Psychologie

Mieux vivre un deuil

À notre époque où santé et jeunesse sont valorisées plus que tout, la mort est devenue taboue. Nous nions notre douleur, croyant en guérir plus vite. Grave erreur.

« Arrête de brailler ! Tourne la page ! La vie continue ! » Autant de petites phrases assassines reçues en plein cœur par France Petit, technicienne en administration dans un centre de recherche situé à Québec.

France Petit a perdu sa mère il y a 10 ans ; son père a suivi, 5 ans plus tard. Tous deux sont morts subitement. Pour leur fille unique alors dans la trentaine, ils étaient des piliers. Elle leur avait imaginé une longue vieillesse. Après la mort de sa mère, son père s’est réfugié dans le silence. Quand il est mort à son tour, l’entourage de France l’a enjointe plusieurs fois de sécher ses larmes et d’oublier. « J’ai alors essayé de compenser cette perte par le travail. Au bureau, je n’osais pas évoquer ma peine. Mis à part le fait que j’avais hérité de la petite maison de mes parents, mon histoire intéressait peu de gens. J’étais seule dans la foule. De nos jours, les grandes familles sont rares ; et on n’a plus guère le loisir de se bâtir un large réseau social. Ne sachant pas comment m’aborder, mes amies me fuyaient. Dans les soupers de filles, on parle volontiers du sida, des MTS, de sexe, de pornographie… Mais de la mort, non », observe la jeune femme, qui s’est finalement décidée à consulter le Programme d’aide aux employés de l’organisme pour lequel elle travaillait. Par la suite, elle a joint le groupe d’entraide L’Hibiscus, à Québec, où elle s’est enfin sentie comprise. « Lors de la première rencontre, j’ai pleuré sans arrêt, tellement j’avais refoulé d’émotions ! »

La chroniqueuse et animatrice Dominique Bertrand a vécu la mort de son grand amour, foudroyé par une crise cardiaque il y a cinq ans. Cet événement lui a fait prendre conscience que, « socialement, on n’a pas le droit de prendre le temps de faire son deuil ». Elle s’insurge contre le fait qu’on s’attende à voir une femme jeune ou un homme dans la force de l’âge combler le vide au plus vite. Mais Dominique sait d’expérience que, lorsqu’on s’est investi affectivement dans une relation, il faut plus que trois mois pour même songer à se départir de la veste de son amant disparu ! « J’ai passé des heures, assise sur le bord du lit, à attendre que Jean sorte de la douche. J’ai dormi pendant des semaines dans les draps imprégnés de son odeur. J’ai conservé un an ses cendres. Puis, lentement, les choses se sont remises en place. Il faut vraiment se permettre de pleurer tout son soûl et de ne rien précipiter, si on veut s’en sortir et répondre de nouveau à l’appel de la vie. Sinon, on risque gros. Moi, en tout cas, j’ai frôlé la folie. Sans une aide psychologique qui m’a permis d’exprimer ma peine et de comprendre mes réactions, j’aurais définitivement craqué. »

Dans son livre intitulé Perdre sans se perdre (Le Dauphin Blanc, 2004), la thérapeute du deuil Suzanne Bernard décrit les principales « fausses croyances » entourant le deuil. Selon elle et plusieurs autres – dont le prêtre et psychologue Jean Monbourquette et la regrettée psychiatre américaine Elisabeth Kübler-Ross, spécialistes du deuil reconnus internationalement –, on est dans l’erreur lorsqu’on croit que le temps seul arrange les choses.

Il faut aider le temps à nous aider. Demeurer passif en attendant que la douleur passe ne fait que retarder la guérison du cœur. On doit s’occuper de sa blessure, chercher du soutien, partager son désarroi. L’auteure indique aussi les attitudes à éviter pour ne pas nuire au cheminement des personnes endeuillées. Les inciter à cesser de pleurer, à tourner la page, à taire leur souffrance ou à la comparer à pire ne les aidera pas. Suzanne Bernard précise que les morts particulièrement traumatisantes – suicides, personnes disparues sans laisser de traces – nécessitent un soutien professionnel, sans quoi le deuil risque de devenir pathologique.

