Psychologie

Le corps, ce bavard

Toutes nos émotions s’expriment, même malgré nous, dans nos gestes et nos attitudes, affirme Philippe Turchet, le spécialiste du langage non verbal. Nous devrions donc pouvoir décoder celles des autres ? Bien sûr. Utile, alors !

Le titre du nouveau livre de Philippe Turchet, Le langage universel du corps, laisse entendre que tous les humains ont les mêmes gestes pour exprimer les mêmes émotions.


 


La main se pose sur le visage lorsque la personne cherche à se cacher.

Châtelaine : Est-ce vraiment le cas ?
Philippe Turchet : Le langage non verbal tire son origine de réflexes vitaux, communs à toute l’humanité depuis sept millions d’années. Les humains se sont compris à travers leurs messages corporels bien avant l’apparition du langage verbal, qui date de seulement 35 000 ans.

Le bébé comprend ses proches avant de parler. Il reproduit les attitudes de sa mère, il en épouse les tonalités émotionnelles. Par exemple, il repère vite le côté pacifiant du geste qui consiste à pencher la tête sur le côté. Ce geste se retrouve dans toutes les cultures et, partout, les enfants le répètent par mimétisme. Dans mon livre, j’explique comment le langage non verbal se construit chez l’enfant autour des émotions, comment son développement se fait selon deux axes, l’hypertonique et l’hypotonique – si vous préférez, la détente et la crispation. Les humains de toutes les cultures passent par ces stades.


 


Le corps repose sur le coude gauche. L’index gauche clôt la bouche. Recherche de consensus.

Pourtant, on a l’impression que les gestes varient énormément d’une culture à l’autre : on distingue facilement un Italien d’un Américain par leurs gestes respectifs…
Les scientifiques évaluent, en général, à 5 % l’apport culturel dans les gestes, et c’est généreux ! Comme on trimballe tous le même bagage génétique, on aura tous les uns envers les autres (cela s’observe aussi chez les primates) les mêmes gestes d’ouverture ou de fermeture. Ce qui varie d’une culture à l’autre, c’est la fréquence et l’amplitude des gestes. Les Italiens ont le geste ample. Les Québécois ont une gestuelle « moyenne », similaire à celle des Français du sud de la France. Les Asiatiques font de tout petits gestes. Mais qu’il soit large ou restreint, au bout du compte, le geste demeure le même : on s’ouvre ou on se ferme, pour des raisons positives ou négatives. Et ça, c’est transculturel.

Les gestes vous ont-ils toujours fasciné ?
Tout petit, je voyais ma tante appuyer sur le bout de son nez quand elle ne trouvait pas la solution à ses mots croisés. J’ai dû trouver ce geste beau et le lui voler car on me dit que je le fais souvent. On a tous des gestes qui viennent du patrimoine gestuel familial. Mais c’est en cherchant un sujet de thèse en sciences politiques, il y a 25 ans, que j’ai lu des travaux passionnants sur le langage non verbal, la synergologie. Depuis, je m’y consacre entièrement. J’espère qu’un jour elle sera élevée au rang de science à part entière. Pour le moment, l’étude du non-verbal fait partie de la psychologie, qui l’a trop peu approfondie, à mon avis.


 



 

Le langage universel du corps, par Philippe Turchet, Les Éditions de l’Homme, 2009.


 

À lire (ou à relire !) : La synergologie – Pour comprendre son interlocuteur à travers sa gestuelle et Codes inconscients de la séduction, tous deux aux Éditions de l’Homme.


 


Le corps bascule à gauche et la personne clôt son œil gauche : elle ne veut pas évoquer ce sujet d’ordre personnel.

Votre méthode permet un décodage fascinant – et parfois très amusant – de la gestuelle. Concrètement, quels gestes suggérez-vous de faire ou de ne pas faire dans un entretien d’embauche ?
Mon conseil : rester naturelle. Plus on laisse aller, mieux c’est. Beaucoup de directeurs des ressources humaines suivent mes cours de formation, ici et en Europe. Je leur dis qu’entre un candidat parfaitement lisse et un autre manifestement anxieux, le second fera certainement un meilleur employé, plus motivé. Cela dit, sur le plan du non-verbal, les recettes toutes faites ne servent pas à grand-chose car trop d’éléments échappent au conscient. Ma méthode ne vise pas la maîtrise de sa propre gestuelle, c’est même tout le contraire. On doit cesser de se demander : « Comment dois-je me tenir ? Est-ce que je plais ? » et s’intéresser plutôt aux signaux non verbaux de l’autre. En essayant de mieux les comprendre, on peut ajuster son message afin que la communication passe mieux.

Qu’est-ce qui révèle le mieux une émotion dissimulée ?
Les fameuses microdémangeaisons ! Elles sont l’indice d’un irritant caché. En se grattant à un endroit précis (la tête pour marquer sa perplexité, par exemple), on se décontracte, mais en même temps on révèle sa préoccupation à l’interlocuteur. Je suis d’ailleurs en train de mettre au point un détecteur de mensonge nouveau genre, avec une caméra qui décode certains paramètres, par exemple le clignement des yeux.


 


L’homme est fier. Preuve que le croisement des bras n’est pas toujours un geste de fermeture !

On vous a vu sur LCN commenter les débats pendant les dernières élections. Que diriez-vous aux conseillers en image, les spin doctors ?
Les conseillers en image devraient dire aux hommes et aux femmes politiques de rester naturels ! Jean Charest a fait des progrès dans ce sens. Pauline Marois relève le menton en situation de stress ; c’est dommage, car ça alimente la critique qui veut qu’elle soit snob.

Certains de leurs gestes expliquent en partie pourquoi des personnalités politiques (Barack Obama ou René Lévesque) sont tant aimées par la population. J’ai, dans mon ordinateur, une banque de 15 000 images parmi lesquelles se trouve Point de mire, l’émission mythique qu’animait René Lévesque, alors jeune journaliste, en 1956. Dès la première séquence, il regarde la caméra, donc le spectateur, de l’œil gauche. Or, l’œil gauche est en relation avec l’hémisphère droit, celui de l’affectivité. Le message qu’il lance aux téléspectateurs, et qu’il renforce encore par des gestes de la main gauche alors qu’il est droitier, c’est qu’il est dans de bonnes dispositions émotionnelles.

Y a-t-il des gestes spécifiquement féminins ?
Si je n’insiste pas sur cet aspect, c’est qu’il y a des hommes qui ont une gestuelle très féminine, et des femmes qui ont une communication très masculine. C’est renforcé par nos modes de vie : les gestuelles féminines et masculines ont tendance à devenir similaires. Toutefois, il y a des gestes typiques qui perdurent. Chez les femmes, toutes les articulations qui ont tendance à se « casser » (cou, poignets, chevilles) sont plus mobiles. Les femmes penchent plus la tête que les hommes, plient davantage leurs poignets, font de petits ronds avec leurs chevilles. Elles battent aussi plus souvent des paupières, jouent davantage avec leurs cheveux. Ce sont là des gestes liés à la séduction féminine, mais on peut voir des hommes les faire aussi.

Posons l’hypothèse d’un usage généralisé du Botox ou du lifting… Vous seriez privé d’un précieux sujet d’étude, non ?
Le Botox et le lifting transforment en effet l’expression des émotions. Le Botox paralyse les traits et modifie l’empathie. Quant au lifting, on peut constater, sur des images sans le son, que les femmes passées sous le bistouri ont l’air agressives, furieuses même. Normal : le lifting tire la peau, comme la colère. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Je pense qu’un jour je vais écrire un livre traitant des effets de la chirurgie esthétique sur la communication…

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