Nutrition

Vitamines : vraiment utiles ?

Les suppléments alimentaires que nous avalons chaque jour nous aident-ils vraiment à demeurer en santé ? Rien n’est moins sûr.

Chaque jour, comme des millions de Nord-Américains, nous prenons religieusement des dizaines de suppléments vitaminiques dans l’espoir de vivre plus longtemps et en meilleure santé. De la vitamine C pour stimuler notre système immunitaire, de la vitamine B pour protéger notre cœur, de la vitamine E et d’autres antioxydants pour prévenir le cancer. Au total, plus de 40 % des Canadiens et 70 % des ménages américains en consomment.

Mais voilà que certains scientifiques se demandent si ces nutriments en capsules ne nous causeraient pas plus de tort que de bien. Ces dernières années, des études qui devaient confirmer le rôle bénéfique des vitamines ont plutôt montré des effets néfastes. Le bêtacarotène, qui devait nous protéger du cancer, semble stimuler son développement, du moins chez les fumeurs. La vitamine A, consommée en trop grande quantité, augmenterait le risque de fracture de la hanche chez les femmes. Et la vitamine E pourrait mener à l’insuffisance cardiaque. Longtemps considérés comme des armes contre le cancer, les antioxydants sont maintenant soupçonnés d’en augmenter les risques et même de nuire aux traitements médicaux.

La prestigieuse Medical Letter américaine, qui collecte les preuves scientifiques et conseille les médecins dans leur pratique, a publié l’été dernier un rapport très critique sur plusieurs vitamines, en se basant sur les conclusions troublantes d’études récentes.

« Lorsque vous testez les vitamines dans le cadre d’essais cliniques, les résultats sont souvent décevants et parfois même inquiétants, affirme Edgar R. Miller, chercheur au National Institute on Aging, aux États-Unis. Les gens croient qu’ils vont vivre plus longtemps grâce à leurs suppléments, mais c’est loin d’être démontré. Certaines recherches suggèrent même l’inverse. »

Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Des membres de l’industrie américaine des suppléments, comme le Council for Responsible Nutrition, répliquent que la méthodologie de plusieurs de ces études laisse à désirer. De plus, les participants sont souvent en mauvaise santé, ce qui rend les conclusions peu pertinentes pour l’ensemble de la population. « Nos attentes face aux vitamines sont peut-être trop élevées, ajoute Andrew Shao, vice-président des affaires scientifiques pour le Council for Responsible Nutrition. Ce ne sont pas des médicaments et elles ne peuvent guérir un patient malade depuis 20 ans. »

Des attentes irréalistes ?
Les vitamines sont nécessaires à la santé. On doit les puiser dans l’alimentation, car le corps ne peut les fabriquer. Mais les micronutriments provenant des aliments sont, la plupart du temps, suffisants pour prévenir les carences, rares dans les pays développés.

Toutefois, on connaît mal les effets de doses élevées sur l’organisme. Prenons les radicaux libres, par exemple. Chaque jour, les cellules subissent des dommages causés par une foule de facteurs : rayonnement solaire, digestion des aliments, respiration et vieillissement. Tous ces phénomènes engendrent des radicaux libres, des molécules qui peuvent endommager les tissus et mener au cancer ou aux maladies cardiaques. Si on a longtemps cru que des doses élevées de vitamines pouvaient les neutraliser avant qu’ils ne fassent des ravages, on pense aujourd’hui que les radicaux libres joueraient peut-être un rôle dans l’équilibre du corps.

En effet, la présence des radicaux libres pourrait signaler au système immunitaire qu’il est temps d’envoyer des combattants afin d’éliminer ces derniers et de réparer les dommages qu’ils ont causés. Mais le fait de prendre des suppléments pourrait court-circuiter l’envoi de ce message. Les vitamines nettoieraient les dégâts causés par les radicaux libres, mais le système immunitaire ne serait jamais alerté et, par conséquent, ne pourrait reconstruire les tissus, ce qui permettrait à la maladie de s’installer.

