Nutrition

La vérité toute crue

Le crudivorisme est dans l’air du temps. Peut-on survivre à un régime sans cuisson ? Notre journaliste a testé la nouvelle « crusine ».

« Spaghettis » faits de spirales de courgette, « pizza » à croûte d’olives avec « fromage » à base de noix, « hoummos » de légumes et de tournesol, « chapati » de graines séchées, jus de fruits parfumés
aux épinards… Le tout sans aucune cuisson et sans gluten. Bienvenue chez les crudivores !

Les principaux intéressés, eux, se définissent plutôt comme des « adeptes de l’alimentation vivante ». Ce sont, en général, des végétariens stricts qui évitent tous les produits animaux, y compris le lait,
les œufs et le miel. Ils laissent tomber les aliments impossibles à digérer crus, comme les pommes de terre ou les légumineuses – exception faite des lentilles ainsi que des haricots mungo et adzuki germés.
Répandu en Californie depuis 20 ans, avec des inconditionnels célèbres tels que Demi Moore, le crudivorisme est en plein essor chez nous. Un premier resto-boutique entièrement crudivore, Crudessence, vient d’ouvrir ses portes à Montréal. Sur le Plateau branché, il va de soi. Les produits utilisés sont locaux et biologiques. Mais on peut parier que la popularité du crudivorisme, surfant sur la vague de fond écolo, débordera vite les frontières des quartiers à la mode.

Curieuse, j’ai voulu voir (et goûter) ce dont il s’agissait. L’établissement à la décoration spartiate, qui ne possède que quelques tables et un comptoir de mets à emporter, ne désemplit pas. Dans les cuisines, visibles de l’entrée, plaques de cuisson et fours sont remplacés par des robots culinaires, des extracteurs à jus, des germoirs, des déshydrateurs (qui servent notamment à faire les « pains », craquelins et gâteaux de graines et de fruits séchés à basse température).

Après quelques hésitations, j’ai opté pour le Öm Burger, un « hamburger » de graines et de légumes avec salade et sauces maison. Surprise : le plat servi s’est révélé aussi satisfaisant pour les papilles que le modèle original ! Ma crêpe dessert à la pâte de bananes séchées était également excellente. J’en suis même venue à oublier qu’aucun des aliments ici n’est cuit ! Mais ce qui m’a frappée d’abord, avant même de mettre quoi que ce soit dans ma bouche, ç’a été le foisonnement de couleurs dans l’assiette. Et le raffinement de ces plats aux textures multiples, où les endives côtoient les mangues, où le chou frisé et les fruits aux noms pas possibles voisinent avec la noix de coco.

La « crusine » est évidemment rafraîchissante l’été. L’hiver, le menu fait davantage place aux légumes-racines. Mais, déception, il faut dire adieu aux soupes fumantes – à plus de 42 °C, c’est de la cuisson. Pour combler ses envies de liquide chaud restent le thé et les tisanes…

L’animatrice et productrice Julie Snyder, végétarienne convaincue, se rend régulièrement chez Crudessence, tout comme le chanteur Kevin Parent et la comédienne Anne-Marie Cadieux. Branché, disais-je. « J’aimerais être crudivore à temps plein ! s’exclame Julie Snyder. C’est le régime optimal pour la santé. Toutes les vitamines sont préservées, entre autres bienfaits. »

L’aspect santé est d’ailleurs le premier argument que font valoir les fervents de l’alimentation vivante : outre les vitamines, cette façon de se nourrir apporte plein de fibres, antioxydants et autres flavonoïdes.

« Elle améliore la flore intestinale, donc le système immunitaire, dit Mathieu Gallant, cofondateur de Crudessence. On sert des noix et des graines qui ont trempé dans l’eau et d’autres végétaux germés (comme la luzerne) ou lactofermentés (comme la choucroute). Ces procédés augmentent la valeur nutritive des aliments tout en facilitant la digestion. Avant tout, manger cru signifie mettre de la vie dans son assiette. »

Le crudivorisme s’inscrit dans une philosophie. Aux populaires cours de crusine de Crudessence – fréquentés par des femmes à 85 % –, il est autant question de santé globale de l’esprit et du corps que de recettes.

