Si j’appliquais mes principes à la lettre, je serais végétarienne. Mais cela supposerait renoncer à mes goûts d’ours polaire. J’adore le poisson cru, et il va de soi que l’essor des sushis m’a comblée de bonheur, leur livraison à domicile encore plus. Un régal pour mes yeux et mes papilles. Je me félicite de faire le plein d’oméga-3, de protéines de qualité et de minéraux. Le tout moyennant un minimum de calories, à moins d’abuser du tempura et de la mayonnaise au sésame, bien entendu.
C’est dire ma consternation quand je suis tombée sur des sites Internet évoquant le risque pour le consommateur de poisson cru ou insuffisamment cuit d’être infesté par une saloperie nommée Anisakis. Un ver, ô horreur ! C’est sa larve, en fait, que l’on risque d’ingérer. Ladite bestiole, qui se présente sous la forme d’un ressort à matelas d’environ 2 mm de longueur, est à peine plus fine qu’un cheveu. D’accord, il faut se méfier d’Internet. Mais quand des gens convaincants citent des spécialistes qui affirment que la seule façon de l’éliminer, c’est l’opération, on a plutôt envie de se faire livrer une pizza. D’autant plus que ces rabat-joie fournissent des photos…
Heureusement, renseignements pris, la réalité est beaucoup moins terrifiante. « La contamination à l’Anisakis est extrêmement rare chez nous, et aucun cas n’a été signalé depuis 2006 », assure Pascal Daigle, microbiologiste au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Même son de cloche rassurant du côté du docteur Mickael Bouin, gastroentérologue à l’Hôpital Saint-Luc du CHUM, qui s’offre des sushis toutes les semaines. « En 10 ans de pratique, je n’ai pas vu un seul cas d’anisakiase [contamination à l’Anisakis] et pourtant il s’en consomme des sushis ! S’il fallait avoir peur de la contamination, on ne mangerait pas grand-chose… »
Les complications citées dans les sites Web sont peu fréquentes, y compris dans les régions du globe où il y a davantage d’anisakiase en raison d’une importante consommation de poissons et de fruits de mer crus (les sushis au Japon, le gravlax en Scandinavie et le céviche sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud).
D’autres faits me rassurent : une directive provinciale demande aux restaurateurs et aux fournisseurs de congeler les poissons destinés à être consommés crus pendant au moins sept jours à une température de -20 °C, ce qui tue les bestioles. Sont exemptées plusieurs espèces qui n’ont pas de parasites, comme le thon et le saumon d’élevage, qui sont les plus fréquemment utilisés dans la préparation des sushis – ça tombe bien. C’est d’ailleurs à la popularité du saumon d’élevage, entre autres, qu’on attribue l’absence de cas d’anisakiase depuis 2006. À noter que les poissons et fruits de mer salés ou marinés sont aussi exclus de cette directive.
Quand le docteur Bouin a une rage de sushis, il se rend chez un des maîtres ès sushis à Montréal, un sympathique Vietnamien nommé Tri Du. Au minirestaurant qu’il a ouvert dans le Plateau-Mont-Royal, Tri, comme l’appellent ses clients, a décidé de se simplifier la vie. « Je n’utilise que des poissons sans risque. Mais je les examine tous très attentivement, au cas où. Je fais des tranches minces et je n’emploie que des poissons très frais dont je connais la provenance. » Propreté, Tri n’a que ce mot à la bouche. « On ne dira jamais assez l’importance de mesures d’hygiène strictes. »
En effet, comme dans tout aliment non cuit – bœuf haché ou fromage au lait cru –, des bactéries peuvent proliférer dans le poisson cru s’il n’est pas conservé correctement. C’est la raison pour laquelle on déconseille les sushis aux femmes enceintes. Mais attention de ne pas accuser à tort les petites bouchées japonaises ! « Le problème n’a souvent rien à voir avec le poisson cru », déplore Tri Du.
Pascal Daigle du MAPAQ lui donne raison. « En fait, c’est très souvent le riz qui est en cause », souligne-t-il. Selon la tradition, les sushis sont confectionnés avec du riz à température ambiante que l’on acidifie avec du vinaigre. Si c’est préparé selon les règles de l’art, il n’y a aucun danger. « Sinon, un bacille normalement présent dans le riz peut se développer », ajoute-t-il. Rien de terrible : une bonne gastro, et c’est terminé.
L’an dernier, sept personnes ayant consommé des sushis dans le même restaurant ont ressenti des malaises. Après enquête, le MAPAQ a trouvé le coupable : un produit utilisé pour nettoyer les surfaces de travail.
Bref, consommer des sushis comporte peu de risques – mais mieux vaut les acheter dans un restaurant réputé et achalandé, ce qui garantit la fraîcheur du poisson. Parfait, j’annule la pizza.