Nutrition

Le juicing : une semaine à boire

Louise Gendron l’a testé.

Manger liquide est in. Un peu partout en Occident, des comptoirs offrent des repas complets à déguster avec une paille et on trouve des smoothies jusque dans les restos-minute. Mais ne se nourrir que de ça ? J’avais un doute. J’ai fait un brin de recherche. Et j’ai essayé.

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Photo: IStockphoto

« Boire du jus pendant une semaine ? Es-tu malade ? » L’homme de ma vie est devenu vert épinard. Tant pis pour lui. Dimanche prochain, je vais l’éblouir par mon teint radieux et mon énergie débordante.

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Ça, c’est ce que je me disais hier soir. Mais là, il est 17 h. Et J’AI FAIM. Pourtant, j’ai « mangé » plein de choses aujourd’hui. Deux grands verres de boisson de soya avec mangue, graines de chanvre, ananas et goji, petit fruit bourré d’antioxydants ; deux grands verres d’une jolie mixture constituée de trois tomates, de chou frisé, d’une petite botte de persil dans un tiers de paquet de tofu soyeux ; et un grand verre de boisson d’amande dans lequel j’avais fouetté une pleine barquette de framboises.

Mais j’ai faim. Je me console en me répétant que c’est pour la science et pour Châtelaine que je teste le juicing, cette cure qui consiste à se nourrir de jus et de smoothies pendant trois, quatre, sept jours ou plus. Pour une détox – mais sait-on si on a besoin de ça ? – ou pour se donner un boost de vitamines. Et pour perdre du poids, bien sûr et toujours.

Pour me documenter (et trouver des recettes), je fais un peu de recherche. Première découverte : le jus et le smoothie sont deux choses différentes. Le jus s’obtient en passant le fruit ou le légume dans un extracteur ou une centrifugeuse qui en élimine toute la pulpe pour ne garder que le liquide. Le smoothie, selon la Juice and Smoothie Association américaine, peut contenir du jus, des fruits et des légumes, de la glace pilée, du yogourt glacé, de la boisson de soya ou d’amande, des noix, des graines, des suppléments. Le tout préparé dans un mélangeur à haute vitesse, comme un Vita-Mix. À partir de cette recette de base, des milliers de variations possibles. Les seules limites à l’imagination sont le contenu du frigo et les goûts personnels.

juicing-basilicDeuxième découverte : un extracteur efficace coûte au moins 400 $, un Vita-Mix va chercher autour de 500 $. J’ai choisi le smoothie. Et j’ai sorti le vieux mélangeur que ma mère m’avait donné. Il doit sûrement y avoir moyen de se faire du bien sans dépenser une fortune en bidules.

La veille du grand jour, je suis allée faire les courses. D’abord, l’épicerie : sacs de fruits congelés (quelle heureuse invention), chou frisé congelé (ça existe, ça ?), boisson de soya, d’amande, tofu soyeux, yogourt nature, yogourt grec, noix de toutes sortes. Des tonnes de tomates, de concombres, de céleris, de bettes à carde, d’épinards, de pommes, de bananes, de poires, de pêches… Puis, un saut au magasin d’aliments naturels pour y cueillir des trucs dont parlent les puristes de la santé. Bonjour le chia, les graines de chanvre, les baies de goji, le physalis !

Je me suis couchée après avoir mis ananas et mangue à dégeler, baies de goji à tremper, mesuré mes trois cuillerées de graines de chanvre. J’étions fin prête. Au réveil, j’ai bu mon petit-déjeuner, frais, onctueux, sucré mais pas trop, plein de vitamines et de protéines, avec le rassasiant sentiment de boire un grand verre de santé. Ça ne réveille pas autant qu’un expresso, mais ça met de bonne humeur.

Quelques heures plus tard, je mourais de faim. J’ai chargé le mélangeur de to­mates, de concombre, d’épinards, de yogourt grec, en luttant intérieurement contre une question lancinante : c’est quoi l’avantage de liquéfier tout ça plutôt que d’en faire une belle salade croquante ?

« On peut ainsi concentrer une montagne de végétaux dans un verre », répond Émilia Sirois, naturopathe et cofondatrice d’Inspirations Gabrielle et Émilia, qui donnent des ateliers sur le sujet. « Le jus permet également d’intégrer à son alimentation des légumes qu’on aime moins. »

Vrai. Mais pourquoi ne se nourrir que de ça ? Jocelyna Dubuc, qui a ouvert il y a 30 ans le relais santé Spa Eastman, est une pionnière de la bonne alimentation au Québec. Elle n’a jamais cessé de chercher, de lire, d’étudier. Et ne voit pas l’utilité de tout réduire en liquide.

Et elle n’est pas la seule. Cinq jours de lectures, d’entrevues avec des médecins, des nutritionnistes et des naturopathes ne m’ont fourni aucun argument déterminant. Le cinquième soir, j’ai rangé mon mélangeur. Je me suis mitonné une grande salade de verdures, de tomates, de légumineuses. Dieu que c’était bon !

Beet portion on whiteDes gains malgré tout

Le juicing ou la cure de jus et de smoothies est une mode de plus. Mais j’y ai gagné :

L’eau citronnée  Un ou deux citrons coupés en quartiers glissés dans mon sac à lunch. Pressés dans de l’eau, ils remplacent le café qui trônait toujours sur mon bureau. Ma consommation quotidienne de café est passée de huit tasses à trois. Résultat : meilleur teint, meilleur sommeil, moins de stress.

Des petits-déjeuners variés  Le smoothie avec des fruits différents chaque matin se prépare très vite.

