Psychologie

Sentir et ressentir

L’odorat est le seul de nos cinq sens à accéder directement à la mémoire, autant dire à notre boîte noire.


 

Une fragrance, un fumet qui se dégage de la cuisine, le doux parfum de la pluie d’été, et nous voilà propulsées dans le passé. Un souvenir remonte à la surface : les couleurs, les lumières, le lieu précis où l’action s’est déroulée. « Un jour, en entrant dans une maison (…), j’ai fondu en larmes. Je venais de retrouver l’odeur de la maison de mon enfance », se souvient Christiane Samuel, coauteure du livre Êtes-vous au parfum ? (InterEditions).

C’est que l’odorat permet d’accéder aux émotions et aux sensations emmagasinées depuis la petite enfance, ajoute Patty Canac, experte en parfumerie, qui a aussi collaboré à ce livre. « Aucun autre sens ne peut stimuler la mémoire de manière si puissante. »

Si l’expérience peut paraître irrationnelle, il existe pourtant une explication très scientifique. Le nez capte les odeurs, qui parviennent au bulbe olfactif, connecté au système limbique. Le système limbique, c’est un peu notre boîte noire, le siège des émotions et de la mémoire. Étrangement, l’odorat est le seul sens à être en prise directe avec cette précieuse boîte noire.

Résultat : l’émotion précède l’information, c’est-à-dire que ce qui est perçu va susciter du plaisir, de l’inquiétude ou de la nostalgie avant même que le cerveau puisse l’identifier.

« Notre sensibilité à l’odeur commence dès le plus jeune âge. Dans la recherche du sein maternel, le nourrisson est attiré par une odeur sécrétée par le mamelon », confirme André Holley, professeur en neurosciences à Lyon et auteur d’Éloge de l’odorat (Odile Jacob). Jusqu’à l’âge de 12 ans, l’enfant enregistre un très grand nombre de senteurs agréables et de relents déplaisants. Durablement inscrits dans la mémoire, ils forment le patrimoine olfactif de l’individu. Ce sont ces souvenirs qui, tout au long de la vie, vont, entre autres facteurs, influencer son goût pour telle ou telle fragrance.

Si on apprécie une eau de toilette, c’est souvent parce qu’on y retrouve son passé, selon Sylvaine Delacourte, créatrice de parfums sur mesure chez Guerlain. « J’aime l’Heure Bleue parce qu’il me rappelle la colle blanche de mon enfance, les gaufres à la vanille et les rouges à lèvres que je piquais à ma mère », confie-t-elle.

Les odeurs comme les parfums jouent un rôle important dans la vie sociale. Ils révèlent des informations sur l’autre : son hygiène (odeur corporelle), sa santé (odeur buccale) et sa personnalité (séductrice ou discrète, simple ou sophistiquée…). « L’odeur, c’est le corps, et le parfum, l’habit ou le maquillage qui est là pour nous avantager », précise Patty Canac.

« L’odeur se situe du côté de l’intime, alors que le parfum s’inscrit du côté social », souligne quant à lui Samuel Socquet-Juglard, auteur de différents ouvrages sur le parfum. Mais parfois les odeurs corporelles ont un lien avec la culture et les civilisations. « Par exemple, les Japonais appellent les Occidentaux les “pue-le-beurre”, vu la quantité de produits laitiers qu’ils consomment. Il semble que nous dégagions pour eux une odeur de lait caillé. »

Le nez est un guide. « Il peut nous attirer vers quelqu’un ou, au contraire, nous en éloigner. “Celui-là, je ne peux pas le sentir” veut dire qu’on le sent trop ! » analyse Christiane Samuel. Aimer quelqu’un dont on ne supporte pas l’odeur est en fait extrêmement difficile, voire impossible. « On peut s’habituer à un physique disgracieux mais pas à une odeur qui indispose. On peut à la rigueur être amis, mais amants, non », ajoute Samuel Socquet-Juglard.

Pour le parfum, c’est moins catégorique – la personne aimée n’a qu’à le changer, après tout. « S’il donne la nausée, il est intéressant de comprendre pourquoi, poursuit-il. En remontant sa propre histoire olfactive, on peut découvrir par exemple que la rose rappelle une grand-mère acariâtre dont on avait peur quand on était enfant. »

L’inconscient, toujours l’inconscient. C’est bien lui qui réagit quand il est interpellé par un citron fraîchement pressé, les pages d’un vieux livre ou une balade en forêt. Des effets qui peuvent même être thérapeutiques.

Depuis deux ans, Christiane Samuel utilise les odeurs dans son travail d’orthophoniste pour la rééducation. Une démarche nouvelle en France et sans équivalent au Québec.

Elle aide les amnésiques ou les patients sortis d’un coma à retrouver la mémoire en titillant leurs narines. Une odeur bien précise peut parfois enclencher le système de mémoire. « On peut même faire réagir des comateux en leur donnant à sentir leur propre eau de Cologne, explique-t-elle. Leur réaction est alors immédiate, telle celle d’un nourrisson qui souhaite communiquer. »

L’ammoniac contre les pulsions sexuelles ?
Le Centre d’étude et de recherche de l’Université de Montréal (CERUM) a recours à un procédé, le conditionnement olfactif, qui permet à des personnes aux prises avec des déviances sexuelles de mieux gérer leurs pulsions. Au cours de la thérapie qui dure plusieurs mois, l’individu – souvent un violeur récidiviste – doit casser une ampoule d’ammoniac dès qu’il a une érection. Les émanations coupent court à son excitation. Peu à peu, il arrive à se maîtriser.

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