Jean Hertzschuch, informaticien à Montréal, n’a jamais retrouvé le corps de son père. Il y a un an et demi, ce dernier est disparu en forêt dans la région de Montebello où il était allé cueillir des champignons en solitaire. « J’ai énormément de difficulté à traverser ce deuil. J’adorais mon père ! Quelques jours avant cette excursion fatale, nous avions grimpé ensemble le mont Saint-Hilaire. Même si, à 75 ans, mon père était en pleine forme, je me sens coupable de l’avoir entraîné dans cette ascension. Peut-être a-t-il ressenti une faiblesse par la suite, qui l’aura amené à paniquer en forêt et à s’y perdre ? » Petit à petit, l’idée de consulter gagne Jean Hertzschuch, toujours hanté par cette disparition. D’autant plus que sa copine de l’époque a fini par le quitter. Expliquant avoir traîné son désarroi en longueur avec pour résultat que ses proches l’ont souvent ramassé en miettes, l’homme de 46 ans dit percevoir que son accablement le rend « lourd » pour les autres. « Parce que je sais que c’est ce qu’on veut entendre, je répète que j’ai tourné la page. Mais c’est faux. Je n’arrive pas à vivre en paix. Je commence à penser que, même en l’absence du corps, nous aurions dû organiser un rituel de rassemblement. Ça m’aurait aidé à apaiser ma peine et mon sentiment de culpabilité. »

Issus de la nuit des temps et dictés par les croyances des diverses civilisations, les rituels antiques avaient comme fonction d’apaiser l’angoisse de la perte en préparant la personne décédée à entreprendre son voyage au Royaume des morts. Chez nous, à l’époque de nos ancêtres, c’étaient les femmes de la maison qui savaient comment laver et parer le cadavre. Elles invitaient ensuite les proches du mort, qui reposait au salon entre les bougies et les fleurs, à venir lui adresser un dernier adieu ; ce cérémonial pouvait durer une semaine. Selon l’anthropologue Bernard Arcand, professeur titulaire à l’Université Laval, les rites mortuaires accomplissaient un devoir de mémoire, certes, mais aussi d’explication et de cohérence. Au même titre que la naissance, le mariage ou les anniversaires familiaux, la mort et le deuil faisaient alors partie intégrante de la vie et tissaient des liens particuliers à travers lesquels s’exprimait la solidarité de la communauté.

Ce temps est révolu. Aujourd’hui, le deuil crée même souvent le vide autour de soi. « Toute vie a une fin. Comment rendre acceptable cette évidence ? Il y a mille réponses à cette question universelle. Mais, dans nos sociétés postmodernes, nous avons fait la gaffe épouvantable de faire comme si la mort n’existait pas. Tout est organisé pour que nous la cachions sous le tapis », constate Bernard Arcand. Niée, occultée, aseptisée, la mort, selon lui, a remplacé le sexe comme principal tabou.

Évoquer la mort à travers nos deuils, c’est nécessairement parler de la vieillesse et de notre finitude. Un sujet presque obscène alors que pullulent les fontaines de Jouvence dans les petits pots et dans les salles d’opération. Mal à l’aise devant une tombe, nous désertons les cimetières et les salons funéraires, préférant de plus en plus la crémation pour éviter un trop grand investissement émotif. Nous avons peu de temps à consacrer au deuil, dont l’expression, de toute façon, n’est pas la bienvenue ! De l’avis de Bernard Arcand, nous sommes déstabilisés  : pris entre les anciens rituels, qui remplissaient très bien leur fonction, et ceux que nous inventons pour rendre la mort plus supportable, nous devons aussi composer avec les attentes d’une société qui roule à la vitesse grand V ! « Les rituels spontanés, qui célèbrent davantage la vie que la mort, attirent sans doute la sympathie des gens. Ils peuvent donner lieu à des cérémonies émouvantes et consolatrices. Mais la symbolique du rituel funéraire est autrement plus profonde lorsqu’il sous-tend un partage de sens autour d’une réalité terrible que nous devrons tous assumer, et qui s’appelle la mort. »

Devons-nous pour autant nous en tenir aux rituels religieux ? Non, répond Colette Gendron, professeure émérite à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval et coauteure de La mort, condition de la vie (PUL). Dans une entrevue livrée à la Revue Notre-Dame en mars 2003, elle avançait que nous vivons actuellement une période de transition, de recherche quant à la façon d’aborder la mort. Qu’importe le rituel choisi, disait-elle, les survivants doivent y trouver la force de traverser leur deuil.

