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Nicole Bordeleau : la vie et rien d’autre

Courez lire son autobiographie.

Photo: Louise Savoie

Le studio baigne dans la lumière. Une oasis de paix en teintes pastel. Une vingtaine de femmes respirent d’un même souffle. Entre les tapis posés sur le sol se faufile une silhouette gracile : ­Nicole ­Bordeleau. De la voix et du geste, elle guide, encourage : « Ouvrez votre cage thoracique. Créez de l’espace dans votre corps. »

Il y a 10 ans, Nicole Bordeleau fonde le studio YogaMonde, à Sainte-Catherine, en banlieue sud de Montréal. Elle est persuadée que c’est là sa voie – même si tant de voix s’élèvent pour la décourager. Elle a 45 ans, un grave problème de santé et pas un sou en poche, ou presque. Et pourtant, le succès est tel qu’il faut embaucher plusieurs professeurs. Aujourd’hui, des centaines d’habitués – surtout des femmes – fréquentent son studio pour ses cours de yoga, de méditation, de qi gong (gymnastique traditionnelle chinoise qui met l’accent sur la respiration).

Cheveux très courts, visage sans maquillage : la maître en yoga dégage une grande simplicité. On ne devinerait pas qu’elle a travaillé avec les grands noms de la mode québécoise et animé des chroniques télé sur les tendances du moment. Et personne ne soupçonnerait que cette femme au sourire lumineux a déjà abusé de la cocaïne ni qu’elle souffre d’une maladie chronique. Son autobiographie s’intitule Vivre, c’est guérir ! Est-ce vrai ? Elle rit. « Parfois, c’est dans l’âme que s’opère la guérison », répond-elle, plus sérieuse.

Ce livre, elle l’a écrit à la demande de son éditeur aux Éditions de l’Homme. « Il était convaincu que mon histoire pourrait aider d’autres personnes à traverser les ­épreuves », dit-elle. Elle l’espère de tout cœur.

Avant le Yoga
Ce qu’on découvre dans cet ouvrage, c’est que son chemin a été tortueux.

D’abord, son enfance à Senneterre, en Abitibi, aux côtés d’un père distant et alcoolique et d’une mère porteuse d’un lourd secret – « Ses yeux pouvaient s’éteindre au milieu d’une conversation ». (Une fois adulte, ­Nicole apprendra qu’elle a un frère aîné, donné en adoption, qu’elle retrouvera et avec qui elle sera en contact jusqu’au décès de ce dernier.)
À la fin de l’adolescence, la rebelle se libère de l’emprise paternelle quand elle déménage à ­Québec pour aller au cégep. Elle fréquente les bars gais et assume, enfin, son homosexualité. Non sans mal. « J’avais l’impression d’être défectueuse », confie-t-elle avec une ­pointe de tristesse.

À 18 ans, elle s’installe à ­Provincetown, en Nouvelle-Angleterre, destination prisée de la communauté gaie, où elle restera cinq ans (avec des retours au ­Québec). Elle décroche un emploi dans un bar. C’est là qu’elle découvre la co­caïne. Au début, elle en consomme des doses homéopathiques. Puis, la poudre blanche finit par avoir raison de sa volonté. Les doses augmentent et augmentent jusqu’au jour où l’une de ses cloisons nasales se fissure. Un médecin la met en garde : à ce rythme, son corps ne tiendra pas longtemps.

Elle se joint alors à un groupe d’entraide et, après des mois d’efforts, se libère de sa dépendance. « Ce ne sont pas des années perdues. Au contraire. C’est en luttant pour m’en sortir que j’ai pris conscience de ma force », dit-elle, assise en tailleur et enveloppée dans un grand châle écru.

La mode, la télé… et  l’hépatite  C
Elle a 36 ans. Pour la première fois de son existence, elle a l’impression d’avoir ­trouvé sa place : elle rencontre Hélène, l’amour de sa vie, et entre dans le milieu de la mode québécoise. Elle organise des défilés et collabore avec les Jean Claude Poitras, Marie Saint Pierre, Philippe Dubuc, Denis Gagnon… Bonne communicatrice et plutôt photogénique, elle tient des chroniques télé sur la mode et la beauté dans les émissions Flash, Aux petits plaisirs de Clémence et Salut Bonjour. « J’adorais mon métier », lâche-t-elle.