Des superaliments apprivoisés  Les graines de chanvre, bonne source de protéines ; le chia, qui contient oméga-3 et fibres en quantité ; les baies de goji, qui ajoutent une note acidulée aux jus et aux salades.

La betterave, la bette à carde, le rapini, le panais, le chou…  Noyés dans un smoothie, les légumes mal aimés se font une place sans qu’on s’en rende trop compte.

Un truc pour bien manger les jours de paresse  Pas de vaisselle, pas de cuisson. Une planche à découper, un couteau, un mélangeur et un verre…

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Photo: IStockphoto

Du jus, seulement du jus ?

Se nourrir de jus, exclusivement de jus sans pulpe pendant quatre jours, une semaine, un mois ou plus. Pour reposer le système digestif et détoxifier l’organisme. Et, encore et toujours, pour perdre du poids.

L’idée n’est pas neuve, mais elle a connu un regain de popularité ces dernières années. Entre autres grâce à un Australien, boursicoteur de son métier. À 41 ans, Joe Cross avait essayé tous les régimes. Mais il pesait 140 kilos, souffrait de diabète, d’hypertension et de tous les petits plaisirs qui viennent avec l’obésité morbide. Un jour, il en a eu vraiment assez et a décidé de frapper un grand coup. Il ne se nourrirait que de fruits et de légumes pendant deux mois. Mais pour rester en santé, il devait en absorber jusqu’à 10 kilos par jour. Sa solution : passer tout ça à l’extracteur, éliminer toute la fibre pour ne garder que le liquide, gorgé de mégadoses de nutriments.

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Photo: Daniel Marracino/Bev Pictures/Courtesy Everett Collection

En 60 jours, il a perdu 40 kilos. Et gagné un film. Car ce gros malin, au moment de commencer son régime, a pris l’avion pour les États-Unis et embauché une équipe de cinéma. Sa cure, il l’a faite en traversant le pays du McDo et en prêchant partout l’évangile selon le jus. Tout ça sous l’œil attentif de la caméra.

Son documentaire Fat, Sick and Nearly Dead (Gros, malade et presque mort), sorti en 2010, a contribué à le faire connaître aux États-Unis, et à rentabiliser Reboot with Joe, la petite business de santé par le jus qu’il a fondée par la suite. Il fait des conversions. Une façon de perdre du poids ? Peut-être. À la condition de ne pas boire trop de jus de fruits, riches en sucres. Trois onces de jus de pomme (pas loin d’une demi-tasse) renferment 50 calories, à peu près l’équivalent d’une pomme…

Les légumes et les fruits devraient être la base, pas toute l’alimentation, selon la nutritionniste Simone Lemieux, professeure à l’Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels (INAF), rattaché à l’Université Laval. « Nous ne sommes ni des vaches ni des chevaux ! dit-elle. Les protéines des fruits et légumes ne sont pas de la même qualité que celles des légumineuses ou des produits animaux. Et puis, un jus ne contient ni fer, ni calcium, ni vitamine D, ni protéines, entre autres. »

Sa conclusion : « Encore une mode pour les gens qui veulent perdre en un mois le surpoids accumulé en 10 ans. »

Une cure détox, alors ? Le juicing, disent ses adeptes, permet de concentrer toutes les vitamines et tous les minéraux d’une grande quantité de végétaux dans un seul verre. Éviter les protéines animales et les céréales permet de se débarrasser des toxines accumulées. « Rien, jamais, n’a fourni la moindre base scientifique à cette idée », affirme Becky Hand, nutritionniste qui, depuis plus de 25 ans, aide des milliers d’Américains à changer leur rapport à l’alimentation, entre autres grâce à SparkPeople, une communauté Web qui réunit 14 millions de membres dont l’objectif est de vivre en meilleure santé. « Le corps a tout ce qu’il faut pour se détoxifier tout seul. Les reins, le foie et l’intestin font très bien ce travail », dit-elle.

En fait, d’après Katherine Zeratsky, nutritionniste à la Clinique Mayo, les bienfaits d’une cure détox proviennent davantage de ce que la personne ne mange pas (les aliments préparés contenant beaucoup de gras, de sel, de sucre) que des jus eux-mêmes.

L’absence de fibres, disent les apôtres de ce régime, permet de reposer le système digestif et d’absorber très rapidement des mégadoses de nutriments. « C’est vrai, soupire Simone Lemieux. Les fibres obligent l’organisme à travailler plus lentement, étalant l’absorption de nutriments dans le temps. Et c’est une bonne chose : l’absorption rapide cause des pics de glycémie suivis de baisses abruptes. Avec pour effet, entre autres, de bousiller la sensation de satiété. »

D’ailleurs, il doit rester quelque chose de bénéfique dans les fibres puisque des promoteurs de la santé par le jus proposent souvent de récupérer la pulpe rejetée par l’extracteur pour l’ajouter à des soupes, à des muffins. Ou même pour en faire des craquelins… Pourquoi l’éliminer alors ?

Il y a quelques années, la chaîne spécialisée BBC Food avait tenté de documenter l’effet d’une cure détox. Dix femmes, toutes portées sur la fête et les excès (!), avaient été soumises à une expérience. Pendant une semaine, cinq d’entre elles avaient fait une cure stricte. Les cinq autres avaient mangé sainement mais normalement, ayant même droit à l’alcool, au café, au chocolat… Résultat : dans les reins, le foie, le sang, aucune différence.

Conclusion : un verre de jus ajouté à une alimentation équilibrée, bravo. Mais une cure où on ne boit que du jus est, au mieux, inutile. Et peut même être dommageable pour les gens plus vulnérables.

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