La cinéaste Lise Bonenfant a perdu une petite fille à la naissance, en juillet 1981. Vingt ans plus tard, elle a failli se suicider : la blessure était restée béante. Bien sûr, elle était déjà allée en thérapie. Elle s’était aussi forgé une mince carapace afin d’encaisser des réflexions du genre : « T’es quand même chanceuse de ne pas l’avoir connue ! » Alors que c’est de là, justement, que lui venait le mal-être qui l’a amenée à vouloir lancer sa voiture dans un ravin. « Emmilou a vécu une petite demi-heure alors que je me débattais entre la vie et la mort. On l’a enterrée à toute vitesse, sans que j’aie pu la voir. Ça m’a brisé le cœur parce que je suis croyante. Un rituel religieux aurait sans doute permis d’apaiser la culpabilité qui m’a étouffée par la suite. À mon retour à la maison, on avait vidé sa chambre. Il ne m’est rien resté de mon enfant que son acte de naissance et son acte de décès. Mon couple a éclaté. Vingt ans durant, je suis demeurée bras ouverts sur le vide. Chaque été, je faisais une dépression. Puis une rencontre providentielle avec une psychiatre m’a fait comprendre que je souffrais d’un deuil mal vécu. » Grâce à l’accueil et à l’écoute des membres de L’Hibiscus, Lise Bonenfant a pu concrétiser un rituel de deuil qui l’a apaisée. Elle a écrit une lettre d’amour à Emmilou, avant de la brûler et d’en enterrer les cendres dans une urne contenant aussi celles de sa mère. « J’ai pu enfin refermer les bras sur ma petite fille. »

Le deuil se complique à partir du moment où une personne se trouve bloquée à une étape ou l’autre du processus. Ainsi, Jeanne, éducatrice à la retraite de la région de Québec – qui préfère témoigner anonymement –, a mis 50 ans à comprendre qu’elle avait refoulé le terrible manque causé par la mort de sa mère alors qu’elle était âgée de 13 ans. Pendant toutes ces années, elle a vécu « assise entre deux chaises ». Il lui aura fallu la perte d’un autre être cher, et qu’elle porte encore la douleur en elle sans oser l’exprimer, pour saisir qu’elle n’avait jamais assumé son premier deuil. « Peu de temps après la mort de maman, j’ai souffert d’une mystérieuse douleur à la jambe. Je somatisais le deuil… de mon deuil. Il y avait du boulot à la maison. Nous étions 11 enfants. » Une telle réaction n’est pas rare, surtout dans la société actuelle, qui favorise le déni de la souffrance. La thérapeute du deuil Suzanne Bernard dit avoir rencontré plusieurs personnes chez qui les deuils retardés, non complétés ou carrément bloqués se sont traduits par des problèmes d’ordre physique ou psychique dont elles ne voient pas l’origine. « Comme aime le répéter Jean Monbourquette : « Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime » ».

« Le deuil irrésolu est horriblement destructeur », écrit Elisabeth Kübler-Ross. Les deuils mal vécus, c’est un fait, causent de sournois ravages et ressurgissent des années plus tard. D’où l’importance de bien comprendre les étapes du deuil. Dans un monde obsédé par le bonheur, où chacun en suce compulsivement le moindre atome égaré, patience, disponibilité, écoute et compassion sont l’apanage d’une modeste minorité. Heureusement, les groupes d’entraide contribuent à rompre la solitude : on y partage son expérience avec d’autres qui en ont déjà parcouru les méandres. On parle généralement du deuil comme d’un processus en plusieurs étapes : du choc à l’acceptation, on passe par la négation, la colère, la dépression et la guérison. Si la durée de ces « paliers de libération » varie selon chacun, le simple fait de pouvoir nommer ces émotions permet à tous de les reconnaître afin de les assumer. Puis vient un jour où la sérénité succède à la révolte.

Puissante compassion
La traversée d’un deuil causé par la perte d’un être cher ne laisse personne indemne. Pour l’athée comme pour le croyant, cette douleur donne l’occasion de s’ouvrir à soi-même et aux autres. « Je n’aurais pas cru trouver autant de chagrin dans le cœur d’un humain », nous a confié François Baby, ex-professeur à l’Université Laval et ex-journaliste qui a perdu son fils et son épouse. « … Ni autant de force pour y faire face ! » Tandis que Lise Bonenfant souhaite ardemment que sa souffrance ne soit pas inutile, Dominique Bertrand reconnaît être devenue « une meilleure personne, plus généreuse et davantage à l’écoute des autres ». Jean Hertzschuch se dit bouleversé par la puissance de la compassion, « un sourire, un coup de fil, et déjà nous nous sentons moins seul », une prise de conscience qu’il a reçue comme un merveilleux cadeau de son père qui, dit-il, aimait profondément les gens. Ce qui vient confirmer la véracité de ces quelques mots de l’écrivaine Christiane Singer : « Nous sommes dans une société qui veut rester dans le temps des fleurs. Mais, si la fleur ne tombe pas, il n’y aura pas de fruit. »

