Psychologie

Non à la dépression

Elle guette surtout les femmes et fait des ravages sur leur santé mentale et physique. Tout ce qu’il faut savoir sur le mal de l’heure.

« On peut prévenir la dépression », affirme Marie-Josée Filteau, psychiatre clinicienne et chercheuse au Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard. Et c’est tant mieux car depuis 1994 le nombre de consultations médicales pour cause de dépression a presque doublé au Canada. « Je répète à mes patients que cette maladie est sérieuse, mais que la médecine peut les aider même quand ils ont perdu espoir. Et j’insiste également sur le fait qu’ils ont, eux aussi, le pouvoir d’améliorer leur santé mentale. » Comment ? Voici ses conseils.

La vie d’aujourd’hui est-elle si difficile ?
Il y a 100 ans, la vie n’était certainement pas plus facile, mais elle se déroulait plus lentement, à un rythme sans doute mieux adapté à celui de l’être humain. De nos jours, tout va très vite. Au lieu d’améliorer nos conditions de vie, les nouvelles technologies ne font qu’en augmenter la cadence. Et les chercheurs sont de plus en plus convaincus de l’existence d’un lien entre le stress chronique et la dépression.

Comment l’expliquer ?
À la longue, le stress inhiberait le gène responsable du renouvellement des cellules du cerveau. Pourtant, le stress peut être positif ; il peut nous stimuler, nous donner le goût de travailler fort pour nous relaxer ensuite. Mais certaines personnes, comme les perfectionnistes et les anxieux, éprouvent de la difficulté à se détendre. Or, si on ne se relaxe jamais, le taux de cortisol – une hormone de stress – demeure constamment élevé, ce qui entraîne à long terme, dans la chimie du cerveau, des perturbations qui pourraient conduire à la dépression.

Certaines personnes sont-elles plus vulnérables que d’autres ?
Oui, par exemple à cause de leur bagage génétique. Les enfants dont les parents biologiques étaient déprimés ont davantage de chances de le devenir à leur tour, même si leurs parents adoptifs ne sont pas dépressifs. Des expériences pénibles, comme la perte d’un parent, des abus sexuels, physiques ou émotionnels dans l’enfance, peuvent aussi nous rendre plus sensibles à cette maladie. Les femmes, entre 12 et 65 ans, sont également plutôt vulnérables.

Pourquoi les femmes ?
D’une part, à cause des fluctuations hormonales. Entre la puberté et la fin de la ménopause, les femmes courent un risque deux fois plus élevé que les hommes de souffrir de dépression. Par exemple, la chute des oestrogènes après l’accouchement peut nous porter à la déprime. Et c’est lors des bouleversements hormonaux de la préménopause que le plus grand nombre de nouvelles dépressions apparaissent chez les femmes. Mais des facteurs sociaux entrent aussi en jeu. La naissance d’un bébé chamboule la vie des femmes, qui n’ont plus le soutien familial d’autrefois. Celles dans la quarantaine, pour leur part, sont aux prises avec la triple tâche : le boulot, les enfants et les parents vieillissants – les leurs et ceux de leur conjoint ! Elles ne gagnent encore que 70 % du salaire des hommes et occupent plus souvent qu’eux des emplois précaires.

Les hormones mâles influencent-elles l’humeur des hommes ?
Près du tiers des hommes vivent une andropause, une forme de « ménopause » masculine provoquée par une baisse de la testostérone. Conséquence : le niveau d’énergie diminue, de même que la force musculaire et la capacité érectile. Ce qui est surprenant, toutefois, c’est que la plupart des hommes en andropause ont déjà souffert d’une dépression. On ignore si c’est la chute de l’hormone mâle qui a causé la maladie, ou l’inverse. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on prescrit à ces hommes un supplément de testostérone, en plus des antidépresseurs, leur état s’améliore.

