La scène se déroule à la dernière cérémonie des Oscars. L’animateur, Jimmy Kimmel, taquine les vedettes dans la salle. « Vous êtes tellement beaux. Je ne peux pas m’empêcher de me demander : devrais-je aussi adopter l’Ozempic ? » Et voilà que ce médicament mis au point pour soigner le diabète de type 2 et réputé pour son effet coupe-faim se trouve de nouveau sous le feu des projecteurs, peu de temps après que l’homme d’affaires Elon Musk s’est vanté de lui devoir sa silhouette svelte.
« Depuis que des influenceurs américains en ont fait la publicité, l’Ozempic connaît un sort similaire à celui du Viagra : tous savent de quoi il s’agit », résume Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec.
Produit par la société danoise Novo Nordisk, ce médicament est un véritable phénomène en Amérique du Nord. Mais le battage médiatique et la controverse autour des gens qui le prennent pour des raisons esthétiques éclipsent un enjeu plus important. Si l’Ozempic ne doit pas être utilisé comme une panacée pour la perte de poids, il se révèle un outil intéressant pour soigner l’obésité, maladie chronique en progression exponentielle qui touche près d’un Canadien sur trois, selon Obésité Canada, organisme destiné à la prévention de ce problème de santé publique.
Que ce médicament soit d’abord réservé aux diabétiques a créé un malentendu. L’Ozempic est le nom commercial d’un traitement à base d’une molécule du nom de sémaglutide. Il se présente sous la forme d’une solution injectable et ne nécessite qu’une prise hebdomadaire. En novembre 2021, Santé Canada a approuvé l’utilisation d’un autre traitement à base de sémaglutide au dosage plus élevé, 2,4 mg, pour venir à bout de l’obésité. Il est commercialisé sous le nom de Wegovy, mais sa popularité aux États-Unis a causé une pénurie qui en prive toujours les Canadiens.
Les médecins prescrivent donc des doses plus élevées d’Ozempic, ce qui est justifié sur le plan clinique. Cette pratique ne crée pas, au Québec, de problème d’approvisionnement pour les diabétiques, assure Bertrand Bolduc.
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Émilie Vigneault-Simard, infirmière praticienne spécialisée, invite à ne pas diaboliser l’utilisation de l’Ozempic afin d’aider les personnes obèses. Elle cite une étude menée auprès de personnes dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 30 kg/m 2 : la prise de 2,4 mg de sémaglutide par semaine a entraîné une perte de poids substantielle chez le tiers des participants. Une autre étude publiée dans The New England Journal of Medicine fait état d’une perte pondérale moyenne de 15 % (15 kg) au terme de 68 semaines de traitement contre 2 % (3 kg) avec des changements au mode de vie.
Mais tout n’est pas si simple. Endocrinologue à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, Rémi Rabasa-Lhoret s’inquiète d’une utilisation dévoyée du sémaglutide, au-delà des indications de Santé Canada. « Il est pris n’importe comment, s’emporte-t-il. Les gens entrent au bureau et disent : “Je veux ce médicament-là.” On est dans une relation commerciale, où les enjeux de santé passent au second plan. »
Pour lui, l’Ozempic ne devrait pas être l’option privilégiée. « Il faut d’abord miser sur une alimentation équilibrée, l’activité physique et une aide psychologique. Si ces trois méthodes ne fonctionnent pas, dans certains cas le recours au médicament ou à la chirurgie bariatrique peut être envisagé, les deux pouvant être complémentaires », martèle-t-il.
Émilie Vigneault-Simard reconnaît qu’il y a des failles. « Il ne suffit évidemment pas de prescrire une injection en pensant que le problème sera réglé. Un accompagnement est nécessaire pour changer les habitudes de vie. Et c’est souvent là que le bât blesse, car nous n’avons pas les équipes pour appuyer les patients. »
Au manque d’effectifs s’ajoute l’insuffisance de formation offerte aux professionnels de la santé. Encore aujourd’hui, « le surplus de poids a tendance à être vu comme une maladie de personnes sans ressort, qui mangent trop et ne bougent pas assez. Il y a beaucoup de stigmatisation », reconnaît le Dr Rabasa-Lhoret.
Autre écueil : le remboursement des traitements. L’obésité n’étant pas reconnue comme une maladie au Québec (ni au Canada), le patient qui dépend du régime d’assurance public doit tout payer de sa poche. « Il y a pourtant un fort consensus dans les milieux scientifiques selon lequel l’obésité est une maladie chronique », regrette Émilie Vigneault-Simard.