« Autrefois, le cimetière était une référence. S’il cesse d’être d’usage commun dans une société, aussi bien terminer sa vie dans un bocal enterré au fond de sa cour ! » estime l’anthropologue Bernard Arcand. Il raconte : « Le 2 novembre, jour des Morts, nous allions au cimetière. En lisant les noms des grands-parents et des arrière-grands-parents sur le monument funéraire, nous prenions conscience de nos origines. J’ai été chanceux de vivre dans le village de Deschambault, près de Québec, où nous en sommes à la 10e génération d’Arcand. Je peux retracer mes ancêtres à partir du XVIIe siècle. Ça, ça vous situe dans l’existence ! Déjà, à cinq ou six ans, vous savez que vous n’êtes pas éternel et qu’un jour des gens viendront déposer des fleurs sur votre tombe. Du coup, la vie commence à faire sens. Je sais que je suis seulement de passage. Mais le vertige que peut provoquer cette idée est compensé par la certitude que j’appartiens à cette suite des générations. J’ai ma place dans le cosmos. Voilà qui est rassurant face à l’actuelle idée reçue que la mort est une erreur de la médecine, un échec du système de santé, une chose intolérable et impensable. »

Faut-il parler de la mort aux enfants ?
Oui, nous dit Louise Aubé, psychologue et consultante professionnelle. « Surtout lorsqu’un deuil les touche de près. Il est bon de les rassurer en leur disant qu’ils sont bien entourés et que les membres de leur famille ne mourront probablement pas avant d’être vieux. »

• Amenez l’enfant à livrer ses émotions par la parole, le dessin ou toute autre forme d’expression.
• Soyez attentive à ses comportements : perte de sommeil ou d’appétit, agressivité, échecs scolaires…
• Permettez-lui d’assister aux funérailles, mais ne l’y forcez jamais.
• Acceptez qu’il dépose un objet personnel dans la tombe.
• Offrez-lui des photos ou des objets de la personne disparue.
• Évitez de comparer la mort au sommeil : il pourrait dès lors avoir peur d’aller au lit.
• En cas de suicide, de meurtre ou de mort violente ou sordide, n’entrez pas dans les détails de la mort.

• Basé à Québec, le groupe de soutien aux personnes en deuil L’Hibiscus a été mis sur pied, en 1993, par Carmen Perron et Andrée Lafontaine. L’organisme ouvre ses portes à tous ceux qui ont besoin d’aide. Grâce à L’Hibiscus (qui en était à sa 114e rencontre de partage en juin dernier), des centaines de personnes ont trouvé courage, espoir et consolation.
Tél. : (418) 688-3918.

• Le Répertoire des ressources en suivi de deuil au Québec, lancé cet été par les responsables de la toute nouvelle Maison Jean Monbourquette, à Montréal, contient une foule d’informations sur la plupart des ressources existantes. Une ligne d’écoute est déjà en fonction. (514) 523-3596, 1 888 423-3596, infos@maisonmonbourquette.com.

Des sites à explorer
La Gentiane Deuil – Entraide
CheminementPersonnel.com
Entraide-Deuil de l’Outaouais
Solidarité – Deuil d’enfant

Suggestions de livres

Pour les adultes :
• Marie-Hélène Encrevé-Lambert, La mort – Des repères pour bien vivre avec vos enfants, Coll. « La vie de famille », Bayard, 1999.
• Elisabeth Kübler-Ross, La mort et l’enfant, Éditions du Rocher, 1994.
• Lise Thouin, De l’autre côté des choses. L’itinéraire bouleversant d’une passeuse d’âme, Libre Expression, 1996.

À lire aux enfants :
• Paul Verrept, Tu me manques, Pastel-Ecole Des Loisirs, 1999.
• Micheline Motte, Frédérick Mansot, Tu seras toujours avec nous, Calinou, Mame, 1993.
• Anne Plante, Histoire de Josée – Pour expliquer la mort à un enfant qui va perdre un parent, Éditions Paulines, 1992.
• Robert Munsch, Je t’aimerai toujours, Éditions Firefly, 1989.

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