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Stéphanie Boulay: me voilà devant rien (en année sabbatique forcée)!

«Tu réalises ta chance? Tu as le luxe de ne rien faire! Profites-en!» Stéphanie Boulay, notre nouvelle chroniqueuse invitée, part en voyage sans itinéraire.

  • Quoi de neuf, Stéphanie?
  • Moi… rien, je dirais.
  • Qu’est-ce que tu fais de bon ces temps-ci?
  • Hum… rien, pour vrai.
  • Des contrats?

Salut! Moi, c’est Stéphanie, et je ne fais rien ces temps-ci. Rien comme dans rien. Non, je n’écris pas vraiment de chansons ni de poèmes, ni rien de transcendant. Je ne joue pas vraiment de guitare, ni ne chante. Je ne suis impliquée dans aucune cause ni aucun bénévolat. C’est à peine si je termine la lecture d’un livre. Je pourrais vous décrire mes journées: là, je me lève, je me coule un petit café, je vais sous la douche, je défroisse mon lit, pars une brassée de lavage. Je regarde mes courriels (aucun). Je me fais à déjeuner. Des fois, je vais manger au Miami Deli, à côté de chez nous, parce que je n’ai même pas le goût de me cuisiner un œuf. Des fois aussi, je joue une partie de badminton, ou je fais quelques longueurs ou un tour de ski de fond (sans compteur). Souvent, j’écoute des films légers (même pas de documentaires). Mais vraiment, à part ça, je ne fais rien d’intéressant. Le cauchemar de presque tous les gens que je connais: avoir à répondre «rien» à tout ce small talk, ces questions sur notre productivité qu’on nous pose dans les événements mondains (auxquels je ne vais jamais, bien sûr).

Ma sœur et partenaire d’affaires a eu un enfant, je suis donc en ANNÉE SABBATIQUE forcée.

Au début, j’étais paniquée. (Ma thérapeute a même parlé de choc post-traumatique.) Les gens autour de moi me répétaient: «Tu réalises ta chance? Tu as le luxe de ne rien faire! Profites-en!» Mais je ne m’en rendais pas compte. Félix Leclerc n’a-t-il pas dit que le meilleur moyen de tuer un homme était de le payer à ne rien faire? Alors, j’allais mourir.

Je voulais m’inscrire à un cours d’espagnol, servir des repas aux personnes itinérantes, faire du tutorat auprès de jeunes en difficulté, écrire dix chansons, quatre romans, conceptualiser une série documentaire. Mais tous les matins, en me levant, je n’en avais pas la force. Tout en moi me criait d’essayer d’accomplir quelque chose, et je ne le faisais pas, alors je me sentais inutile et coupable. Puis déprimée. Puis fatiguée de ne rien faire. À tous les jours, le petit cercle vicieux de la honte.

Et j’ai réalisé que j’avais tellement travaillé depuis une dizaine d’années (ou depuis toute la vie) que je n’avais aucune idée de qui j’étais, de ce que je valais quand je n’étais pas en train de secouer toutes sortes d’affaires, que je jugeais «importantes», dans tous les sens. D’essayer d’être la meilleure, la plus populaire, la plus gentille, la plus équilibrée, la plus active, la plus cultivée, sensibilisée, impliquée. De cocher des cases dans ma to-do liste. Alors j’étais la fille toujours à la course, les yeux tournés vers l’intérieur, jamais tranquille, qui se réveillait la nuit pour prendre des notes, et qui se pensait bien bonne et bien fine. Si je ne me sentais plus chanteuse, ni compositrice, ni écrivaine, ni personnalité publique, que plus personne ne m’applaudissait, ne serais-je plus rien? Devenue inutile?

Voici donc ce que je vais activement faire pendant mon année de congé: essayer de me trouver bonne et fine juste en existant. Sans félicitations. Sans grandes réalisations. Juste parce que j’ai poussé une voiture enlisée (sans le dire à personne). Juste parce que j’ai écouté une amie en peine d’amour (mais écouté vraiment). Juste parce que j’ai téléphoné à mes parents ou à ma grand-mère. Mais surtout, juste parce que j’ai passé une bonne nuit, parce que j’ai cuisiné un truc vraiment bon pour moi toute seule, que j’ai regardé un paysage sans le photographier, que j’ai eu une pensée bienveillante pour quelqu’un, que j’ai tricoté un foulard plein de trous. Et, oui, c’est un privilège, un luxe. Je serais totalement ingrate de ne pas le voir. Je vais partir en voyage sans itinéraire. Faire des marches sans but. Regarder le mur. Et réfléchir, bien sûr. Ensuite, quand je serai moi-même guérie de ma maladie de performance, j’irai en faire, du bénévolat. Pour les bonnes raisons.

En attendant, je m’engage quand même à vous écrire ici, à Châtelaine, pour quelques semaines. Il n’y aura peut-être pas de grand moment grisant, de glamour, d’exploit ou de stunt. Mais je vous promets d’essayer de me/vous faire du bien. Oui, je rechuterai, sans doute, et tenterai de retrouver l’adrénaline de vivre – et la vanité – quelque part. Alors, je ne vous le cacherai pas. Je ne vous cacherai rien.

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Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

Chroniqueuse du mois

Photo: Bianca Cloutier-Lamoureux

Auteure-compositrice-interprète au sein du duo Les Sœurs Boulay, Stéphanie Boulay est également l’auteure du roman À l’abri des hommes et des choses (Québec Amérique).

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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