Selon elle, le gouvernement devrait étudier l’utilisation du sémaglutide et de tous les autres traitements contre l’obésité approuvés pour venir en aide aux patients admissibles. Son souhait ? Une révision de la loi qui encadre le régime public d’assurance médicaments. Elle date de 1997 et ne tient pas compte des évolutions récentes de la recherche, notamment sur le sémaglutide, juge-t-elle.
Actuellement, les médecins ont peu d’options à offrir à leurs patients obèses, même lorsque leur vie en dépend. Émilie Vigneault-Simard et le Dr Rabasa-Lhoret citent en exemple ceux qui doivent perdre du poids en vue d’une greffe d’organe ou d’une opération, et pour qui l’Ozempic serait bénéfique. « La Régie de l’assurance maladie du Québec refuse systématiquement le remboursement, pour ne pas ouvrir de brèche », déplore l’endocrinologue.
Certaines assurances privées couvraient partiellement l’Ozempic, mais en raison du succès du médicament, elles ont reculé début juin, ce qui a laissé de nombreux patients sur le carreau. Le prix mensuel du traitement peut osciller entre 450 et 500 dollars. Le nombre d’ordonnances ne cesse toutefois d’augmenter et c’est encourageant, estime Émilie Vigneault-Simard. « Ça veut dire qu’on commence à s’occuper de l’obésité. »
Les assureurs font un mauvais calcul, selon elle, car la maladie a de nombreux coûts indirects : absentéisme, hospitalisations, risques de diabète de type 2, d’hypertension, d’accidents cardiovasculaires, de problèmes gynécologiques. « Si les compagnies d’assurance ne voient pas que ça leur revient plus cher, c’est qu’il y a un manque de compréhension des enjeux », précise-t-elle.
La prescription d’Ozempic pour des raisons esthétiques ne serait que marginale. Les médecins et les infirmières praticiennes spécialisées, seuls habilités à autoriser le traitement, sont soumis à des mécanismes d’inspection rigoureux de la part de leur ordre professionnel, rappelle Émilie Vigneault-Simard. « Les lignes directrices sont très claires. Il y a des critères d’IMC, de comorbidité. Les médecins ne recommanderont pas l’Ozempic pour que leurs patients entrent dans leur maillot de bain. De la complaisance, il y en a aussi à l’égard de patients qui ne sont pas obèses. Mais ce n’est pas parce qu’il y a de l’exagération qu’il faut arrêter de faire avancer le débat. »
Un petit coup de sonde sur la page Facebook Ozempic Québec permet de se faire une idée du profil des utilisateurs du médicament. La majorité sont des femmes qui souffrent d’obésité, mais aussi de problèmes de santé nécessitant une perte de poids (troubles thyroïdiens, prédiabète, etc.). Evelyne raconte comment l’Ozempic a changé sa vie. En juillet 2022, cette femme de 31 ans pesait 252 livres (114 kilos), pour une taille de 5,5 pieds (1,68 m). « Mon IMC était supérieur à 40. J’avais des fuites urinaires, comme une personne âgée. » Aujourd’hui, elle est sous la barre des 200 livres (91 kilos). « J’aime de plus en plus la femme que je deviens », se réjouit-elle.
D’autres, comme Julie, ont cessé la médication à cause de diarrhées et d’intenses douleurs abdominales. « J’avais réussi à perdre près de 5 livres. Mais dès que j’ai arrêté le traitement, l’appétit est revenu en double. J’ai gagné 15 livres ! »
Les témoignages montrent combien le suivi est à géométrie variable : des prises de sang tous les mois pour certaines, un accompagnement plus complet pour d’autres, et parfois... rien du tout.
La nutritionniste Claudia Houle reçoit en consultation beaucoup de patients qui s’administrent l’Ozempic. Elle observe une grande confusion. « Des médecins le prescrivent sans expliquer qu’il faut changer ses habitudes de vie. Et des patients refusent d’en prendre parce qu’ils se méfient. L’information manque ! »
Ouvrir un débat sur l’usage de ce médicament paraît d’autant plus essentiel qu’une nouvelle molécule traitant le diabète de type 2 doit bientôt arriver sur le marché canadien : le tirzépatide. Commercialisé sous le nom de Mounjaro, il devrait être approuvé pour traiter l’obésité. Il promet d’entraîner une perte de poids deux fois plus importante que l’Ozempic. « Le problème sera exactement le même », conclut le Dr Rabasa-Lhoret.
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