Par ailleurs, les doses pharmaceutiques de vitamines que nous consommons sous forme de suppléments dépassent souvent celles que nous procurent naturellement les aliments. Or, en éprouvette, une forte dose d’antioxydant peut se transformer en oxydant. Ce qui veut dire qu’on produit des radicaux libres au lieu de les détruire !

La vitamine E : souvent inutile
Pendant longtemps, on a prétendu qu’elle était bénéfique pour le cœur. En étudiant des populations sur plusieurs années, on a déduit qu’une alimentation riche en vitamine E diminuait le risque de maladies cardiovasculaires.

Mais les résultats concernant les suppléments restent décevants. La plupart des essais cliniques ne sont pas concluants et quelques-uns laissent même entrevoir des effets nocifs. La Berkeley Wellness Letter, un bulletin sur la santé émis par l’Université de Californie – l’institution qui avait découvert la vitamine E en 1922 –, n’en recommande plus la consommation, car les données actuelles ne démontrent aucun bienfait.

L’an dernier, la Women’s Health Study, réalisée aux États-Unis, a évalué les effets de la prise de capsules de vitamine E chez près de 40 000 femmes. Aucun effet positif n’a été observé, ni sur la santé du cœur ni sur le taux de cancer. Une autre étude, portant cette fois sur 9 500 patients, est arrivée aux mêmes conclusions. Ceux qui avaient pris des suppléments présentaient le même taux de cancer, d’infarctus ou d’AVC que ceux qui n’en avaient pas consommé. La seule différence entre les deux groupes, c’est que les utilisateurs de vitamine E souffraient davantage d’insuffisance cardiaque !

L’étude Select, menée par le National Cancer Institute aux États-Unis, examine actuellement le rôle possible du sélénium et de la vitamine E dans la prévention du cancer de la prostate. Mais les résultats ne seront pas connus avant plusieurs années. Cette recherche a été lancée à la suite des découvertes étonnantes d’une étude finlandaise menée en 1994. Les scientifiques de ce pays voulaient savoir si le bêtacarotène et la vitamine E pouvaient prévenir le cancer du poumon chez les fumeurs. De façon totalement inattendue, le taux de cancer de la prostate avait baissé chez les utilisateurs de vitamine E et le cancer du poumon avait grimpé chez les consommateurs de bêtacarotène.

Le rôle que joue la vitamine E dans une maladie comme le cancer est encore nébuleux. Le Journal of Clinical Oncology publiait l’an dernier une étude portant sur 540 patients atteints de cancer au cou ou à la tête et traités par radiothérapie. Certains d’entre eux prenaient 400 UI de vitamine E, et les autres, un placebo. La vitamine E a réduit de 30 % les effets secondaires causés par le traitement. Mais les récidives du cancer chez les patients qui en avaient consommé avaient augmenté de 37 %. La vitamine E pourrait-elle nuire à l’efficacité des traitements contre le cancer ? Même s’il ne s’agit que d’une seule étude, la question mérite d’être posée.

« On croit que les vitamines ne peuvent faire de tort, note le docteur Eric Klein, auteur de l’étude et directeur du Service d’oncologie et d’urologie à la Clinique Cleveland. Mais on doit demeurer prudent jusqu’à ce que les résultats se précisent. »

Vitamine A : prudence
La vitamine A – et le bêtacarotène, qui peut être converti par l’organisme en vitamine A – joue un rôle dans la vision, la santé des os, la division cellulaire et la régulation du système immunitaire. Plusieurs études indiquent qu’une alimentation riche en vitamine A et en bêtacarotène peut réduire l’incidence de certains cancers. Mais, sous forme de suppléments, c’est une autre histoire.