Seule ombre au tableau : certains jours, elle se sent nauséeuse et une douleur sourde lui martèle le côté droit. Au début, elle n’y pense pas trop. Mais, en 1996, la simple odeur du café lui donne mal au cœur. Et puis, il y a cette fatigue…

Le médecin qu’elle consulte lui assène la nouvelle : elle est atteinte de l’hépatite C, une maladie chronique du foie souvent mortelle. Pendant des jours, elle tourne en rond, incapable de faire taire la panique. Une fois encore, tout s’effondre.

Où, comment et quand a-t-elle attrapé cette saloperie qui se transmet par le sang ? Ses yeux se font à la fois graves et rieurs. « C’est probablement en empruntant la paille d’un autre cocaïnomane. » On utilise cet accessoire pour renifler la drogue et les muqueuses nasales des cocaïnomanes saignent souvent…

 

Photo: Louise Savoie

Poudre de perlimpinpin et autres traitements
Dans l’espoir de guérir, elle essaie absolument tout. Diètes, produits naturels, potions miraculeuses… Sans compter les traitements de guérisseurs et autres charlatans. Mais son foie continue de se détériorer.

C’est alors qu’elle pense au yoga. Cette pratique millénaire sort des cercles d’initiés – on est au milieu des années 1990. Elle s’inscrit à des cours. Les séances sont épuisantes : de retour à la maison, elle s’effondre sur son lit. Mais peu à peu, son corps retrouve une certaine force. Le yoga lui apprend aussi « la pratique de la gratitude » : « Moment ­présent, moment parfait » ; « Ici et maintenant, j’ai tout ce dont j’ai besoin »…

Son horizon s’élargit, ses problèmes de santé deviennent moins dramatiques. Un ami l’aiguille vers la yogathérapie, issue du yoga indien, qui soulage certains de ses symptômes : fatigue, bouffées de chaleur, nausées.

Les résultats l’enchantent. Elle entreprend une formation de maître qui la mènera à ouvrir son propre studio de yoga. Après des années d’études, elle devient aussi bouddhiste. « Ce n’est pas une religion, c’est une philosophie de vie qui a adouci mon regard sur moi-même et sur les autres », souligne-t-elle.

Son régime de vie est spartiate : couchée tôt, levée tôt, yoga, méditation, qi gong, « un merveilleux outil de guérison ». Et un agenda modulé selon ses capacités. « Pour le moment, je vais bien. » Pour le moment parce que, avec cette maladie, rien n’est jamais gagné. « Je vis six mois à la fois », précise-t-elle dans un petit rire.

Elle voit son hématologue deux fois par an, se soumet à des tests et attend les résultats. Parfois ils sont bons, parfois ils sont mauvais. C’était le cas au printemps dernier. Les médecins ont pensé lui prescrire de nouveau de l’interféron, un antiviral que son corps tolère mal. Puis, d’autres tests ont montré que l’alerte était passée. « La vie venait de m’accorder un autre sursis de six mois ! »

Que pourrait-il lui arriver de pire ? Une cirrhose, un cancer du foie… Chaque matin, elle est reconnaissante de jouir d’une nouvelle journée. « Quand la mort nous souffle dans le cou, l’envie de vivre devient étonnamment forte. »

Et puis, il y a ce livre, qui pourra peut-être aider d’autres gens. « Pour ma part, le seul fait de l’écrire aura été thérapeutique. Nous devrions tous consigner notre vie par écrit, que ce soit publié ou pas. Cela nous permet de comprendre le chemin qui nous était destiné. »

Elle ne regrette rien. Même pas son ancienne vie tourmentée. « Dans chaque difficulté se trouve une occasion d’apprendre, dit-elle. Mais pour la saisir, il ne faut pas se considérer comme une victime. »

L’écriture du livre lui a aussi rendu ses parents. « Mon père est décédé, mais ma mère est toujours là et elle m’a beaucoup soutenue dans cette aventure, plus qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. »

La vie lui a fait un autre cadeau : le journal personnel de son père, découvert par hasard sous une pile de vieux documents. En tournant les pages, la fille mal aimée est tombée sur cette phrase : « J’aimerais être capable de dire à Nicole que c’est d’elle que je m’ennuie le plus au monde. » La prononcer lui noue la gorge : « En quelques mots, il venait d’effacer des années de souffrance. »

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