La dépression a-t-elle un impact sur la santé physique ?
Absolument. Par exemple, la dépression est nocive pour le coeur. Plusieurs chercheurs ont prouvé que ce trouble de l’humeur augmente les risques de souffrir d’une crise cardiaque, même chez des gens en bonne santé. La dépression augmenterait la viscosité du sang et le risque de caillots. Cette affection perturbe aussi le rythme cardiaque et augmente les risques de mourir d’arythmie dans les six mois qui suivent un infarctus. Plusieurs études, dont une réalisée à l’Institut de cardiologie de Montréal, l’ont démontré.

Comment est-ce possible ?
La dépression influe sur tout l’organisme. Par exemple, elle réduit notre immunité de moitié, nous exposant d’autant aux rhumes et aux infections. De plus, des études sérieuses ont montré qu’elle diminue la densité des os ! Mais ces effets se produisent après des mois, voire des années de dépression non soignée. Voilà pourquoi il ne faut pas tarder à consulter un médecin si des symptômes comme la tristesse ou des idées noires durent depuis quelques semaines.

Vous croyez aux bienfaits de l’exercice…
De plus en plus d’études confirment que l’exercice prévient ou guérit la dépression légère. Mais l’activité physique est également bénéfique pour la dépression majeure. Le fait de bouger permet à l’organisme de libérer des endorphines. Ces petites molécules sécrétées par le cerveau diminuent le stress, améliorent l’humeur et augmentent la sensation de plaisir. Des chercheurs ont découvert que l’exercice protégeait contre la peur et le désespoir, en plus d’accroître le nombre de cellules K, les cellules tueuses appartenant au système immunitaire. Autrement dit, être actif permet de freiner les effets négatifs de la dépression sur le corps…

Pourquoi sommes-nous le plus sujettes à la déprime durant l’hiver ?
Le manque de lumière diminue notre taux de sérotonine, un neurotransmetteur du cerveau qui joue un rôle important dans la régulation de l’humeur. C’est pourquoi durant les mois de novembre, décembre et janvier, 50 % des gens ressentent une baisse d’énergie, un goût prononcé pour le sucre et une envie marquée de dormir. Pour élever le taux de sérotonine durant l’hiver, profitez des jours ensoleillés pour aller à l’extérieur. Pendant quelques minutes, ne portez pas de verres fumés ; la lumière, en pénétrant dans l’oeil, favorise la production de sérotonine. Augmentez la force des ampoules dans la maison ; la lumière artificielle stimule aussi la fabrication des précieux neurotransmetteurs.

Que pensez-vous des oméga-3 ?
Dans les pays où l’on mange beaucoup de poisson, comme en Islande, le taux de dépression est beaucoup plus bas que dans les régions où l’on en mange peu. Durant les 100 dernières années, les habitudes alimentaires des Nord-Américains se sont dégradées de deux façons : d’une part, nous mangeons moins de poisson et, d’autre part, nous consommons plus de gras saturés, contenus surtout dans le gras animal. Or, les gras saturés freinent la régénération des cellules du cerveau. Par contre, les oméga-3, qui leur font défaut, sont essentiels à la fabrication des membranes des cellules. La solution est évidente : diminuez les gras saturés et mangez du poisson deux ou trois fois par semaine. Si vous décidez de consommer des gélules parce que vous n’aimez pas le poisson, prenez-en pendant trois mois, puis arrêtez un mois avant de reprendre votre consommation. Les experts ignorent toujours quels sont les effets à long terme des capsules d’huile de poisson…

Que pouvons-nous faire d’autre ?
Apprendre à dire non. Les femmes ont tendance à se sentir responsables de tout. Or, pour survivre dans le monde d’aujourd’hui, il faut savoir fixer des limites. L’impression d’être constamment débordée et de ne pas avoir de contrôle sur son existence augmente les risques de dépression. Ce ne sont pas les faibles qui dépriment, mais les hyperperformantes qui ne disent jamais non !