Dans le cadre de l’étude finlandaise précitée, les fumeurs qui ont pris 20 milligrammes de bêtacarotène par jour présentaient un taux de cancer du poumon supérieur de 18 % à celui des autres consommateurs de bêtacarotène. Deux ans plus tard, en 1996, l’étude Caret confirmait cette piste inquiétante. On voulait tester les effets du bêtacarotène et de la vitamine A sur des fumeurs qui travaillaient dans l’amiante. Mais les chercheurs ont dû mettre fin à l’essai clinique, car le taux de cancer du poumon des participants avait grimpé de 28 % et leur taux de mortalité par maladie cardiaque, de 26 %.

Et ce ne sont pas les seuls risques associés à cette vitamine. En 2002, une autre étude, menée à Harvard et portant sur 72 000 infirmières, a conclu que celles qui consommaient de fortes doses de vitamine A couraient 48 % plus de risques que leurs collègues de se fracturer la hanche. Les infirmières qui se nourrissaient d’aliments riches en vitamine A présentaient aussi des risques accrus, parce que cette vitamine se retrouve dans bien des aliments enrichis, comme le lait, la margarine et les céréales du petit-déjeuner.

Vitamine C et cancer
Depuis que le Prix Nobel Linus Pauling a vanté les bienfaits de la vitamine C, il y a plus de 30 ans, nous en avons consommé des quantités astronomiques pour prévenir à peu près tout, du rhume de cerveau au cancer. Mais les résultats des plus récentes recherches vont probablement mettre fin à nos illusions.

À l’été 2005, la base de données Cochrane, qui comporte près de 26 000 études, a examiné les preuves cliniques concernant les suppléments de vitamine C pour prévenir le rhume. Aucune des 23 études passées en revue n’a réussi à démontrer son efficacité, sauf… six d’entre elles, portant sur des coureurs de marathon, des skieurs et des soldats exposés au froid ou au stress. Dans ces situations extrêmes, la vitamine C diminue de moitié le nombre de rhumes. Elle réduit aussi leur durée, mais de tellement peu que la plupart des gens ne remarquent même pas la différence.

Par ailleurs, cette vitamine n’est pas aussi inoffensive qu’on le croyait. L’an dernier, le journal médical CA, destiné aux cliniciens, affirmait que les patients qui reçoivent un traitement contre le cancer doivent éviter les antioxydants en comprimés, dont la vitamine C. On a découvert que les cellules cancéreuses assimilent la vitamine C plus rapidement que les cellules normales – ce qui laisse supposer que, grâce à cette vitamine, les cellules malignes seraient mieux protégées que les cellules saines.

En 2001, des scientifiques avaient déjà démontré que les cellules cancéreuses deviennent résistantes à la chimiothérapie après des traitements à la vitamine C. « C’est une erreur de croire que les cellules cancéreuses n’aiment pas les nutriments », conclut Gabriella D’Andrea, oncologue au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, à New York, et auteure de cette analyse.

En octobre 2004, des chercheurs de Copenhague ont analysé les données de sept essais cliniques portant sur le bêtacarotène et le sélénium ainsi que sur les vitamines A, C et E chez des gens souffrant de cancers de l’œsophage, de l’estomac, du côlon, du pancréas ou du foie. Ces vitamines n’ont pas amélioré l’état des personnes atteintes. Pire : celles qui en avaient consommé affichaient un taux de mortalité de 6 % plus élevé que celles à qui on avait donné un placebo.

Vitamines B : mythes et réalité
On a beaucoup vanté les mérites des vitamines de ce groupe – incluant l’acide folique et les vitamines B12 et B6 – pour améliorer la santé du cœur. Elles abaisseraient le taux d’homocystéine, un acide aminé produit par l’organisme et associé aux maladies cardiovasculaires. Mais en mars dernier, deux études présentées à l’American College of Cardiology ont conclu que même si ces vitamines réduisent réellement le taux d’homocystéine elles ne diminuent pas pour autant le nombre d’infarctus. Pour le New England Journal of Medicine, la conclusion est sans équivoque : les vitamines du groupe B n’aident pas les patients aux prises avec des problèmes cardiovasculaires.

