Société

C’est pas la faute à Facebook

Facebook est un réseau public depuis 11 ans, Twitter a soufflé tout autant de bougies et Instagram compte sept années d’existence. Il n’y a aucun doute : notre lune de miel avec eux est finie. Mais les réseaux sociaux sont-ils réellement la cause de nos problèmes ? se demande l’animatrice et chroniqueuse Lili Boisvert.

J’aime les réseaux sociaux. En tant qu’animatrice et chroniqueuse, je m’y fais critiquer quasi quotidiennement, je m’y fais insulter régulièrement, on m’y harcèle et j’y reçois aussi de temps à autre des menaces. J’aimerais pouvoir affirmer que je suis toujours au-dessus de tout ça et que ça ne m’affecte pas, mais ce serait mentir. La vérité, c’est que, comme c’est le cas pour bien des gens, les réseaux sociaux peuvent représenter pour moi une source de stress. Pourtant, je continue de les trouver merveilleux et je reste fermement convaincue qu’ils représentent un progrès social.

Je tiens donc à les défendre un peu, parce qu’ils sont accusés de plusieurs maux ces temps-ci (j’ai vu ça sur Facebook). On leur reproche beaucoup de choses – l’élection de Donald Trump, favorisée par le déploiement de fausses nouvelles, n’étant pas la moindre.

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Photo: iStock

Je vois aussi de plus en plus de personnes à boutte qui annoncent des retraits temporaires ou définitifs des réseaux sociaux pour préserver leur santé mentale.

On dit des réseaux sociaux qu’ils créent des conflits, qu’ils sont des vecteurs de haine et d’intimidation, qu’ils forcent la censure des artistes et des humoristes qui y déclenchent des controverses et qu’ils créent des bulles artificielles contre la dissonance cognitive.

Facebook est un réseau public depuis 11 ans, Twitter a soufflé tout autant de bougies et Instagram compte sept années d’existence. Il n’y a aucun doute : notre lune de miel avec eux est finie. Mais les réseaux sociaux sont-ils réellement la cause de nos problèmes ?

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Reproche #1 La méchanceté

Il est assez difficile de ne pas remarquer la méchanceté qui sévit en ligne. De toute évidence, plusieurs internautes, anonymes ou pas, sont plus désinhibés sur les réseaux sociaux que dans la réalité. Ils se permettent davantage d’insulter les autres ou de les harceler.

Il est probablement vrai que la distance créée par nos écrans et nos claviers nous rend moins sensibles dans nos interactions. Toutefois, il faut admettre que l’intimidation et la haine existaient bien avant la naissance de Mark Zuckerberg.

Et si l’on peut se montrer plus ouvertement méchant sur Internet, on peut tout autant l’être dans la vraie vie, de manière moins directe, mais aussi efficace. La politesse dont on fait preuve dans un face-à-face peut n’être qu’un masque de respect.

Une personne qui est haineuse dans une section « Commentaires » ne l’est pas nécessairement moins IRL [1]. Elle peut n’être que plus politico-correctement haineuse.

Or, s’il y a une chose qui m’enthousiasme follement sur les réseaux sociaux, c’est la possibilité que nous avons désormais de documenter la haine à grande échelle comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité.

Avant, quand une personne subissait un comportement haineux ou discriminatoire dans la vie, elle ne pouvait pas toujours démontrer factuellement ce qui venait de lui arriver, surtout si l’agression était subtile. Maintenant, en ligne, on peut faire une capture d’écran et littéralement compiler les exemples de harcèlement, de haine ou de mépris vécus et les brandir à la face du monde.

Dans la vraie vie, on ne peut pas photographier la méchanceté. Sur le web, oui.[2]

Un autre bon côté des réseaux sociaux : des gens qui étaient isolés auparavant peuvent désormais accéder à des communautés en ligne qui ont les mêmes expériences et les mêmes idées qu’eux.

Si je prends mon cas, par exemple, quand j’ai commencé à être féministe vers la fin de l’adolescence, j’étais la seule féministe que je connaissais. Ç’a été le cas pendant des années, jusqu’à ce que j’entre en contact avec d’autres féministes en ligne avec qui j’ai pu échanger et discuter.

Je suis convaincue que ce n’est pas un hasard si, ces dernières années, on entend tellement parler d’intimidation, de racisme, de sexisme et d’autres problèmes sociaux. Je suis persuadée que c’est grâce aux réseaux sociaux – qui portent d’ailleurs très bien leur nom.

Oui, il y a beaucoup de méchanceté en ligne, mais il y a aussi beaucoup de solidarité.

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Reproche #2 Les bulles et les conflits

Un autre problème qu’on associe aux réseaux sociaux est qu’ils créent des bulles, des communautés qui « pensent pareil » et que les internautes s’en trouvent moins souvent exposés à des idées qui les dérangent. Ils nous éviteraient toute dissonance cognitive (l’inconfort mental qui survient lorsqu’on est heurté dans nos valeurs), qui peut avoir comme effet positif de susciter chez nous des remises en question ou de favoriser notre ouverture d’esprit. Les algorithmes sont pointés du doigt.

Or, en même temps, on reproche aux réseaux sociaux de générer des conflits à la tonne. Trolls, threads, flaming… un jargon a carrément été inventé pour parler des chicanes en ligne.

Les deux reproches, donc, se contredisent.

