Psychologie

Le pouvoir des prénoms

Zachari ou Sven ? Sarah ou Nesrine ? Classique ou original, le prénom aurait une influence certaine sur notre vie.


 

Dans un dîner entre amis, les convives s’attendrissent devant le ventre arrondi de Céline. Naturellement, la question arrive. « Avez-vous choisi un prénom ? » Fièrement, la future maman annonce : « Oui, ce sera Clotaire ! » Silence gêné. L’un des convives demande, timide : « Tu n’as pas peur que ce soit lourd à porter ? » Mais non, Céline est sûre de son choix : « C’est original et j’avais envie de lui donner un nom de roi. » Céline est persuadée d’offrir à son fils un destin à part, un destin royal. Clotaire devra démarrer dans la vie auréolé de sa couronne.

« Le prénom et le nom de famille sont les éléments le plus intimement, le plus durablement et le plus précocement attachés à notre personne », explique Nicolas Guéguen, auteur du livre Psychologie des prénoms (Éd. Dunod). « Notre prénom est le premier élément que nous apprenons, tout jeune, à associer à nous-même. Dès lors, on peut se demander à quel point prénoms et noms participent à la construction de notre identité, à la perception que nous avons de nous-même, à notre bien-être physique et psychologique. »

Joe-Ann Benoit, psychothérapeute familiale à Québec et auteure du livre Le prénom, tout un programme ! (Éditions Quebecor), confirme : « Les sonorités portées par le prénom peuvent contenir des jeux de mots qui, inconsciemment, vont jouer sur notre personnalité. » Par exemple, « Justin » évoque la justice et suggère ainsi l’équilibre et un sens marqué de la justice. « Emma » peut s’entendre « aime-moi ».

L’empreinte du prénom se manifesterait très tôt. Selon des études américaines (C. Anderson, 2004 et S.A. Bargh, 1999) citées dans le livre de Nicolas Guéguen, un bébé de quatre ou cinq mois sait déjà faire la différence entre son prénom et un autre mot qui lui ressemble. Le lien à son prénom est tellement profond qu’il semblerait que l’on y réagisse même en dormant.

Dès le plus jeune âge, il influence aussi le rapport aux autres. Toujours selon ces études américaines, les enfants à l’école tendent à privilégier les liens avec ceux qui ont un prénom plutôt commun. « C’est la théorie de la familiarité en psychologie. Les stimuli auxquels nous sommes les plus exposés nous plaisent plus », explique Nicolas Guéguen. Idem pour les adultes qui vont avoir une attitude plus sympathique envers un enfant qui a un prénom classique qu’avec celui qui en a un plus singulier. On peut concevoir que la multiplication de ces comportements risque d’avoir des répercussions sur la confiance en soi… D’ailleurs, aux États-Unis, il est prouvé que les enfants dotés de prénoms classiques tendent à mieux réussir à l’école et à obtenir plus de diplômes que leurs camarades aux petits noms sortant de l’ordinaire. Et pourtant, la plupart des futurs parents essaient d’échapper aux prénoms trop communs…

Cela dit, depuis une dizaine d’années, on remarque au Québec le retour en force de prénoms issus de la Bible, tels Zacharie, Samuel, Gabriel, Sarah et Léa. « C’est un désir collectif inconscient de retourner aux valeurs traditionnelles, analyse Joe-Ann Benoit, qui s’accompagne de la recherche d’une vie familiale réussie. » Une autre tendance émerge, remarque la psychothérapeute. Celle des prénoms inventés de toutes pièces ou à l’orthographe modifiée : Alexya, Rime, Osalys, Hrag, Padaba… « Je l’interprète comme un désir que l’enfant soit unique, original et distinct de la masse. On y décode la projection du futur. »

Le prénom symbolise en outre ce que les parents ont voulu transmettre à leurs enfants ou la manière dont ils envisagent leur avenir, ajoute Joe-Ann Benoit. « Il peut révéler des mémoires familiales, et ce, dans deux directions : vers le passé, il révèle parfois des bribes de l’histoire de la famille ; vers le futur, il évoque des projections du parent sur l’enfant. »

Le bambin qui a le prénom de son père ou de sa mère est souvent l’objet d’attentes plus élevées de ses parents que ne le sont ses frères et sœurs. Nicolas Guéguen fait ici référence à une étude réalisée au Canada dans les années 1970 : l’enfant deviendrait alors le centre de l’orgueil familial ou bien, en cas de déception, subirait plus souvent des mauvais traitements. L’auteur de l’étude note que 24 % des enfants battus portaient le prénom de l’un ou l’autre des parents.

Y a-t-il des prénoms à éviter impérativement ? « De manière générale, attention aux jeux de mots avec le nom de famille (Pierre-Roch Demarbre…) ou aux prénoms qui exposent à la dérision (Aladdin, Bambi…) dit Joe-Ann Benoit. » Et puis, ce n’est pas nécessairement une bonne idée qu’un enfant hérite du prénom d’un parent décédé qu’on pleure encore. L’enfant peut se retrouver ainsi en « mission » de remplacer le disparu. « Ceci est encore plus vrai quand on donne le prénom d’un enfant décédé à un bébé qui naît immédiatement après le drame, ajoute madame Benoit. Cette situation de remplacement nuit à la prise d’identité de l’enfant vivant. » Souvenons-nous du destin tragique du peintre Van Gogh : ne partageait-il pas avec son frère disparu le prénom de Vincent, mais aussi le jour de naissance ?

Le webmestre Jean-Claude Huriaux parcourt les cimetières du Québec depuis près de 30 ans pour répertorier les prénoms anciens. Résultat : 20 000 prénoms à découvrir pour tous les futurs parents sur le Portail des prénoms de la francophonie.

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