Heureusement, les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. Chez les femmes en âge de procréer, les suppléments d’acide folique ont réduit de façon significative les malformations du tube neural du fœtus, appelé à devenir le cerveau et la moelle épinière du nouveau-né. D’autre part, les personnes âgées éprouvent souvent de la difficulté à absorber la vitamine B12 des aliments. Des suppléments sont donc utiles lorsqu’on avance en âge.

Les bienfaits de la vitamine D
Les femmes qui prennent tous les jours un gramme de calcium avec 800 UI de vitamine D souffrent autant de fractures que celles qui n’en prennent pas, d’après une étude publiée en 2005 dans le British Medical Journal. Par contre, l’étude américaine Women’s Health Initiative indique que le calcium et la vitamine D pourraient diminuer les fractures de la hanche chez les femmes de plus de 60 ans. Il faut dire toutefois que les consommateurs de calcium accroissent de 17 % leur risque de contracter des calculs au rein…

Néanmoins, les personnes âgées, surtout celles dont la peau est sombre, qui s’exposent peu au soleil et ne boivent pas de lait peuvent souffrir de carence en vitamine D. On leur recommande donc un supplément de 800 UI, qui représenterait la dose la plus efficace.

La plupart des médecins suggèrent à leurs patients qui veulent prendre des suppléments de se procurer des multivitamines plutôt que de concocter leur propre mélange. Mais même cette recommandation est controversée en raison du manque de preuves. En août 2005, après avoir analysé l’effet des multivitamines sur la santé des personnes âgées, le British Medical Journal n’a noté aucune différence dans le nombre d’infections.

« Il faut tout de même rester critique face à ces études car plusieurs facteurs, comme le type de vitamine, l’âge et l’état de santé des participants, peuvent influencer leurs résultats, dit Marion Dietrich, du programme épidémiologique en nutrition de l’Université Tufts. Le seul fait qui soit démontré sans équivoque dans toutes les études, c’est qu’une bonne alimentation prévient la maladie. »

La plupart des médecins vous le diront : leurs patients utilisent les vitamines surtout pour pallier de mauvaises habitudes alimentaires et refusent de remettre en question leurs prétendus bienfaits. « Quoi qu’on dise, les gens tiennent mordicus à leurs suppléments, conclut le docteur Miller, du National Institute on Aging. Je ne sais pas ce qui les a convaincus, mais ce ne sont sûrement pas les preuves scientifiques ! »

Avec la permission du Wall Street Journal © 2006. Dow Jones & Company, Inc. Tous droits réservés.

Un expert québécois donne son avis
Inutiles, voire dangereux, les suppléments vitaminiques ? Le docteur Dominique Garrel, directeur du Département de nutrition de l’Université de Montréal, apporte quelques nuances. « Nous ne recommandons pas la prise de suppléments aux personnes dont la nutrition est équilibrée. Par contre, bien des gens – des hommes, surtout – ne consomment pas assez de fruits et de légumes. » Dans leur cas, les suppléments pourraient avoir un effet bénéfique.

L’étude française SU.VI.MAX, qui a suivi 13 000 personnes durant huit ans, a montré une diminution de 30 % des cancers chez les hommes qui en avaient consommé. « Pas chez les femmes, cependant, probablement parce que leur alimentation contient déjà suffisamment de fruits et de légumes », ajoute le docteur Garrel.

Mais il y a plus. Des découvertes récentes sur la vitamine D révèlent que la dose nécessaire pour éviter une carence n’est peut-être pas suffisante pour nous maintenir en santé. « Les doses minimales de vitamine D sont établies pour prévenir le rachitisme, une maladie des os, explique le médecin. Or, il en faut peu pour prévenir cette maladie. En revanche, on sait maintenant qu’un taux sanguin pauvre en vitamine D – même sans être carencé – est associé à l’apparition de maladies comme les cancers du côlon et du sein, le diabète de type 1 et l’arthrite rhumatoïde. »

Ce constat vaut-il pour d’autres vitamines et oligoéléments ? « Nous ne le savons pas encore. En attendant, je conseille de prendre des suppléments de vitamine D associée à du calcium » conclut le médecin. C.E.

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