Psychologie

Se taire pour mieux grandir

Tout humain a un besoin essentiel d’intimité.

Dans son livre Éloge du secret (Hachette Littérature), le docteur Pierre Lévy-Soussan affirme que tout dire n’est pas toujours libérateur.

Châtelaine : À l’heure où de plus en plus de gens se livrent dans des blogues, des magazines, à la télé, pourquoi écrire un livre sur le secret ?

Pierre Lévy-Soussan : Dans ma pratique auprès des enfants et des adultes, j’ai constaté les dégâts et les dangers qu’il y a à tout dire à tout le monde. Puis, j’ai vu qu’on pouvait établir des parallèles entre ce que j’observais chez mes patients et ce qui se passait dans la société, où on assiste à la disparition de l’espace du secret au nom de l’exigence de transparence absolue.

Pourquoi le secret est-il à ce point fondamental ?
Sans lui, l’enfant ne peut pas se construire. Il y a toujours une facette de la personnalité en relation avec les autres et une facette en relation avec soi-même : cette dernière doit se bâtir à l’abri des regards. Trop nous révéler peut nous empêcher d’évoluer, de grandir sereinement. Nous avons besoin de cacher nos pensées profondes à autrui pour aller à la découverte des nôtres.

Entre amoureux, l’échange de secrets serait, dites-vous, presque plus fort que l’intimité sexuelle…
Le partage des secrets touche à l’intimité de l’âme. C’est pourquoi il s’agit de quelque chose d’aussi fort que l’intimité sexuelle. L’échange de secrets dans le couple rend la relation plus intense. Par contre, si on n’est pas avec la bonne personne, on souffrira de cette intimité.

Comment savoir si notre partenaire est digne de recevoir notre secret ?
Il n’y a aucun moyen de le savoir. Toute relation comporte ce risque – mais c’est aussi ce qui fait son charme.

Vous dénoncez les téléréalités dans lesquelles des personnes déballent leur vie privée.
Actuellement, on a tendance à penser qu’il suffit d’étaler sa vie au monde entier pour aller mieux. Mais c’est beaucoup plus complexe que cela ! La parole n’est thérapeutique que si elle fait partie d’un travail global sur soi. En racontant sans distinction des choses intimes, certaines personnes se sont retrouvées prisonnières de l’image qu’elles avaient donnée d’elles-mêmes au moment de leur confession. Dans ces émissions témoignages, les faits sont lancés dans leur réalité brute, sans analyse, sans interprètes (spécialistes, journalistes…). On veut tout montrer, tout dire, sous prétexte de transparence sans tenter d’apporter un sens à tout cela.

Pourquoi les secrets des autres suscitent-ils une telle fascination ?
On a une fascination pour les autres en général. L’être humain est tellement mystérieux qu’il pique toujours la curiosité de ses semblables. Mais la divulgation intégrale des secrets des autres ne répond pas adéquatement à cette curiosité. Aucun individu ne se résume à une identité exhibée.

Vous dites que des parents qui se séparent ne doivent pas raconter les détails du divorce à leurs enfants…
Les parents, qu’ils soient ensemble ou en instance de divorce, doivent se ménager une zone d’intimité et ne pas tout révéler à leurs enfants. Dans les cas de séparation, il y a crise, donc un grand risque que les parents en conflit utilisent les enfants pour se faire du mal l’un à l’autre. Il est encore plus crucial dans ces situations-là de ne pas raconter aux petits ce qui ne concerne que les grandes personnes.

Vous affirmez qu’après un traumatisme il ne faut pas forcer l’enfant à parler trop vite…
Face à un enfant qui a subi une séparation, la perte d’un parent proche, etc., il importe de respecter son rythme. La parole viendra en son temps… Il faut savoir se rendre disponible et surtout ne pas adopter une attitude intrusive.

Ne pas respecter un secret peut avoir de lourdes répercussions sur la santé physique…
Tout à fait. Un exemple que j’ai trouvé dans une revue canadienne : un greffé du cœur qui a fait un rejet quand la veuve du donneur a débarqué dans sa vie. Lorsqu’il y a une ingérence brutale dans l’espace intime d’une personne, cela a des conséquences gravissimes. Ici, le greffé du cœur avait transformé le côté cru de la réalité (la nécessité qu’un autre meure pour qu’il reçoive un nouveau cœur) et avait bâti une fiction pour accepter la situation. Tout cela a volé en éclats avec le rappel brut des faits. On a souvent besoin de rêver, de modifier la réalité pour la rendre supportable.

Comment savoir si on est prêt à divulguer un lourd secret ?
On est prêt quand on sait pourquoi on veut le dire et pourquoi on ne l’a pas fait jusque-là.

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