Couple et sexualité

Des applications pour donner son consentement?

Plusieurs applications mobiles ont été mises au point pour enregistrer les preuves de consentement et mettre fin aux agressions sexuelles.

Pour consentir techniquement à une relation sexuelle, il faut entrer un mot de passe — huit caractères minimum — dans un nouveau type d’application. Si une personne se sent contrainte, elle peut saisir un code différent: un message est alors envoyé à un proche désigné en cas d’urgence et les données de non-consentement sont enregistrées dans un nuage, pour servir de preuve en cour, s’il y a lieu. Wantme? est une application gratuite sur iTunes qui vise à prévenir les rapports non consentis et à définir clairement les limites quand le malaise s’installe. «Nous croyons fermement qu’elle deviendra la norme», soutient Malcom Eylott, un ancien banquier de Toronto qui a mis au point l’application avec la collaboration d’un avocat et d’un expert en technologies de l’information.

Couple sur un lit

Photo: iStock

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Le produit proposé par Eylott n’est cependant pas le premier en son genre: Yes to Sex, conçue aux États-Unis, a été téléchargée 24 875 fois, dont 1 990 fois au Canada, dans le mois suivant son lancement. L’application enregistre et stocke dans un nuage les voix des partenaires qui énoncent leur nom et les mots «Je consens au rapport sexuel», ou une phrase codée comme «Code caramel». «C’est simple et discret», garantit la directrice de l’entreprise, Wendy Geller, également mère de trois enfants âgés de 17 à 22 ans. «J’ai voulu créer quelque chose qui n’aurait pas l’air trop louche pour qu’ils soient à l’aise de s’en servir eux aussi.» À ce nombre s’ajoute We-Consent, une suite de quatre applications mobiles qui ont été téléchargées 10 000 fois chacune; le logiciel enregistre non seulement les voix, mais aussi une vidéo des partenaires donnant leur nom et leur consentement. S’ils obtiennent le feu vert, une voix automatisée dira: «Consentement accordé. Amusez-vous.»

Quoiqu’on puisse s’inquiéter de l’intrusion de Siri dans nos chambres à coucher, ces applications reflètent néanmoins le besoin grandissant de s’assurer du consentement de son partenaire. En 2012, les Centres de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis ont estimé que 18 % des femmes et 1 % des hommes sont victimes d’une agression sexuelle au cours de leur vie. Bases militaires, bureaux, équipes sportives et campus ont commencé à réagir. Si les femmes (ou parfois les hommes) veulent se servir de telles applications quand elles se sentent en danger, une alerte transmise à une personne de confiance pourrait les aider à échapper à la menace. Et si les hommes (ou parfois les femmes) veulent s’en servir pour éviter de s’exposer à des accusations, ils pourraient être moins tentés de coucher avec des personnes qui ne peuvent ou ne veulent fournir leur consentement. Wayne MacKay, professeur de droit à l’Université Dalhousie, raconte qu’un jeune homme lui a récemment confié qu’il faisait signer des documents à ses partenaires avant d’amorcer toute activité sexuelle. «C’est un outil prometteur», pense MacKay, en parlant de Wantme?.

Mais ces applications ne sont pas sans comporter certaines limites. D’abord, elles ne précisent pas à quelles pratiques sexuelles ses utilisateurs acceptent de se prêter. «Ce serait comme donner son consentement absolu», met en garde Diane Hill, directrice générale de la Fondation canadienne des femmes. «Et dans les faits, cela rendrait les femmes davantage à risque de se faire agresser.» Il est déjà facile de blâmer une victime d’avoir porté une jupe trop courte ou d’avoir esquissé un sourire équivoque, alors «imaginez si elle avait dit oui d’emblée». «Nous ne souhaitons pas savoir ce à quoi consentent les utilisateurs. Nous ne voulons pas outrepasser leur intimité», répond Malcom Eylott, en défense de son application, ajoutant que ses développeurs vont tout de même «se pencher» sur la question du consentement continu et particulier.

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Justement, dans ce genre d’applications, le consentement n’a pas besoin d’être de tous les instants lors d’une relation sexuelle. La moins mauvaise à ce chapitre se nomme I’ve Been Violated et fait partie de la suite We-Consent. Si une personne se sent agressée, elle doit attraper son téléphone et faire jouer la vidéo d’un policier qui crie «non!». Le logiciel filme alors l’agresseur, probablement nu, pendant qu’il visionne le message. La vidéo est ensuite stockée dans un nuage. Si le partenaire sait qu’il existe une preuve qu’il a entendu l’avertissement, il est peu probable qu’il poursuive le viol.

