans précédent tout en manifestant de l’empathie envers ceux vécus par ses concitoyens.

Colette Roy Laroche y est arrivée et depuis, elle figure en très haute place au palmarès des gens que je respecte. Il y a des milliers de Québécois et de Québécoises qui en pensent tout autant.

En ce cinquième anniversaire de la tragédie de Lac-Mégantic, Colette Roy Laroche, qui n’a jamais cherché à se mettre en vedette, a accepté de donner bien des entrevues. J’ai trouvé particulièrement touchante l’émission spéciale Rester debout après la tragédie qui lui a été consacrée et où elle se confiait à Marie-Hélène Rousseau de Radio-Canada Estrie.

Ainsi, en repensant à son premier point de presse, elle dit : « Quand je suis arrivée devant les caméras et les micros, il y a eu une montée d’émotions et j’avais peine à parler. Mais il fallait que je reste debout. Je suis la mairesse et les citoyens s’attendent à ce que je sois solide. C’est comme une mère de famille. »

Belle image bien féminine que celle de la mère de famille qui tient le fort. Et c’est vrai que dans son cas, ajouter sa propre vulnérabilité à celle de sa population aurait eu bien plus de poids que s’il s’était agi de toute autre citoyenne de la ville.

Il n’y avait donc pas le choix : il fallait tenir, même si ç’a duré longtemps, même si s’est ajouté un drame personnel, un cancer fulgurant qui emportera son mari. Un autre tsunami, comme elle le résume. « Et là, je devais me comporter comme je me suis comportée devant la tragédie. Il ne fallait pas que je flanche. Il fallait encore que je reste forte et debout pour mon mari. »

Colette Roy Laroche pleure pourtant en nous racontant tout cela. Mais maintenant ses larmes sont possibles parce qu’elle est sortie du tourbillon, parce que le moment est approprié pour ce faire et parce que c’est ainsi qu’on se reconstruit.

En ayant en tête mon débat familial des jours précédents, je trouvais qu’il y avait là finalement de belles leçons. Qu’il y ait un temps pour le roc, un autre pour se laisser aller nous sort aussi des schèmes traditionnels.

Et quelle réussite si le temps de la solidité mène à des victoires féminines, aux Chefs comme ailleurs, et à la découverte de beaux modèles de femmes!

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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