Si les deux réalités coexistent, c’est parce qu’il y a deux manières d’utiliser les réseaux sociaux. D’un côté, il y a les gens qui les utilisent pour éviter les conflits : ils vont créer des safe spaces, cesser de suivre les gens avec qui ils ne sont pas d’accord et bloquer leurs trolls.

De l’autre, il y a ceux qui utilisent les réseaux sociaux pour faire voyager leurs idées le plus possible, qui vont garder leur profil public et tolérer les disputes et les microagressions. L’intérêt (un peu masochiste) de jeter son dévolu sur cette deuxième option est de maintenir la possibilité que chaque publication devienne virale (joie !), mais ça vient aussi avec des inconvénients (se chicaner, se faire troller, etc).

Nous opterons pour l’une ou l’autre de ces options en fonction de notre désir de nous faire entendre, de l’état de notre santé mentale, de notre seuil de tolérance et de notre réalité socioéconomique (nous ne sommes pas tous égaux devant le harcèlement et les microagressions sur les réseaux sociaux, et certains types de personnes sont plus ciblés que d’autres).

Cela étant dit, parlons maintenant des médias traditionnels. Car, encore une fois, les bulles contre la dissonance cognitive existaient bien avant l’arrivée de l’oiseau bleu et des pouces en l’air.

Le fait est que les médias traditionnels ont toujours été des communautés d’esprit. Les salles de nouvelles ont toujours été peuplées d’individus qui se ressemblent (majoritairement des personnes blanches, majoritairement des hommes et majoritairement des gens éduqués), qui ont tendance à penser sensiblement de la même manière parce qu’ils ont des expériences de vie plutôt similaires. Sans compter que les médias sont financés pour la plupart par des intérêts privés et que cela crée aussi des contraintes subtiles en ce qui a trait à leur ligne éditoriale, même s’ils s’en défendent.

Auparavant, les médias traditionnels représentaient le contre-pouvoir officiel qui donnait de la rétroaction aux grands de ce monde, aux politiciens, aux entreprises, aux producteurs de contenus culturels et aux vedettes. Ils donnaient la parole « au peuple », mais ils exerçaient un filtrage. Ils sélectionnaient avec parcimonie les gens qu’ils faisaient parler dans leurs pages et leurs micros.

Maintenant, les médias traditionnels ne sont plus le seul chien de garde. N’importe qui avec une connexion Internet peut donner son opinion publiquement, blanc ou pas, homme ou femme, éduqué ou non.

C’est d’ailleurs cette rétroaction hyper diversifiée qui exaspère plusieurs influenceurs…

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Reproche #3 La censure
Oui, les réseaux sociaux ont des politiques qui censurent certains messages et certaines images sur leur plateforme où des publications seront supprimées selon des critères arbitraires.

Sauf que, lorsqu’un artiste ou un humoriste exaspéré crie à la censure parce qu’il se fait critiquer sur les réseaux sociaux, il s’égare. Il n’est pas censuré : il fait tout simplement face à la force de la démocratie au XXIe siècle.

Les réseaux sociaux sont des tribunes populaires. Ils forment une immense agora. Et lorsqu’une masse critique d’internautes se met à considérer le discours d’un artiste comme inacceptable, parce que les mœurs sont en train de changer, alors l’artiste doit soit s’adapter, soit accepter de déclencher des controverses. Mais si le choix est fait de changer de discours, ce n’est pas de la censure, c’est un calcul coût/bénéfice.

Évidemment, lorsqu’on fait le choix de lire les commentaires, cela peut être éreintant.

lili boisvert 500x749En 2013, j’interviewais l’ex-animateur de Radio-Canada Simon Durivage et il m’avait dit ceci, qui illustre à merveille le rapport qu’entretiennent plusieurs personnalités publiques avec ces plateformes : « Twitter, on dit que ça nous amène dans la rue avec les gens. Sauf que ça nous amène aussi dans la cuisine des gens. Et les fenêtres sont ouvertes, et on me crie après pendant que je parle. »

La différence entre le « avant » et le « après » l’apparition des réseaux sociaux, ce n’est pas que les gens ne protestaient pas en écoutant les artistes, les politiciens, les entreprises et les animateurs dans leur cuisine avant les années 2000. C’est juste que les fenêtres étaient fermées et qu’on n’entendait pas…

Quoi qu’il en soit, que le blâme soit légitime ou pas, être critiqué et trollé, ce n’est pas être censuré.

En tant que nouveau contre-pouvoir, les réseaux sociaux doivent devenir plus responsables et plus imputables. On doit pouvoir contrer la propagation de fausses nouvelles et connaître les effets des algorithmes sur nos vies. Toutefois, les réseaux sociaux ne sont que des courroies de transmission. Des courroies plus efficaces qu’aucune autre auparavant, que ce soit le téléphone, le télégramme ou la domestication des chevaux… Mais des courroies quand même.

Or, la cause d’un problème n’est pas toujours sa courroie de transmission. Il faut souvent aller à la source pour repérer la bonne cible : l’humain derrière l’écran. Quand c’est lui le problème, rien ne sert de tirer sur le messager. 😉

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[1] Abréviation de In real life, en français : dans la vraie vie.

[2] Si vous ne savez pas comment faire, ce sont les touches cmd+majuscule+4 sur Mac et Alt + Print Scrn sur PC.

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