Couple et sexualité

Sexe : nous sommes en plein délire

Notre société se prend au jeu dangereux de la fiction pornographique.


 

Hypersexualisation : le mot est apparu il y a quelques années pour désigner le règne du cul tyrannique, obligé et pornographique.

En effet, comme je l’ai déjà écrit, « le sexe actuel est un carburant transversal ». Il a infiltré toutes les sphères d’activité. Paradoxe, il est plus que jamais virtuel, car c’est par procuration que, bien souvent, les fantasmes sont exaucés : le cyberbaiseur arrose à son heure, sa cyberfemelle est salope à souhait. Elle secoue, au nord d’une vulve de nymphette, des mamelles de nourrice. Sa bouche est une sorte de tire-sperme patenté. Sa gorge semble tapissée de clitoris tant elle a l’air de jouir en trayant ! Lui, après avoir rempli tous ses orifices, l’oint triomphalement (et bien visiblement) de sa signature éjaculatoire.

Pour correspondre à la fiction pornographique et gonfler l’ego viril, des femmes simulent des orgasmes tonitruants. D’autres réclament à leur chirurgien un resserrement vaginal et des hommes se paient une augmentation pénienne. Si la tendance se maintient, le tunnel sera bientôt trop étroit pour accueillir l’engin. Il lui faudra ses deux mains pour dresser sa trompe éléphantesque. Elle câlinera, en suçant son pouce, sa chatte glabre de fillette nubile.

Le sexe est désormais utilitaire et marchand. La plus hot des nanas gonflables coûte environ 13 000 $. Vagin chauffant, bouche avaleuse, nichons gorgés de solution saline (de vrais faux seins). Comble de félicité : elle est muette, jouit à répète et à perpète. Monsieur est en déplacement et a manqué d’espace pour elle dans son baise-en-ville ? Il n’a qu’à confier son zob épuisé à son masturbateur de voyage. Plus de temps à perdre en effusions érotiques : il sirote un scotch d’une main et envoie un courriel de l’autre tout en se faisant pomper efficacement !

Il y a quelques mois, Pierre Foglia, chroniqueur à La Presse, disait éprouver des opinions antinomiques à propos de l’hypersexualisation parce que « le cul de la fille sur l’affiche est absolument magnifique ». On est d’accord, mais là n’est pas la question. L’hypersexualisation n’a rien à voir avec la beauté ou la séduction ; encore moins avec la liberté sexuelle, qui est le contraire de la soumission. Et se soumettre n’est pas synonyme de consentir.

Il m’arrive de rencontrer des jeunes femmes dont l’estime d’elles-mêmes est en chute libre. Elles me racontent les acrobaties sexuelles et virtuelles auxquelles elles se sont prêtées. Lorsque je leur demande si elles proposent et initient ces activités, la réponse est : « Es-tu malade ! », ou : « Des fois… pour faire plaisir ».

A-t-on réellement consenti à un rapprochement sexuel qu’on ne désire pas ? Chez certaines, le désir est si absent de leur univers sexuel qu’il faut parfois leur expliquer en quoi il consiste et comment il se manifeste : « Si tu évoques telle conduite sexuelle, est-ce que tes seins gonflent leurs voiles ? Est-ce que tes mamelons surgissent de leurs bonnets ? Est-ce que ton clitoris fait toc toc ? Est-ce que ton sexe salive d’envie ? Est-ce qu’une joyeuse tension relie tout cela ?… » Non ? Alors tu ne désires pas.

De plus, l’hypersexualisation ramène en force des doubles standards homme-femme. Lorsque je m’étonnai, à la radio, qu’une affiche laisse voir les grandes lèvres pour annoncer une crème dépilatoire, on m’a suggéré de me consoler en me régalant des « bosses bien dessinées dans les maillots des gymnastes aux Jeux olympiques ». Fût-il médaillé d’or, ce bouquet génital ne fait pas le poids ! Il eût fallu une crème à barbe tartinée autour d’un formidable organe viril pour constituer un comparable…

Tenez, un autre exemple, celui-là tiré d’un numéro du prestigieux magazine Vogue (novembre 2006). Sur une dizaine de pages s’étale une publicité de sacs à main et chaussures grand chic. Pour les présenter, deux splendides jeunes femmes. Flambant nues. L’une d’elles s’appuie, lascive, sur un mur de béton. Bien sûr, on distingue ses jolis petons gainés de cuir, mais on voit surtout que, pour cacher son sexe, elle tient fermement la courroie du sac à hauteur de son clitoris. Je ne sais pas si le cuir qui fait jouir est vendeur. Mais je sais n’avoir jamais vu, pour annoncer une marque de mallette, un beau ténébreux s’élancer vers sa voiture, la sangle de sa valise et son engin enserrés dans une même main !

Avec l’hypersexualisation et le phénomène de l’invasion porno s’installe insidieusement une sorte d’esclavagisme sexuel dans les rapports intimes entre les sexes et se développe une dépendance à la porno. Nous le constatons indéniablement. De nombreux couples s’effilochent parce que des femmes en ont ras le bol de jouer les super salopes de service pour arriver à satisfaire leur partenaire. De plus en plus d’hommes se plaignent de ne plus pouvoir s’érotiser sans avoir recours à du matériel porno « solide ». Et pour 1 courriel de jeune s’interrogeant sur l’art du cunnilingus, j’en reçois 50 demandant comment faire une bonne pipe !

Ceux et celles qui dénoncent cette régression érotique ne sont pas forcément des féministes « full frus »ou des hommes rose délavé. Loin de moi l’idée d’imposer des limites au corps féminin, à la séduction et à la volupté. Bien au contraire : dénoncer cette tendance, c’est plaider pour une célébration de l’érotisme et du plaisir partagés. Pour ma part, je me réclame du féminisme tout en me définissant comme une femme, sexuelle et érotique, séduisante et susceptible d’être séduite, désirante et, je l’espère, désirable jusqu’au bout du temps qui me sera alloué.

Plus j’y pense et plus je suis portée à croire que le refrain sur « l’hypersexualisation des jeunes » masque, tout en la renforçant, l’idée reçue d’une hyposexualisation des vieilles. Il est clair que les diktats sociaux réservent la sexualité aux jeunes, belles, minces, lisses et fermes, imposant à toutes un uniforme corporel. Je traiterai de ce sujet plus à fond dans une prochaine chronique. D’ici là, pour savoir à quel âge on est vieille, demandez à votre ado ou encore, tapez « sexe » + « vieille » dans Google. Vous verrez bien ce qui rebondira sur votre tympan ou sur votre écran…

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