Pourtant, les données ainsi récoltées pourraient ne pas constituer des preuves solides devant un tribunal. Les développeurs espèrent encourager les victimes à porter plainte pour leur agression — pas moins de 82 % des viols au Canada ne seraient pas déclarés, selon un sondage Ipsos Reid de 2015. Mais comme le rappelle Wayne MacKay, «si les données n’indiquent pas en partie la pratique à laquelle vous avez consenti, leur valeur est limitée». Or, si les applications demandaient ce genre d’information, poursuit MacKay, «ce serait absurde: il faudrait choisir parmi une liste de 18 pratiques sexuelles, ce qui semble un peu impersonnel dans le feu de l’action». Et même si un juge recevait ces données comme preuves de non-consentement, elles ne pourraient servir à démontrer qu’une agression a bel et bien eu lieu. Les victimes auraient alors le sentiment d’être impuissantes, car la plupart des agressions sexuelles dénoncées laissent peu de traces de blessures, parfois même aucune. «Ça ne fera pas pencher le verdict dans un sens ou dans l’autre», concède Tim Petrou, l’avocat qui collabore avec Malcom Eylott. «Ce que nous voulons, c’est favoriser les relations respectueuses.» Pour ce qui est d’éventuelles preuves en faveur de l’accusé, nuance-t-il, «je ne souhaite pas que le recours à l’application donne l’impression de fournir un alibi en cas de plainte».

D’après les développeurs, le non-respect de la vie privée n’est pas un problème. Wantme? crypte et diffuse en continu les renseignements personnels sur une batterie de serveurs; ces données comprennent le nombre de séances d’utilisation et leur contenu, en plus de la liste de contacts du téléphone. Personne ne peut accéder à ces informations, y compris les utilisateurs eux-mêmes, à moins que la police ou un juge ne l’exige. Eylott mentionne toutefois que son entreprise songe à vendre les données agrégées anonymes, et que les renseignements des utilisateurs demeureront sur le serveur même s’ils suppriment l’application. Lorsque les gens utilisent We-Consent ou Yes to Sex, leurs fichiers vidéos et audios sont stockés momentanément dans leur appareil pendant la mise en mémoire tampon, ce qui les rend vulnérables au piratage.

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L’aspect moral de la commercialisation du consentement sexuel ne fait pas non plus l’unanimité. «C’est déplorable de constater que les agressions sexuelles sont tellement répandues dans notre société que des gens y voient une occasion de faire de l’argent», pense la directrice de la Fondation canadienne des femmes. Yes to Sex est gratuite au téléchargement, mais les utilisateurs qui souhaitent accéder à leurs données doivent débourser 5 000 dollars. Le créateur de We-Consent, Michael Lissack, voit son entreprise comme un service public, et pourtant il a breveté sa technologie. «Pourquoi voudrais-je que quelqu’un mette son nez dans mes affaires et chambarde mon entreprise? Nous y avons investi beaucoup de temps et d’argent.» Mais quand il est question du coût dudit brevet, il refuse de répondre. Malcom Eylott admet que Wantme? pourrait aussi vendre de petits espaces publicitaires sur l’application ou sur son site, en plus des données agrégées. Mais quand la première application pour le consentement, Good2Go, avait suscité la controverse en 2014, Apple l’avait retirée de iTunes.

Les défenseurs de ces applications, eux, soutiennent que les contrats de consentement sexuel ne sont pas des tue-l’amour. «Au contraire, ils mettent les partenaires plus à l’aise», assure Alison Berke, instigatrice de la campagne «consentement affirmatif», qui distribue dans les universités de Floride des trousses d’information contenant des contrats de consentement, au verso desquels sont imprimés des extraits des plus récentes lois en la matière. Michael Lissack ajoute que les 18 secondes que requiert We-Consent sont un bien court délai comparativement au temps qu’il fallait pour ouvrir un préservatif, avant qu’on en vende dans des sachets déchirables. «Il a fallu faire avec ces deux, trois minutes gênantes, dit-il. Mais on a survécu.» Malgré tout, pour Antony DeMarco, avocat spécialisé dans les cas d’agressions sexuelles, ces applications sont carrément ridicules. «Si c’est dans un monde pareil que nous vivons, aussi bien me suicider tout de suite», lance-t-il.

Les développeurs des applications rétorquent qu’ils n’ont reçu que de bons commentaires des utilisateurs, y compris les trois enfants de Malcom Eylott, âgés de 19 à 23 ans. «Quand je leur en ai parlé pour la première fois, ils trouvaient ça génial.» Cet outil allait de soi pour eux, et ils pensaient l’utiliser, raconte-t-il. Wantme? propose aussi des ateliers d’éducation au consentement, et récompense ses utilisateurs qui terminent les cours en leur offrant t-shirts, chapeaux ou bouteilles d’eau. Le créateur de We-Consent pense que son application se compare un peu à un vaccin: toute la population doit l’adopter pour qu’elle soit efficace. Wendy Geller espère quant à elle que Yes to Sex se répandra comme une traînée de poudre, à la manière de la ceinture de sécurité. Et aux yeux de Malcom Eylott, Wantme? deviendra un jour tout aussi normale que les condoms. «Ils sont partout, dit-il. Dans les supermarchés, dans les sacs à main… Je m’attends à la même chose pour mon application.»

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Cet article a été adapté de Maclean’s.

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