Les professionnels de la santé sont moins enthousiastes. « À quoi sert de consommer autant de vitamines ? demande la docteure Mélanie Bélanger, gastroentérologue à l’Hôpital Charles-Lemoyne, à Longueuil. « Au-delà d’une certaine quantité, le surplus s’élimine dans les urines. Une diète crue est sûrement bénéfique à la flore et au transit intestinaux. Mais la cuisson a aussi ses vertus : elle tue les microorganismes indésirables et augmente la teneur en bêtacarotène et en lycopène de certains légumes. Et les végétaliens, qui boudent la viande, doivent faire preuve de vigilance pour ne pas souffrir de carence en protéines, en vitamine B12, en vitamine D et en fer. » C’est la raison pour laquelle les nutritionnistes déconseillent le végétalisme aux femmes enceintes et aux jeunes en croissance.

Lors de ma visite chez Crudessence, j’étais accompagnée d’une amie, Marilyn, et de son cousin Yves, tous deux férus d’alimentation santé. Lui, un marathonien qui ne semble pas le moins du monde manquer d’énergie (même s’il a dû recevoir des injections de vitamine B12 à un moment donné), est végétarien depuis plus de 20 ans, mais n’est plus crudivore à temps plein. « Vous aviez toujours faim à ne manger que du cru ? ai-je risqué (que voulez-vous, les préjugés sont tenaces).

– Pas du tout. Après un repas crudivore, je me sens à la fois léger et bien nourri. C’est ma vie sociale qui en souffrait. 

– J’adore cette nourriture, dit Marilyn, mais j’y ai renoncé chez moi car je trouvais que c’était compliqué à préparer. Il faut repenser sa cuisine, acheter plusieurs appareils… »

« Compliquée, l’alimentation vivante ? Jamais de la vie ! » proteste la Montréalaise Tera Warner, crudivore à temps plein et fondatrice du site pro-crusine Therawdivas.com (une version française est en préparation). On peut y acheter des livres virtuels (de recettes et autres), des menus sur mesure ainsi que du matériel (mélangeurs, DVD, etc.).

« J’ai maintenant 23 000 clientes qui viennent de partout dans le monde, clame fièrement cette rousse flamboyante mère de deux jeunes enfants. Ces femmes tiennent à mener une vie saine, beaucoup ont entendu dire que le crudivorisme est formidable pour prévenir le cancer, le diabète et la fibromyalgie. D’autres veulent perdre du poids : riche en eau et faible en calories, c’est en effet le régime idéal pour maigrir. »

Elle poursuit : « C’est fantastique tout ce qu’on peut faire avec une planche et un couteau. On se débrouille très bien avec les fruits et légumes frais de l’épicerie, des noix et des graines. Qui n’a pas un mélangeur sur le comptoir de la cuisine ? J’ai un déshydrateur, mais je ne m’en sers jamais. » Le mélangeur sert entre autres à concocter les smoothies, un des piliers de la crusine, qui permet de marier allègrement fruits, légumes, herbes et noix de toutes sortes. Les enfants les apprécient particulièrement.

Bref, si on ne tient pas à la fantaisie à tout prix, nul besoin de se munir d’un robot culinaire, d’un « spiraleur » (qui découpe les légumes en fines lanières) ou d’un déshydrateur. Il n’est pas nécessaire d’être crudivore à temps plein pour retirer des bienfaits de l’alimentation vivante. « On commence par déguster un repas à l’occasion, suggère Mathieu Gallant. À force de mettre des aliments sains sur la table, ceux qui le sont moins finissent naturellement par disparaître… »

Petit glossaire des régimes végétariens

Les régimes alimentaires végétariens sont nombreux. Voici les principaux.

Semi-végétarisme : Permet certains produits d’origine animale, par exemple le poulet (pollovégétarisme) ou le poisson (piscivégétarisme).
Végétarisme : Exclut toute chair animale, mais peut permettre les sous-produits tels les œufs, les produits laitiers et le miel.
Lacto-végétarisme : Bannit tous les produits animaux sauf le lait et ses dérivés.
Lacto-ovo-végétarisme : Exclut tous les produits animaux sauf le lait et les œufs.
Végétalisme : Régime composé exclusivement de végétaux.
Crudivorisme : Habituellement végétalien, il proscrit toute cuisson mais admet la déshydratation à basse température.
Sous-catégories : Granivorisme (à base de graines, nature et germées); frugivorisme (à base de fruits); instinctonutrition (selon l’instinct, peut inclure n’importe quel aliment, y compris des insectes).
Écologie alimentaire : Alimentation saine axée sur la prévention du cancer.
Macrobiotique : Régime complexe, essentiellement végétalien, basé sur les principes chinois du yin et du yang.

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.