Un conseil : tous les jours, mettez par écrit cinq tâches à accomplir au cours de la journée. Puis répartissez-les entre les membres de la famille. Les femmes croient gagner du temps en faisant tout elles-mêmes. Elles se trompent, car moins on exige des autres, moins ils en font. Le même principe s’applique au bureau : déléguez. Et si votre patron vous demande d’effectuer un travail, demandez-lui de vous indiquer ce qui est prioritaire. Vous ne pouvez pas tout faire.

Un dernier point : ne tolérez jamais l’intolérable. Ni violence, ni humiliation, ni abus d’aucune sorte.

Le perfectionnisme peut-il conduire à la dépression ?
On vit dans un monde de performance, où l’image a beaucoup d’importance. Mon conseil : apprenez à être vous-même. Découvrez vos talents et exploitez-les au lieu de vous conformer aux attentes des autres. Certains de mes patients ont eu des parents très exigeants, qui leur disaient « Tu aurais pu faire mieux » même s’ils obtenaient des notes de 90 % à l’école. Alors, ils ont appris à se juger sévèrement. Soyez indulgent avec vous-même. Personne n’est parfait.

Un autre conseil : demandez-vous si vous aimez la vie que vous menez. Occupez-vous l’emploi dont vous rêviez ? À force d’essayer de faire plaisir aux autres, on finit par ne plus voir ses véritables aspirations.

Vous dites que le ressentiment et la colère bouchent les artères…
Oui, et des chercheurs l’ont démontré. Je recommande donc à mes patients de cultiver l’optimisme et la compassion plutôt que le ressentiment. Une étude néerlandaise, menée auprès de 941 personnes pendant sept ans, révèle que les optimistes vivent plus longtemps et meurent moins de maladies du coeur que les autres. Fuyez les pessimistes et les êtres toxiques, toujours en train de juger et de critiquer les autres. Fréquentez des gens qui aiment la vie et qui ont des projets…

La spiritualité protège-t-elle de la dépression ?
Les gens qui cultivent une certaine forme de spiritualité vont rarement sombrer dans le désespoir. Ils ont tendance à croire que, s’ils ont besoin d’aide, ils vont en trouver. Si l’on n’est pas croyant, on peut pratiquer la méditation, le yoga ou le taï chi pour mobiliser ses forces intérieures. La prière et la méditation permettent de ralentir le coeur et l’activité cérébrale, ce qui est bénéfique pour la santé…

Si malgré tout la dépression nous frappe, que recommandez-vous ?
Je présente toujours plusieurs options à mes patients car les meilleurs traitements sont ceux qu’on n’abandonne pas en cours de route. Pour la dépression modérée ou sévère, c’est la combinaison d’antidépresseurs et de psychothérapie qui est le plus efficace. Je conseille aussi à mes patients de limiter leur consommation d’alcool – un dépresseur du système nerveux –, de faire de l’exercice et de prendre des oméga-3.

Pour une première dépression, les antidépresseurs doivent être pris jusqu’à six mois après la disparition des symptômes. Pour une deuxième, jusqu’à un an. Pour une troisième, on les prescrit à long terme. Il est rare qu’un antidépresseur n’agisse pas. Mais si c’est le cas, ou si le patient éprouve trop d’effets secondaires – prise de poids, constipation, bouche sèche, etc. –, il peut changer d’antidépresseur.

15 conseils bons pour le moral

1. Ralentissez.
2. Faites une chose à la fois.
3. Apprenez à planifier.
4. Apprenez à déléguer.
5. Apprenez à dire non.
6. Faites de l’exercice régulièrement.
7. Ne ruminez pas : dites ce que vous avez à dire.
8. Évitez le perfectionnisme.
9. Apprenez à reconnaître les signaux physiques du stress.
10. Prenez du temps pour vous relaxer tous les jours.
11. Éloignez-vous des colériques et des pessimistes.
12. Soyez vous-même, acceptez-vous telle que vous êtes : votre estime personnelle ne doit pas dépendre de l’avis des autres.
13. Ne croyez pas que tout repose sur vous : ne prenez que votre part de responsabilité.
14. Demandez-vous régulièrement si vous faites ce dont vous rêviez.
15. Cultivez une certaine forme de spiritualité.

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