Nutrition

Un repas en famille, yé !

Entre les cours de l’un, les devoirs de l’autre et son propre entraînement au gym, on oublie l’essentiel : prendre le temps de manger ensemble. Dommage.


 

Pendant des mois, Julien s’est enfermé dans sa chambre au retour de l’école. Installé devant Facebook ou la télé, il s’empiffrait de restes grappillés dans le frigo. Sa mère savait bien que ce n’était pas l’idéal. « J’étais débordée. Je n’avais pas l’énergie de préparer un repas digne de ce nom ou de vérifier ce qu’ingurgitait mon ado chaque soir », raconte Sylvie, qui vivait alors seule avec son fils.

C’est là un problème répandu : 4 enfants québécois sur 10 soupent régulièrement en regardant leurs émissions préférées, selon l’Institut de la statistique du Québec. Marie Marquis, professeure de nutrition à l’Université de Montréal, a mené une étude sur le sujet. Elle a ainsi découvert que plus de la moitié (58 % des garçons et 48 % des filles de 10 à 12 ans) mangent de temps en temps, ou tous les jours, dans leur chambre. Bref, pour mille raisons – horaires anarchiques, familles éclatées, activités parascolaires envahissantes –, le repas familial est en chute libre et la santé de tous en pâtit.

Je cuisine, tu cuisineras

Devant le petit écran ou occupé à faire autre chose, comme répondre à ses courriels, on s’alimente comme un automate, souvent au-delà de son appétit – dans le langage des nutritionnistes, on est moins sensible aux signaux de satiété. « Adultes et enfants ne font pas les meilleurs choix quand personne ne les observe, signale Marie Marquis. Alors que le parent qui cuisine se soucie habituellement de préparer quelque chose qui ressemble à un repas, avec plat principal et accompagnements, des légumes en particulier. »

Le petit-déjeuner, le dîner et le souper sont de grands moments d’apprentissage. Dès la petite enfance, on y puise de saines habitudes alimentaires – pour la vie. Selon une étude canadienne, les jeunes qui mangent en famille au moins trois fois par semaine consomment davantage de fruits et de légumes, de calcium et de fibres, non seulement à la maison, mais aussi à l’extérieur.

Encore faut-il que la mère – qui fait les repas dans la majorité des ménages – ait un minimum de compétences en cuisine. Or, au Québec, le savoir culinaire se perd. La chercheuse Marie Marquis a rencontré de nombreuses mamans au cours de ses recherches et de ses conférences portant sur la nutrition. Certaines se sentaient tellement démunies en la matière qu’elles demandaient des photos pour voir à quoi pouvait bien ressembler un repas !

« On a étourdi les gens et semé la confusion avec des notions de nutrition complexes, tel l’indice glycémique, dit-elle. Cela met beaucoup de pression sur les femmes. De grâce, simplifions ! »

D’autres mères lui ont plutôt confié les difficultés classiques : enfants qui refusent d’avaler carottes et courgettes ou qui ne retrouvent leur appétit qu’au dessert. « Plusieurs pleuraient en rapportant les commentaires de leur marmaille : “Ouache ! C’est pas mangeable !” » relate Marie Marquis.

Une partie du problème : le fast- food auquel plusieurs sont habitués est mou, gras, salé. « Présentez-leur du pain croustillant, du poulet qui n’est pas en pépites et des légumes croquants et ils pensent que c’est raté… »

Moments privilégiés

Le repas doit être un moment agréable, pas une zone de combat, avance Isabelle Émond, nutritionniste et coauteure du livre À table en famille ! (Flammarion Québec), qui propose aux parents recettes
et réflexions. On évite, par exemple, de parler des devoirs des plus jeunes ou des préoccupations financières du couple. Les bonnes manières à table peuvent être abordées, mais sans que cela devienne une obsession. « Oui, il faut dire aux petits de ne pas mettre les coudes sur la table : où l’apprendront-ils sinon à la maison ? note-t-elle. Mais pas au point de gâcher l’atmosphère. »

Chez Sylvie, les choses ont changé quand Jacques, père de deux enfants, est entré dans sa vie. Porté sur la cuisine et les discussions animées, il insiste pour que tous se réunissent autour de bons petits plats plusieurs fois par semaine. « Je sais maintenant ce que mon fils mange, dit-elle. Et aussi ce qu’il pense. C’est peut-être le plus important. »

Les parents y gagnent, leur progéniture, également. « Le repas en famille est une précieuse occasion d’échange, reprend Marie Marquis. Et la stabilité qu’il reflète est capitale pour le développement de l’enfant. »

Entendre les adultes discuter favorise les aptitudes linguistiques et sociales des petits. Plus confiants, ils pourront mieux exprimer leur point de vue à la prochaine occasion.

Il y aurait d’ailleurs moins de décrocheurs, de dépressifs et de victimes de taxage chez les jeunes qui mangent en famille régulièrement, d’après les conclusions de plusieurs études européennes. L’Unicef fait même du repas en famille un indicateur de qualité de vie !

Il n’est pas nécessaire de souper ensemble tous les jours. Un repas simple et équilibré qu’on partage quelques fois par semaine suffit. « On ne s’en rend pas compte sur le coup, mais de beaux souvenirs se créent dans ces moments-là, ajoute la nutritionniste Isabelle Émond. Si chacun va de son côté, on n’est plus une famille, on est des colocs ! »

Marie Marquis déplore d’ailleurs qu’à Noël les plus jeunes soient relégués au sous-sol lors des grands rassemblements : ils avalent leur assiette devant une vidéo sous prétexte qu’il n’y a pas de couverts pour 12. « C’est tellement plus sympathique de se tasser autour de la table avec de la vaisselle dépareillée ! Les enfants apprennent beaucoup au contact de la famille élargie. Ils développent un sentiment d’appartenance… »

Guide de survie du repas en famille

Un seul menu. C’est aux parents de décider ce que la famille mange, où et à quelle heure. Le repas sera varié, pour que chacun y trouve son compte, mais on évitera de composer plusieurs menus.

Quel appétit ? On demande à l’enfant s’il a un petit ou un gros appétit. C’est lui qui décide s’il a assez mangé. Il n’a donc pas besoin de finir son assiette.

La mauvaise stratégie du dessert-récompense. Utiliser le dessert comme instrument de chantage ne fait que valoriser les aliments sucrés. « Un gamin n’a pas à être privé de dessert parce qu’il n’aime pas le brocoli », plaide Isabelle Émond.

Allez goûte ! Il faut parfois présenter un aliment 12 fois à un bambin avant qu’il consente à y goûter. Apprendre à manger, c’est comme apprendre à marcher.

Manger pour le plaisir. Vanter sans arrêt les bienfaits santé des aliments – « Les oranges regorgent de vitamine C » – risque d’être contre-productif. Mieux vaut dire que c’est bon. Tout simplement.

Satisfaction garantie. Tous participent au repas ! L’un met la table, l’autre prépare l’entrée. Fiston sera fier de sa vinaigrette et trouvera la salade bien meilleure…

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