Couple et sexualité

Le sexe n’a pas d’âge

Qu’on se le tienne pour dit : la sexualité de la femme ne se termine pas avec la ménopause.


 

L’an dernier, j’ai participé à titre d’experte à un documentaire français sur la pornographie, intitulé À l’école du X. À une journaliste qui s’informait du vaste choix de femmes offertes, un consommateur de porno, fin vingtaine, a répondu à peu près ceci : « Pourquoi aller vers des vieilles sèches quand j’ai plein de jeunes nanas à mon service sur le Net ?

– Une vieille, c’est quoi ? a demandé la journaliste.

– Bien… Autour de 40 ans. »

Et vlan !

Que dirait-il alors de Rosa, cette femme de 78 ans qui m’écrit :

« Je suis seule depuis deux ans et j’ai terriblement envie d’avoir des relations sexuelles. À tel point que parfois mon clitoris fait un genre de toc-toc, comme un cœur qui bat. La masturbation ne me satisfait pas totalement. Je n’ose en parler à personne : on me prendrait pour une vieille obsédée. Nous avons eu, mon mari et moi, une vie sexuelle très active. Même à la fin, on faisait souvent l’amour et si la pénétration ne me contentait pas chaque fois, j’appréciais quand même beaucoup. C’était un homme chaud et moi, je ne demandais pas mieux. »

Ce témoignage vous choque ? il vous fait sourire ? Rosa pourrait-elle être une de vos proches ? ou vous-même, éventuellement ? On qualifie de vert et de fringant l’homme âgé qui manifeste son intérêt sexuel, de vieille salope ou de nympho la femme mûre qui en fait autant. C’est toujours deux poids, deux mesures dans le domaine de la sexualité. Et les faussetés aussi.

Non seulement la femme de 40 ans n’est pas une « vieille sèche », comme le clame notre jeune amateur de pornographie, mais elle est au sommet de son potentiel sexuel. Et ses aînées de 50 ans et plus ne sont pas en reste de ferveur érotique. Qu’on se le mette bien dans la caboche une fois pour toutes : la sexualité de la femme ne se termine pas avec la ménopause ! Évidemment, son expression varie au gré des épisodes chronologiques de l’existence, mais aussi en raison d’une multitude d’autres facteurs : vie de couple, atomes libidinaux crochus avec l’amoureux, partenaire érotique disponible, permissivité ou fermeture du milieu, occasions, état de santé, image et estime de soi, etc. Et puis, n’oublions pas que de nombreuses jeunes femmes éprouvent des difficultés érotiques malgré des hormones dans le plafond, alors que bien des vieillardes d’un demi-siècle et plus sont pourvues d’une libido débridée.

J’écrivais dans un article précédent que ce qu’on appelle l’hypersexualisation des fillettes masque, tout en la renforçant, l’idée reçue d’une hyposexualisation des « vieilles ». Il est clair que les diktats sociaux réservent les jeux de l’amour aux jeunes et fraîches, imposant à toutes les mêmes canons de la beauté et un même mode de fonctionnement érotique. Le tabou des tabous : afficher à la fois un corps patiné de traces de vie, des seins d’origine qui ne demandent qu’à vivre et un appétit sexuel qui ne se dément pas !

Le monde moderne véhicule de prodigieuses contradictions. Malgré la révolution sexuelle et l’avènement de la contraception qui ont permis l’émergence d’un modèle sexuel de plaisir et de communication, on continue, mine de rien, de donner l’impression que le sexe n’appartient qu’à ceux qui sont en âge de se reproduire. Alors que la partie de jambes en l’air est vécue et partagée pour la joie qu’elle procure. Comment se fait-il que seul ce groupe d’âge soit représenté dans les scénarios de volupté, comme si le terrain de jeux érotique était sa chasse gardée ? Serions-nous donc incapables d’envisager la vitalité sexuelle autrement que dans une perspective biologique et procréative ?

Je ne nie pas qu’il existe une relation entre le désir sexuel et les hormones. Mais l’influence hormonale, tyrannique chez les animaux, s’est grandement diluée avec l’évolution de l’espèce humaine. Chez nous, elle est une composante parmi d’autres, tels les normes sociales, l’espoir, l’éducation, la quête de plénitude, les fantasmes, les sentiments, le goût de fusionner… Rappelons aussi que le vieillissement touche bien moins la réponse sexuelle – cette promenade qui va du désir à la satisfaction en passant par l’excitation, le plateau et l’orgasme – de la femme que celle de l’homme. Lui demeure fécond presque jusqu’à la mort. Elle demeure capable de plaisir et d’orgasmes (le pluriel n’est pas une coquille) jusqu’à la fin des temps. En tous cas, si moi, à 99 ans, j’avais à choisir entre la fécondité et les orgasmes, je n’hésiterais pas un seul instant : j’opterais pour l’infarctus multiple et orgasmique !

Et puis, qu’est-ce qu’être vieille sinon avoir de l’avance sur les unes et du retard sur quelques autres dans la traversée de son histoire personnelle et du cycle de la vie ? Les êtres humains vivent longtemps. Ils peuvent se passer de sexe durant des semaines, des années et même toute leur vie. Ils peuvent aussi être d’ardents pratiquants, sans honte et sans remords, jusqu’à la fin de leurs jours. Pour l’espèce humaine, le cycle de la vie est une vaste saison des amours.

L’hypersexualisation des jeunes et l’hyposexualisation des « vieilles » sont des constructions des sociétés consuméristes. C’est toute la culture occidentale qui est hypersexualisée et « hyposexualisante » à l’égard de la femme mûre. De grâce, quels que soient votre âge, votre bagout, vos atouts corporels, votre activité hormonale, l’humeur de la lune et de la marée ou la tendance en vogue chez les spécialistes de la sexualité, pour les affaires sérieuses comme votre droit de vivre, d’éprouver et de partager le plaisir, sexuel et non sexuel, n’avalez pas tout ce que l’on vous raconte. Trouvez votre propre route. Si on déboulonnait les préjugés de l’âgisme [discrimination envers les personnes âgées], le désir érotique s’amplifierait plutôt que de s’étioler à mesure que l’on vieillit. J’en suis absolument convaincue : plus la mort s’approche et nous drague, plus nous devrions, en toute logique, avoir envie de baiser et de fusionner. Faire l’amour, n’est-ce pas encore la meilleure façon de tirer la langue au vieillissement et à la mort ?

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